La période que nous avons vécue au moment du confinement a été extraordinaire en matière de numérique et il faut évidemment essayer d'en mesurer tous les impacts. C'est la raison pour laquelle le ministre a décidé l'organisation des États Généraux du numérique pour l'Éducation. Il l'a annoncé très tôt, début avril, pour nous permettre d'effectuer un retour d'expérience sur toutes les initiatives qui avaient été portées et sur les difficultés rencontrées.
Je vous présenterai la synthèse de la concertation que nous avons déjà été amenés à porter et que nous poursuivons actuellement avec l'organisation d'États Généraux territoriaux, de façon à associer tous les acteurs de proximité qui se sont mobilisés durant le confinement. Nous avons identifié cinq axes qui correspondent à un état des lieux de la situation.
Le premier axe, dont nous pouvions penser qu'il était derrière nous, est celui de la fracture numérique. La fracture numérique a été bien présente et a été importante pour un certain nombre d'élèves. Elle concernait les questions d'équipement et l'accès à la connexion. Nous estimons que plus de 500 000 élèves n'ont pas eu la possibilité de suivre la continuité pédagogique. La question de la fracture numérique est donc un enjeu crucial dans le cadre de la mise en place de politiques publiques.
Au-delà de la question de la fracture numérique, s'est posée celle de l'inclusion, puisque les élèves en situation de handicap se sont retrouvés particulièrement en difficulté durant cette période. En effet, ils n'avaient pas d'accompagnant des élèves en situation de handicap (AVS) à côté d'eux et les outils numériques n'étaient pas toujours adaptés. Nous savons la question de l'inclusion importante et elle doit prendre une autre dimension dans le développement d'un certain nombre d'outils et de services.
Après cette première thématique autour de la fracture numérique et de l'inclusion, la le deuxième axe concerne la collaboration et la coopération. Nous avons observé que les établissements qui avaient mis en place des pratiques professionnelles basées sur la coopération ont beaucoup mieux répondu aux enjeux du confinement. Tous les retours d'expérience académiques vont dans ce sens.
La question de la coopération n'est pas une dimension nouvelle. Des études récentes de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) montraient bien que l'efficience d'un système éducatif repose sur les enjeux de coopération entre enseignants. Lors du confinement, nous avons vu que les chefs d'établissement qui avaient su mettre en place d'autres pratiques de collaboration au sein de leur établissement avaient mieux répondu à ces enjeux de confinement. La question est donc : comment offrir des outils de coopération, de collaboration à l'ensemble de la communauté éducative pour permettre de travailler différemment ? Il s'agit de construire des communs numériques pour l'ensemble de la communauté éducative et de faire en sorte que, à travers ces outils, nous puissions mieux travailler ensemble et travailler autrement.
Le troisième axe est bien évidemment la façon d'enseigner et d'apprendre avec le numérique. Nous ne sommes pas dans un domaine nouveau. Les politiques publiques, depuis trente ans, ont beaucoup insisté sur cet enjeu. L'expérience du confinement met tout de même certains éléments en avant, notamment le fait que nous avons essentiellement utilisé des outils numériques destinés à la mise à disposition de contenus, permettant de déposer ou d'accéder à des documents.
Nous avons été ainsi amenés à proposer des environnements numériques de travail, qui ont permis de répondre à un certain nombre d'enjeux, mais nous n'avons pas utilisé massivement des outils permettant l'acquisition de nouvelles connaissances et compétences. Les outils utilisés ont servi à la consolidation des compétences et des acquis. Toutefois, lorsque la période de confinement a duré, les outils permettant un processus pédagogique d'acquisition de savoir et de connaissances n'ont pas été utilisés alors qu'ils existent. Il nous faut donc aller au-delà du numérique tel qu'il a été pratiqué pour qu'il s'ancre durablement dans l'ensemble des pratiques pédagogiques.
L'enjeu est le développement des compétences numériques des élèves : comment les renforcer ? Nous avons mis en place des outils et des dispositifs dont certains sont généralisés cette année à travers la certification des compétences numériques des élèves, avec l'outil de certification Pix, en fin de troisième et en fin du cycle terminal. Cela nous permettra de renforcer la certification des compétences numériques des élèves. Il nous faut, de plus, intégrer ces compétences de manière massive dans le cadre des enseignements comme lors de la réforme du lycée avec l'introduction des sciences numériques et technologiques et la mise en place de l'enseignements de spécialité « Numérique et Sciences informatiques ». Cette transformation a eu lieu ces derniers mois et ces dernières années, mais, il nous faut, bien entendu, aller plus loin.
