L'ambition affichée dès 2019 par le Président de la République et le précédent Premier ministre pour la recherche française, fleuron à préserver à tout prix pour que nous demeurions une grande nation dans la compétition internationale, a évidemment nourri beaucoup d'espoirs, notamment dans la communauté des chercheurs et des enseignants-chercheurs, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé. L'un des enjeux majeurs identifiés alors était la nécessité de décloisonner le secteur public et le secteur privé, pour assurer un continuum de l'idée, c'est-à-dire de la recherche fondamentale – même si je n'aime pas beaucoup ce terme – à la réalisation concrète de celle-ci, qui passe par la recherche partenariale, le transfert puis la production.
L'indépendance stratégique de la France repose sur deux piliers au moins : la recherche et la production. La crise de la covid-19 nous a rappelé brutalement cette réalité et en a exacerbé les effets. Or force est de constater, à la lecture du projet de loi de programmation de la recherche présenté en conseil des ministres le 22 juillet, que la déception est immense pour un certain nombre d'acteurs, pour différentes raisons.
Je mets de côté la question du principe même d'une loi de programmation car, il y a deux ans, avec Danièle Hérin et Amélie de Montchalin, nous avions rédigé, au nom de la mission d'évaluation et de contrôle (MEC) de la commission des finances, un rapport dans lequel nous en appelions à une telle démarche. Le problème est que ce projet manque singulièrement d'ambition. Où sont les enjeux ? Où sont les objectifs ? Proposer des moyens sans définir ni les uns ni les autres est un peu curieux.
Les augmentations budgétaires sont certes significatives, mais à partir de 2027, soit au-delà d'un second quinquennat éventuel. C'est du jamais vu ! Jusqu'à présent, aucune loi de programmation n'était allée au-delà de sept ans. Cela pose évidemment question. Certes, il s'agit de communication gouvernementale, mais ce n'est pas très sérieux – d'autant que, chacun le sait, les lois de programmation n'engagent que ceux qui les décrètent. Pour utiliser une formule un peu triviale, cela revient à dire : « Demain, on rase gratis. »
Les acteurs privés ne sont que peu pris en considération tout au long du texte. Leur rôle, et surtout leur contribution à la recherche publique sont totalement ignorés. De ce point de vue, il manque une jambe au projet de loi : il ne traite pas suffisamment de la question du privé. Or nous savons que la R&D et l'investissement des entreprises sont aussi des enjeux majeurs – les Allemands nous montrent clairement la voie à cet égard. Nous devons, nous aussi, progresser dans cette direction.
Par ailleurs, rien n'est fait pour réduire le millefeuille. Tout au contraire, il suffit de lire les articles du texte pour se rendre compte qu'il va encore grossir.
Enfin, autre sujet de préoccupation majeur, vous semblez maintenir la dichotomie entre l'enseignement supérieur et la recherche. Cela n'est pas raisonnable. Les universités et les établissements d'enseignement supérieur en général nous ont montré, au cours des dernières décennies, qu'ils étaient devenus des acteurs majeurs en matière de recherche. Que faites-vous pour placer notre enseignement supérieur au cœur du dispositif de recherche ?
Tous ces aspects sont importants et même stratégiques pour notre pays ; nous en débattrons donc fort volontiers avec vous, madame la ministre.