Vos questions montrent à quel point les députés attendaient ce projet de loi et le jugent nécessaire. Le monde de la recherche vous en remercie très sincèrement.
Il a beaucoup été question de la durée de la programmation. Face à deux options – 2030, l'horizon de réalisation des objectifs de développement durable de l'ONU, ou 2027, celui du programme européen –, le choix a été fait de garantir une programmation sur dix ans, donnant ainsi une meilleure visibilité dans le temps.
Pour un laboratoire de recherche, qui engage un projet de recherche sur plusieurs années, il est essentiel de connaître à l'avance la disponibilité des crédits, donc de savoir qu'année après année, il pourra lancer de nouveaux programmes. Si tous les crédits étaient versés d'un seul coup, il ne serait pas possible d'ajouter de nouveaux programmes à ceux, nombreux, qui seraient engagés l'année suivante, chacun nécessitant un financement sur plusieurs années. Une montée en puissance financière est donc essentielle pour lancer de nouveaux programmes année après année. C'est la raison pour laquelle il importe que des marches supplémentaires soient prévues chaque année.
Pour répondre à la situation actuelle, le Gouvernement a choisi d'investir des financements supplémentaires dans le cadre du plan de relance. Destinés à accélérer la montée en puissance, ils devront être dépensés dans les deux ou trois prochaines années afin d'être efficaces pour relancer notre pays. La loi de programmation n'est en aucun cas un élément de la relance, c'est le plan qui vient s'y ajouter ; la programmation donne des moyens au temps et à la visibilité.
Il serait stérile de continuer à opposer les universités et les organismes de recherche. Depuis de nombreuses années, nous avons travaillé à définir des politiques de site et des signatures d'établissement, qui mêlent les stratégies nationales des organismes et l'implantation des universités au sein de sites et de territoires. Cette matrice, qui fonctionne, permet aux universités d'être des acteurs majeurs de la structuration des territoires, tant en termes de formation de compétences, de recherche, de production de connaissances que d'expertise mise au service du monde socio-économique.
Les organismes de recherche, eux, permettent de lancer des programmes prioritaires de recherche nationaux. Il n'est pas question de confier le programme national visant à sortir des produits phytosanitaires à une université plutôt qu'à une autre quand un organisme de recherche regroupant tous les laboratoires capables d'apporter des solutions à cette question peut être mobilisé.
Nous avons donc besoin de conserver des organismes nationaux qui concrétisent les politiques nationales sur des priorités, comme de disposer d'une recherche visible et structurée au sein des sites. Ce croisement nous le permet. Le projet de loi de programmation prévoit d'ailleurs d'abonder autant le programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » que le programme 172 relatif aux organismes de recherche.
Pour lever toute ambiguïté, les chaires de professeur junior constituent bien des contrats de prétitularisation pour intégrer les corps de la recherche ou de l'enseignement supérieur et de la recherche, au niveau professeur ou directeur de recherche. Elles sont beaucoup plus sécurisantes que des années passées de post‑doc en post‑doc.
Je maintiens que ces chaires favoriseront l'accès des femmes aux corps de professeur et directeur de recherche : les candidats qui auront déjà réussi un premier concours n'auront pas à en repasser un second tout en menant parallèlement une vie de famille. Après avoir présenté un projet unique, où ils mettront en avant leurs capacités, ils suivront une phase de prétitularisation puis deviendront professeur des universités ou directeur de recherche à l'issue des six ans durant lesquels ils auront fait leurs preuves. J'aurais vraiment aimé que de telles chaires existent il y a quelques années !
Le dispositif est beaucoup plus sécurisant pour les femmes ou les jeunes chercheurs partis à l'étranger, qui ont parfois du mal avec les dates de dépôt des différents dossiers. Nous devons créer des voies particulières. Je redis que le nouvel outil des chaires de professeurs junior vient s'ajouter au recrutement traditionnel ; il ne le concurrence pas et est totalement facultatif.
Nous travaillons également sur le sujet des agrégés et des certifiés, dont certains sont détachés dans le supérieur tout en appartenant toujours à leur corps d'origine, au sein du ministère de l'éducation nationale. Leur rôle est essentiel dans les universités, y compris dans l'accompagnement des étudiants de premier cycle ou la préparation des futurs professeurs agrégés et certifiés.
Nous les prenons en compte, comme nous le faisons pour l'ensemble des personnels contribuant à la recherche. Des mesures fortes de promotion ou de repyramidage au sein du corps des ingénieurs et techniciens de recherche et de formation (ITRF) sont ainsi en train d'être débattues avec les représentants des personnels. La proportion entre les professeurs d'université et les maîtres de conférences est aussi en cours d'examen, de même que la capacité à augmenter le nombre des directeurs de recherche hors classe. Ces objectifs sont en discussion dans le cadre du protocole que j'évoquais, et sur lequel je reviendrai.