Enseigner et apprendre avec le numérique touche aussi les compétences numériques des enseignants. Nous devons également être en capacité de certifier les compétences numériques des enseignants, donc rentrer dans un processus de démultiplication des compétences numériques des enseignants. C'est la raison pour laquelle nous mettons actuellement en place un Pix-Enseignant, qui permettra de certifier les compétences numériques des enseignants et de les intégrer dans un développement professionnel des enseignants. Cette dimension est également très importante. D'autres dimensions sont à intégrer dans cet axe, mais j'insiste particulièrement sur ces points.
Le quatrième axe concerne la donnée. La question de la souveraineté a été rappelée plusieurs fois ce matin. Nous devons être capables de mettre de place tous les dispositifs qui nous garantiront la protection et la valorisation de la donnée. Dans son discours de l'Université d'été du numérique pour l'éducation Ludovia en août 2018, le ministre a bien insisté sur ces deux dimensions et c'est la feuille de route sur laquelle nous nous sommes appuyés. Cela prend à l'aune du confinement une dimension bien particulière.
Le ministre a insisté sur deux piliers : protection et valorisation. Il faut que nous puissions protéger l'ensemble des données personnelles et cela nécessite la mise en place d'un certain nombre de dispositifs, dont le comité d'éthique fait partie. Nous travaillons pour créer un code de conduite avec l'ensemble des acteurs du numérique éducatif privé, que vous rencontrerez dans la deuxième table ronde. Le code de conduite est l'un des outils du RGPD qui permet, pour un secteur d'activité déterminé, de définir des règles spécifiques. Nous avons besoin de ces règles spécifiques, entre autres, parce que la donnée d'éducation n'est pas considérée comme une donnée sensible, au sens réglementaire du terme. Il nous faut donc déterminer des règles spécifiques. C'est le travail que nous effectuons depuis plusieurs mois avec les acteurs de la filière pour qu'ils portent un code de conduite nous garantissant un renforcement de la protection des données numériques des élèves.
La question de la valorisation des données est également essentielle. Il faut pouvoir les utiliser pour offrir de nouveaux services et mettre à disposition de nouveaux outils. Nous avons parlé, par exemple, d'intelligence artificielle pour permettre la différenciation dans les apprentissages. Ces dispositifs sont particulièrement utiles dans le cadre d'acquisition de connaissances, de savoirs et de compétences, mais ils ne sont possibles qu'à travers une utilisation de la donnée. Nous réfléchissons donc autour de la donnée pour construire une stratégie. Avec le confinement, il faut accélérer la mise en place de ces dispositifs.
Le dernier axe porte sur la gouvernance et l'anticipation. Le numérique éducatif est actuellement en gouvernance partagée avec l'ensemble des collectivités territoriales. Nous avons observé une formidable mobilisation des collectivités territoriales pendant la période de confinement. En quelques jours, elles ont été amenées à stabiliser, avec l'ensemble des éditeurs privés, les ENT et elles ont réussi à faire un travail très conséquent. Elles ont pris leurs responsabilités. Elles ont des politiques très ambitieuses sur le numérique. Il faut que nous soyons dans cette gouvernance partagée et que nous revoyions nos modes de gouvernance avec l'ensemble des collectivités territoriales.
L'enjeu, absolument essentiel, sur le primaire est sous-jacent à l'ensemble de ces thématiques. Il faut construire ce numérique éducatif pour le primaire avec les collectivités territoriales, les communes en particulier. Nous avons observé beaucoup de faiblesses sur ce point.
Enfin, je terminerai par un mot sur notre capacité d'anticipation. Nous vivons une crise majeure et nous risquons d'en vivre encore quelques-unes au cours du XXIe siècle. Nous voyons que l'école est le pilier dans le cadre de ce type de crise. Nous devons absolument utiliser le numérique pour nous permettre d'anticiper les crises futures, notamment par la mise en place de nouveaux outils renforçant notre capacité d'anticipation.