Intervention de Margarida Romero

Réunion du mercredi 23 septembre 2020 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Margarida Romero, directrice du Laboratoire d'innovation et numérique pour l'éducation (LINE), Unité de recherche de l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation (Inspé) de l'Académie de Nice et de l'Université Nice Sophia Antipolis :

Le risque de penser que le numérique va tout résoudre existe. Le numérique, pour nous chercheurs en sciences de l'éducation, n'est pas une question de numérique, mais une question d'enseignement et d'apprentissage. L'apprentissage est même beaucoup plus important que l'aspect enseignement. Quels sont les conditions, lieux, contextes, outils, ressources, personnes et autres éléments que nous mettons en place pour faciliter les apprentissages, le développement de compétences des élèves ?

Le numérique est un vecteur clé et nous retrouvons en quelque sorte le problème de l'œuf et de la poule. Que faire d'abord ? Il faut quand même avoir une culture numérique importante pour savoir quand nous pouvons l'utiliser et quand il apporte une plus-value. Il est donc très important d'augmenter la culture numérique de l'ensemble des acteurs, des élus aussi bien que du corps enseignant et des familles. C'est cette culture numérique qui nous permettra de prendre les bonnes décisions pour l'apprentissage, pour assurer l'inclusion sociale de l'ensemble des élèves et l'accessibilité, pour éviter les décrochages et assurer la réussite pour tous. La question doit donc se poser avant tout sous l'angle de l'apprentissage : que devons-nous mettre en place pour assurer ces apprentissages ? Le numérique n'est pas toujours la solution.

Un des piliers est le fait de créer des écosystèmes éducatifs. Pour revenir au proverbe africain, il faut un village pour élever un enfant. Il nous faut reconstituer ce village, avec des tiers lieux dans lesquels se trouvent les ressources, numériques ou pas, telles que prêt de matériel, accès à des petits robots, accès à tous ces éléments que les familles et les écoles défavorisées n'ont pas. Quels sont donc ces lieux de vie collective que nous pouvons mettre en place pour constituer un village éducatif dans lequel l'ensemble des citoyens peut avoir accès à ces ressources ?

Il faut également travailler sur les liens entre les différents acteurs, la façon dont nous pouvons travailler ensemble. Les maisons universitaires de l'éducation ainsi que d'autres initiatives qui regroupent ces acteurs sont d'excellentes initiatives pour collaborer. Il ne s'agit pas de savoir si c'est Canopé ou le CNED ou l'université ou tel acteur. Nous sommes face à des enjeux éducatifs énormes d'inégalités, d'accessibilité et de réussite scolaire pour tous. Il faut que l'ensemble des acteurs puisse collaborer. La notion de tiers lieu et d'ouverture est essentielle.

Par exemple, actuellement, les Inspé ferment très tôt alors qu'ils devraient être la maison de tous les enseignants et pouvoir accueillir au-delà des horaires habituels des réunions ou d'autres activités. Il faut ouvrir les lieux éducatifs pour que tout enseignant ou toute famille qui veut s'impliquer davantage dans la création de ressources numériques ou dans la mise en place de projets puisse le faire. Les acteurs sont présents.

Dans les communes où cela est possible, celles qui ont développé cette vision, cela fonctionne. Ainsi, de très belles initiatives sont développées autour de Nice et de Sophia Antipolis parce qu'il existe un écosystème. Cet écosystème est constitué d'EducAzur, porté par Gérard Giraudon, de chercheurs, d'entreprises du numérique, du réseau Canopé, de la cellule académique recherche, développement, innovation, expérimentation (CARDIE) avec Frédérique Cauchi-Bianchi ainsi que la délégation académique au numérique pour l'éducation (Dane). L'ensemble des acteurs collabore et parvient à trouver des solutions.

Enfin, le rejet du tout à distance est tout à fait normal. Nous avons tous souffert du fait d'être en permanence à distance, en visioconférence. Cela a été horrible, nous pouvons le dire. Nous sommes des mammifères et nous avons besoin de socialisation, de se voir, de se rencontrer. Il est tout à fait normal que des élèves, des enseignants, des familles aient trouvé cette expérience d'apprentissage vraiment horrible. Il faut bien faire la différence. Une classe numérique n'est pas forcément un écran ni une visioconférence.

Comme l'ont signalé mes collègues, derrière la classe numérique se trouve un métier méconnu : celui de l'ingénierie pédagogique pour la formation médiatisée par le numérique, à distance ou non. Il faut comprendre que c'est un métier qui s'apprend. Enseigner s'apprend et enseigner avec le numérique s'apprend également. Ce que nous avons vécu durant cette période n'a pas du tout été une belle expérience de formation avec le numérique. Cela n'a été qu'une diffusion, un peu comme au moment de l'invention de la télévision où l'on faisait du théâtre filmé. Nous avons vu des enseignants qui essayaient de tenir leur classe par visioconférence et cela n'a pas de sens. Cette expérience n'est pas celle que nous souhaitons développer. Il faut avancer avec les acteurs et les experts du domaine pour trouver comment construire ce village éducatif avec les outils, numériques ou non, qui permettront à tous de réussir.

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