Intervention de Roselyne Bachelot

Réunion du mercredi 9 septembre 2020 à 8h40
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Roselyne Bachelot, ministre de la Culture :

Je veux d'abord vous dire la joie et l'émotion que j'éprouve à me trouver devant la commission des affaires culturelles et de l'éducation – aux attributions plus resserrées que celles de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales dont j'avais été membre. Je souhaite vous faire part de mon état d'esprit actuel et pour les mois à venir, puisque c'est la première fois que je m'exprime devant vous comme ministre de la Culture.

En raison du conseil des ministres, il ne me sera effectivement pas possible de prendre part à la totalité de la réunion, ce dont je vous prie de m'excuser. J'ai évidemment souhaité être présente pendant la discussion générale afin de vous témoigner mon respect pour votre travail. Je connais la rigueur et la passion qui vous animent et qui caractérisent vos débats ; la manière dont vous vous engagez tous au service des Français est essentielle au bon fonctionnement de notre démocratie. Vous pouvez compter sur moi pour m'appuyer sur vos travaux chaque fois que cela sera possible, dans un esprit ouvert et constructif – mon parcours politique plaide en faveur de la véracité de mon propos.

Une réforme très ambitieuse du secteur audiovisuel a été engagée fin 2019 dans le cadre du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique. Votre commission a enrichi puis adopté le texte début mars, mais – vous l'avez rappelé, monsieur le président – son examen a été interrompu par la pandémie ; il n'a pas été retiré de votre ordre du jour, mais son calendrier demeure incertain pour les raisons que nous connaissons.

C'est d'autant plus inquiétant que figurent dans le texte des dispositions capitales et urgentes.

Urgentes, car il fallait en principe transposer la directive dite SMA avant le 19 septembre 2020, et la directive relative au droit d'auteur et aux droits voisins avant juin 2021. En outre, les dispositions en question sont très attendues par les auteurs, les artistes et les professionnels des médias et des industries culturelles de notre pays. Elles l'étaient déjà avant la crise ; elles le sont encore davantage aujourd'hui.

En effet, l'un des principaux objectifs de la directive SMA est de faire contribuer au financement d'œuvres françaises les chaînes et plateformes étrangères qui ciblent la France. Il s'agit de rétablir ainsi l'équité entre tous les acteurs qui diffusent des œuvres audiovisuelles et cinématographiques en France. La question était pendante avant la crise sanitaire ; celle-ci n'a fait qu'accentuer le déséquilibre entre les plateformes, dont le chiffre d'affaires a connu une très forte croissance, et les services de télévision français, dont les difficultés économiques se sont considérablement aggravées en raison de la chute des recettes publicitaires survenue du fait du confinement. Il est donc fondamental que les nouveaux services contribuent au financement de la création cinématographique et audiovisuelle sur le marché français qu'ils ciblent, notamment celle issue de la production indépendante.

Lorsqu'il s'est adressé aux créateurs, en mai dernier, le Président de la République a rappelé que cette évolution était déterminante afin de protéger et d'adapter notre modèle culturel aux nouveaux équilibres du secteur. Voilà pourquoi il s'est engagé à ce que la transposition de la directive SMA intervienne avant la fin de l'année 2020. Il n'est plus possible de perdre du temps.

J'ai donc demandé à mes services d'engager d'ores et déjà la révision du décret sur les services de médias audiovisuels à la demande. Les équipes du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et de la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) ont organisé une concertation avec les représentants des plateformes et ceux des producteurs et auteurs, afin que le décret puisse être adopté dans la foulée de l'ordonnance de transposition et ainsi bien prendre effet le 1er janvier 2021.

Il n'est pas moins urgent de transposer la directive droit d'auteur. Cette transposition permettra d'abord de mieux protéger les droits de la propriété intellectuelle sur les plateformes de partage de contenus, en obligeant ces dernières à conclure des accords de licence ou à coopérer avec les ayants droit pour empêcher que les œuvres ne soient diffusées sans leur autorisation. Elle confortera par ailleurs le droit des auteurs et des artistes à une rémunération proportionnelle, dont la portée a été renforcée par la directive.

Un troisième élément non moins important, bien que l'on en parle moins, vient compléter le dispositif : la transposition de la directive dite « câble et satellite », qui correspond elle aussi à un enjeu économique majeur, concernant la rémunération des titulaires de droits lorsqu'il est recouru à la technique particulière de diffusion dite de l'« injection directe ».

C'est face à ces urgences que le Gouvernement a, par amendement au projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière, demandé au Parlement des habilitations à légiférer par ordonnance pour transposer les directives. Je sais bien que vous n'adorez pas cette pratique, c'est le moins que l'on puisse dire ; mais tout le monde en a bien compris les enjeux. Le Sénat a ainsi adopté les dispositions d'habilitation le 8 juillet dernier. Tout cela ne me plaît pas davantage qu'à vous ; je l'ai également dit à vos collègues sénateurs il y a quelques mois. Mais la transposition par voie d'ordonnance est indispensable.

Il ne s'agit vraiment pas d'une pratique courante en matière audiovisuelle : en général, les textes portant sur ce sujet donnent lieu, grâce aux spécialistes pointus que comptent les assemblées, à des discussions nourries, passionnées et très intéressantes – je l'ai noté en relisant les comptes rendus de vos débats.

Mais cette transposition ne va pas sans garanties, et je veux rappeler celles-ci avec force. Je l'ai indiqué lors de l'examen du projet de loi au Sénat, nous ne sommes pas en terrain inconnu et nous ne vous demandons pas un chèque en blanc. Je m'engage à ce que les ordonnances respectent les équilibres nés de la discussion parlementaire. Je pense notamment à la transposition des articles 17 et 18 de la directive relative au droit d'auteur, qui, je le sais, retiennent à juste titre votre attention.

Par ailleurs, parmi vos propositions d'enrichissement du texte, certaines me semblent tout à fait pertinentes. Mais, vous le savez mieux que personne, leur reprise peut se révéler délicate, car nous sommes contraints par l'objet du projet de loi : seules peuvent y être intégrées les dispositions qui correspondent à la transposition de directives européennes ou qui en sont le corollaire direct.

L'avenir des autres dispositions du projet de loi initial dépendra du programme de travail du Gouvernement et des contraintes de l'ordre du jour du Parlement. Il semble quasi certain que la réforme de l'audiovisuel public, qui constituait l'un des trois piliers du texte initial, ne pourra être examinée du fait de l'ensemble des travaux qui nous sont imposés par la crise économique. D'autres dispositions importantes, tenant à la lutte contre le piratage, à la modernisation de la télévision numérique terrestre et de l'organisation de la régulation en matière audiovisuelle et numérique, pourraient l'être au cours de la session parlementaire. Je fais tout pour qu'elles soient intégrées à votre ordre du jour. Je sais, en effet, combien ces sujets vous tiennent à cœur, et je partage votre désir de moderniser notre cadre juridique.

Pour l'heure, il est nécessaire, pour les professionnels et le soutien à la création, d'assurer la transposition rapide de la directive SMA et des dispositions de la directive droit d'auteur relatives au partage de la valeur et à la rémunération proportionnelle. Je sais que ces sujets suscitent un large consensus ; j'espère donc que vous accorderez au Gouvernement l'habilitation qu'il sollicite de vous.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.