Certains ont évoqué une « très forte opposition » ou un « énorme conflit social » au sujet de la loi de programmation. Je voudrais tout de même rappeler qu'entre 2012 et 2017, le programme 172 a augmenté de 50 millions d'euros ; entre 2020 et 2025, il augmentera de 1 455 millions. Avons-nous décidé, comme nous en sommes accusés, de « tuer la recherche française » à coups de milliers de millions d'euros ? Soyez convaincus que l'objectif du Gouvernement est bien de réarmer la recherche française. Tuer la recherche française, cela aurait été de maintenir un budget totalement insuffisant au regard de ce que la recherche est capable de produire. Ce que j'entends, moi, c'est beaucoup d'angoisse à l'idée que l'on continue d'abandonner la recherche française comme on l'a fait dans les dernières décennies, pas un conflit social majeur.
Je vous incite à remettre la réalité au cœur de vos discussions. Vous ne pouvez pas dire que ce gouvernement entend baisser les rémunérations des personnels de la recherche lorsque le projet de loi prévoit d'ajouter 646 millions d'euros par an sur sept ans. Il est difficile d'imaginer que nous voulons supprimer le statut des enseignants-chercheurs ou des chercheurs lorsque 5 200 emplois publics sous plafond sont ajoutés ou que nous cherchons à tuer les sciences humaines et sociales quand nous doublons les délégations qui leur sont destinées au CNRS. Sur l'ensemble de ces sujets, je vous invite à diffuser la réalité, c'est‑à‑dire ce texte.
S'agissant des difficultés liées au CNESER, ce Conseil, comme l'Assemblée nationale, est un lieu de débat. Avant que l'on ne décide d'interrompre les débats à minuit, nous avons passé bien des nuits dans l'hémicycle. Le premier budget de la recherche y a, par exemple, été voté entre 4 heures et 7 heures du matin. Qui s'engage dans une fonction de représentation, de la nation ou des personnels, doit être présent pour débattre et échanger autant que le débat le nécessite. C'est ainsi que 52 % des membres du CNESER ont approuvé ce projet de loi.
Bien sûr qu'il faut avoir une vision ample et humaniste de la recherche, et nous l'avons, mais ce n'est pas une loi qui fixe les limites de la confiance.
Quant à parler de discrimination des femmes dans la recherche, et à dire que seules 28 % des chercheurs sont des femmes, M. Nadot parlait peut-être des mathématiques ou des sciences exactes, car nos chiffres, sans être forcément parfaits, révèlent que 36,5 % des personnes qui font de la recherche dans notre pays sont des femmes. L'objectif est qu'il y ait davantage de femmes non seulement dans le monde de la recherche, mais aussi dans le corps des professeurs et des directeurs de recherche, ce à quoi les chaires de professeur junior contribueront.
On ne peut pas pointer une vision concurrentielle de la recherche lorsqu'un financement libre est accordé à l'ensemble d'un laboratoire, après qu'une de ses équipes a remporté un appel à projet, de façon à faire émerger de nouveaux projets. Cette vision est, au contraire, bien plus solidaire. Tous ceux qui ont pratiqué la recherche savent que le succès d'une équipe qui remporte un appel à projets de l'ANR est dû à l'ensemble du laboratoire. C'est pourquoi il importe qu'il puisse bénéficier du financement dans son ensemble.
Les chercheurs se plaignent du faible taux de succès des dépôts de projets à l'Agence nationale de la recherche. Cela n'est pas étonnant, car, dans la précédente législature, on a diminué de 700 à 500 millions d'euros le budget de l'Agence et, partant, le nombre de succès dans les appels à projets. Notre objectif est bien d'octroyer des financements à l'ANR afin que les projets financés soient plus nombreux à l'avenir.
Toutefois, lorsque nous redonnons 450 millions d'euros par an à la recherche de base, et que nous nous engageons à en augmenter, dans le même temps, les financements de 10 % dès l'année prochaine pour atteindre plus 25 % d'ici à 2023, il faut sortir de l'idée que nous ne réarmons que l'ANR. Cela dit, j'assume que nous réarmions celle-ci, car nous avons besoin d'une grande agence nationale de la recherche, ne serait-ce que pour chercher les projets à l'international et en Europe. Comme pour tout, il faut s'entraîner pour déposer des projets et obtenir des financements.
