Rédigé avant la première grande pandémie de notre siècle, le texte a pour ambition de renforcer la capacité de financement des projets, programmes et laboratoires de recherche français, de conforter et de renforcer l'attractivité des emplois et des carrières scientifiques et de consolider la recherche partenariale et le modèle d'innovation français.
Force est cependant de constater qu'en l'état, la loi de programmation, malgré les bonnes intentions qu'elle affiche, ne répond pas entièrement aux exigences de notre temps. Certaines de ses contradictions et de ses insuffisances ont d'ailleurs été soulignées par plusieurs parties prenantes du secteur. Nous craignons, par exemple, que la trajectoire de dix ans ne soit trop longue, alors que nous stagnons à 2,2 % du PIB et que nous sommes en cinquième place parmi les pays les plus importants de l'OCDE. L'amendement de Valérie Rabault, adopté ce matin en commission des finances, a réaffirmé que les 3 % de PIB devaient être un seuil et sûrement pas un objectif. Par ailleurs, il règne un flou sur les augmentations budgétaires, d'autant que le seul budget qui a été chiffré est celui de l'ANR. Qu'en est‑il de la pérennité de ces financements ?
S'agissant de l'attractivité de l'emploi et des carrières, le monde de la recherche craint vivement que l'introduction des tenure tracks (chaires de professeur junior), des nouveaux contrats postdoctoraux et des CDI de mission ne vienne accentuer leur précarité plutôt qu'y remédier. Dans ce domaine, la plus grande prudence s'impose. La part des emplois non titulaires doit être minimisée dans l'organisation des filières. L'attractivité ne peut passer que par une revalorisation immédiate et forte des salaires des chercheurs et par de meilleures conditions de travail et d'accueil. De plus, dans leur grande majorité, les jeunes chercheurs se disent découragés par l'empilement des évaluations qui manquent clairement de lisibilité et de cohérence, et font peser sur leur travail un poids trop lourd. Rien de significatif dans le projet de loi ne prend en compte cette revendication, qui vous a pourtant été exprimée clairement à différentes reprises. Il faut aussi renforcer les emplois de soutien indispensables au dynamisme de la recherche et à la disponibilité des chercheurs.
Le financement par appels à projets et la mise en concurrence entre les acteurs du secteur introduiraient une prime au plus fort, au détriment des petits établissements, provoquant un surcroît de tâches administratives et un surplus de stress pour les personnels. La recherche scientifique est une affaire de patience, d'endurance et d'humilité, à l'inverse des impératifs d'efficacité économique. Les acteurs de la recherche ont terriblement besoin d'un système de financement de base, pérenne, qui garantisse leur indépendance et mette en valeur les notions de travail collaboratif, de collectif et de solidarité. Le temps de la recherche n'est sûrement pas celui de la communication.
Enfin, est totalement absente du texte la question de la marge de progression à trouver dans la parité. Il ne s'agit pas de se contenter d'objectifs chiffrés inatteignables pour se donner bonne conscience, mais de créer des outils qui permettront de déceler les talents et les compétences et de les rendre visibles. Le directeur du CNRS a proposé des pistes intéressantes.
Madame la ministre, la première version du texte avait suscité une forte opposition au sein de la communauté scientifique et universitaire. Tous disent qu'il y a urgence à agir pour éviter un décrochage et une dégradation dans le secteur public de la recherche. À l'heure où notre pays a besoin de calme, de cohésion et, plus que jamais, des forces vives de la science et de l'innovation pour poursuivre le redémarrage économique et retrouver sa souveraineté sanitaire, il serait judicieux de ne pas ouvrir un énième conflit social, faute d'un véritable dialogue avec le monde universitaire et de la recherche. Aussi est‑il essentiel de rétablir la confiance en donnant des gages de votre capacité à entendre et dialoguer.