S'agissant des CDI de mission scientifique, demandez l'avis des jeunes docteurs recrutés en CDD, à qui l'on ne peut pas, même si les financements sont disponibles pendant dix ou douze ans, proposer un contrat excédant six ans, car cela détruirait un emploi titulaire. Les CDI de mission scientifique eux, peuvent être conclus pour douze ans, que le projet dure autant ou que le laboratoire, l'université ou le département en définisse un nouveau dans le cadre duquel le chercheur continuera à mettre tout ce qu'il a appris au service de son équipe, dans son établissement. Il ne s'agit donc pas de remplacer quoi que ce soit. Et non, on ne peut pas créer des emplois de fonctionnaire avec de l'argent venant de l'Europe ; on ne peut pas titulariser des personnes recrutées grâce à des contrats européens.
Le fait d'avoir fini de rembourser à l'Agence spatiale européenne (ESA) la dette d'un milliard d'euros, non financée, que nous avions trouvée, explique que le programme du secteur spatial semble reculer par rapport à l'an dernier. En réalité, il continue d'augmenter. Les engagements qui ont été pris envers l'ESA sont prévus dans le projet de loi de programmation.
Le choix a été fait de commencer la revalorisation par ceux qui touchent les rémunérations et les primes les plus faibles. C'est pourquoi, dès cette année, tous les maîtres de conférences toucheront au moins 1 000 euros de plus par an et tous les chargés de recherche recevront près de 1 300 euros annuels de plus. D'autres renforcements de leur régime indemnitaire s'ajouteront l'année prochaine. Nous avons donc choisi de commencer la revalorisation par les maîtres de conférences, les chargés de recherche et les catégories C des personnels de soutien à la recherche, qui ont les rémunérations les plus faibles et le moins de pouvoir d'achat.
Encourager les entreprises à investir dans la recherche et le développement est une condition indispensable pour amener les connaissances et les preuves de concept vers le marché. Cette démarche doit être renforcée. L'État doit soutenir et financer la création de connaissances, et des « passeurs » doivent les emmener un peu plus loin. Ensuite, les entreprises prennent leurs risques, ce qui est normal. C'est là le principe de la recherche et développement. Il faut faciliter et simplifier les dispositifs, penser de nouvelles possibilités de passerelles et des allers-retours afin que l'investissement des entreprises dans la R&D suive l'investissement massif que l'État réalise dans le secteur public. C'est ainsi que cela se passe dans tous les grands pays de recherche. Statistiquement, le financement de ces dépenses s'établit toujours à un tiers pour l'État, deux tiers pour les entreprises.
Naturellement, il faudra suivre les indicateurs pour garantir le maintien de la trajectoire, mais ce que j'ai entendu cet après-midi me rend certaine que personne ne souhaitera revenir sur ce projet de loi pour en abaisser les ambitions – pour les augmenter, peut-être, ce dont je ne pourrais que me réjouir.
La question de l'évaluation est essentielle : comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, il s'agit de savoir, non pas si nous en avons trop ou pas assez, mais à quoi cela sert. Évaluer c'est d'abord voir où l'on en est et quels outils donner pour accompagner et progresser. Ensuite, c'est prendre en compte toutes les missions remplies par les chercheurs au cours de leur carrière. À ce jour, les carrières des chercheurs et des enseignants-chercheurs ne sont fondées que sur la bibliométrie. Or, une fois de plus, la recherche est un travail d'équipe. Un laboratoire est aussi reconnu par sa capacité à passer des contrats industriels, à promouvoir la culture scientifique et technologique, à intéresser des étudiants pour qu'ils le rejoignent, à donner le goût de la science et de la recherche aux collégiens et aux lycéens. De même, l'investissement pédagogique, la capacité à repenser ses enseignements, à les moderniser et les mettre plus en phase avec ce que sont les étudiants aujourd'hui sont fondamentaux pour les enseignants-chercheurs. Tous ces aspects sont importants et doivent être pris en compte dans les carrières et les promotions.
Il faut donc repenser l'évaluation en profondeur. Ce travail fondamental sera mené avec tous les représentants des personnels. Il permettra à l'ensemble des chercheurs et enseignants-chercheurs de redevenir fiers de ce qu'ils font et de ne plus s'estimer de seconde zone parce qu'ils ne publient pas assez, ou peu reconnus alors qu'ils font fonctionner tout le département de formation. Mon objectif est d'éviter tout ce qui fracture le monde de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Non, la rentrée universitaire ne s'est pas faite dans l'improvisation. Il faut respecter le travail de l'ensemble des personnels qui, tout l'été, l'ont préparée. Je tiens, une fois de plus, à les saluer et à les remercier de leur engagement exceptionnel, qui fait honneur au service public.
L'interdisciplinarité et le rôle des sciences humaines et sociales sont évidents. Soyons fiers de ces disciplines, même si elles requièrent naturellement des outils et des organisations adaptés. Dans l'appel à projets flash qui a été lancé sur la question de la covid, 30 % des projets sélectionnés, retenus et financés relèvent de ces secteurs. Changeons notre représentation de ces disciplines, qui contribuent de manière considérable à l'avancée des connaissances et de la recherche.
L'objectif de 100 % des doctorants financés, fixé au niveau macroscopique, signifie bien que nous créerons des contrats doctoraux supplémentaires. Environ 25 % de doctorants n'ont pas de financement actuellement. Nous augmenterons de 20 % ceux de l'État et, pour les 5 % restants, nous travaillerons avec les collectivités, les associations, les régions et le mécénat. Nous ne diminuerons donc pas le nombre de doctorants pour l'aligner sur celui des financements, ni n'opérerons de substitution entre les futurs contrats postdoctoraux et les contrats d'ATER, bien utiles pour finir un doctorat car, dans certaines disciplines, la durée d'un contrat doctoral peut être trop courte. Les contrats d'ATER sont aussi un engagement à se présenter à des concours d'enseignant-chercheur.
Dans le monde des entreprises, il est difficile de financer un post‑doctorat au travers d'un CDD, car la période est trop courte pour conduire un projet de recherche. Les contrats postdoctoraux visent donc à renforcer la situation du post‑doctorant en lui donnant une sécurité et une stabilité, qui sont largement attendues.
Je terminerai par quelques remarques qui ne sont pas spécifiques au projet de loi de programmation.
Nous continuons à déployer le plan Étudiants. C'est pourquoi l'augmentation du budget du ministère ne se résumera pas à celle de la loi de programmation. Le plan de relance consacrera 180 millions à la création de places supplémentaires. Les demandes des étudiants portent souvent sur des structures hors université. La demande est très forte, par exemple, pour le secteur paramédical, les métiers du soin – infirmier, orthophoniste, rééducateur –, que les jeunes ont découverts depuis l'épidémie et dont ils considèrent qu'ils ont un sens. Toutes ces formations sont actuellement financées par les régions. Le Gouvernement a choisi d'aider celles-ci à augmenter de plusieurs milliers le nombre de places dans ces formations.
Nous avons également soutenu l'apprentissage, car 170 000 bacheliers ont demandé des formations sous cette forme cette année. Avec la ministre du travail, nous organisons bientôt un important forum de l'apprentissage, et je vous invite à diffuser l'information : les 15 et 16 septembre prochains, toutes les offres de place des entreprises seront proposées aux jeunes qui recherchent des formations en apprentissage.
Quant à l'IDEX de Lyon-Saint-Étienne, ce n'est pas moi qui, devant un jury international, en contrepartie de financements, ai pris l'engagement d'une telle structuration du paysage de l'ESR. Pour ma part, j'accompagne les acteurs, dans les endroits où la démarche a eu du succès comme dans ceux où elle n'en a pas eu : il ne revient pas au ministère d'annoncer que les établissements fusionnent ou s'associent.
Je suis, par ailleurs, surprise de vous entendre dire, monsieur Juanico, que l'ensemble des personnels de l'université de Saint-Étienne sont contre le projet : ce sont bien eux qui ont récemment élu leur présidente sur le projet de réussir l'IDEX. Vous dites aussi que les élus estiment très important de garder une université de plein exercice, mais nous parlons là d'un projet académique d'enseignement supérieur et de recherche, qui a été soutenu et présenté par des établissements, qui ont depuis renouvelé leurs instances. Je soutiendrai les projets que les établissements ont défendus. S'ils décident de ne pas tenir les engagements évoqués devant le jury international, ils prendront leurs responsabilités et perdront les financements de l'IDEX. Je serai navrée que les établissements de Lyon-Saint-Étienne n'apparaissent pas sur la carte des meilleurs sites universitaires de France et qu'ils ne puissent pas bénéficier de cette visibilité, notamment pour attirer des chercheurs et des étudiants internationaux, mais je respecterai entièrement la capacité des établissements à tenir ou non les engagements qu'ils ont eux‑mêmes pris. Si je comprends l'intérêt des politiques, notamment du maire de Saint‑Étienne, je ne suis pas persuadée qu'il joue pour son université. Je respecte pourtant son choix. J'ai déjà proposé qu'il soit reçu par mon cabinet. Je les recevrai et les entendrai, mais il est bon que les acteurs qui s'engagent, dans l'ESR comme ailleurs, tiennent les engagements qu'ils ont pris.