Merci monsieur le Président. Mesdames et messieurs les députés, permettez-moi de présenter mon parcours avant de résumer le projet que je propose pour le HCÉRES. Je suis né dans une famille de la classe moyenne de province, où l'on n'avait pas le bac. J'ai été aspiré par le système scolaire jusqu'à l'École polytechnique, mais le sentiment de rouler sur des rails que je n'avais pas choisis m'a amené à en démissionner pour aller étudier la philosophie et les mathématiques à l'Université, à Clermont-Ferrand puis à Paris. J'ai débuté une carrière universitaire en mathématiques pures comme assistant à l'Université Pierre et Marie Curie, avant d'être nommé professeur dans une université nouvelle de banlieue, issue du plan Université 2000 porté par Lionel Jospin et Claude Allègre, à Cergy-Pontoise. J'y ai passé quinze ans.
Je voudrais insister sur cette expérience, car il s'agissait d'une université ancrée dans son territoire, à forte vocation de professionnalisation et d'ouverture sociale, mais qui avait aussi de grandes ambitions dans plusieurs domaines de recherche, en particulier les mathématiques et l'économie. Les personnels y étaient, et sont toujours, très engagés dans leur mission est très unis autour du projet. J'y ai connu d'une part l'essor de ma carrière de recherche, en publiant et en voyageant beaucoup, d'autre part l'épanouissement que peuvent procurer les projets collectifs, puisque j'ai été élu président, après avoir assumé plusieurs missions d'intérêt général. J'ai été élu vice-président de la Conférence des présidents d'universités (CPU) au moment où la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (dite loi LRU) se négociait. J'en ai suivi la mise en œuvre auprès de la ministre Valérie Pécresse comme conseiller spécial, puis comme directeur adjoint du cabinet.
J'ai été engagé comme directeur du programme Centre d'excellence dans l'entreprise des investissements d'avenir, dont l'une des traductions, dix ans plus tard, est la constitution de deux superbes ensembles universitaires sur le plateau de Saclay : l'Université Paris-Saclay et l'Institut polytechnique de Paris, qui transcendent l'antique division entre universités et grandes écoles tout en préservant la richesse des deux systèmes. Le succès éclatant de l'Université Paris-Saclay dans le classement de Shanghai n'est qu'un signe de ce qui peut s'accomplir là-bas, qu'il s'agisse de calcul quantique, de neurosciences ou d'intelligence artificielle.
J'ai ensuite été recruté par l' Australian National University à Canberra, dont j'ai dirigé pendant deux ans et demi l'Institut de mathématiques. Je suis rentré en France pour présider l'université Paris Sciences et Lettres (PSL), construite autour de l'École normale supérieure, de l'Université Paris-Dauphine, de l'École des mines de Paris, de l'École pratique des hautes études et de plusieurs autres établissements très prestigieux. Il s'agit de l'une des grandes universités de recherche qui nous permettent d'espérer remettre notre pays à la place qu'il mérite dans le concert mondial de l'enseignement supérieur et de la recherche. J'y ai vu des initiatives magnifiques, comme un premier cycle d'excellence comportant 50 % de boursiers, le doctorat sciences, arts et création, avec les écoles d'art, ou des programmes sur l'origine de la vie, ou encore le programme Scripta sur l'origine de l'écrit. C'est aussi l'institution qui nous a permis de faire revenir en France le prix Nobel Esther Duflo, espérons pour longtemps.
Enfin, depuis trois ans, je suis conseiller pour l'éducation, l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation à la Présidence de la République, et je n'ai pas eu l'impression de perdre le fil de mes préoccupations de toujours dans cette fonction.
Je voudrais insister sur le fait que, si mon activité de recherche a évidemment une intensité variable au gré de mes responsabilités, je suis encore actif et j'en tire de grandes satisfactions. J'ai publié environ 70 articles dans des revues internationales à comité de lecture, qui ont été cités environ 2 500 fois. Surtout, je pense avoir apporté une contribution substantielle à certains aspects de l'analyse géométrique contemporaine. J'essaie encore d'aborder des sujets nouveaux pour moi : je termine actuellement avec un collaborateur australien un livre sur l'effet régularisant des semi-groupes d'opérateurs non linéaires.
J'ai par ailleurs gardé de mes années d'études, de mes lectures en philosophie et de mes deux présidences d'établissements pluridisciplinaires, un intérêt soutenu pour la variété des disciplines, et en particulier pour le champ des sciences humaines et sociales. Pendant toutes ces années, j'ai pensé, éprouvé concrètement et, à l'occasion, affirmé publiquement, que l'évaluation était un facteur crucial de progression de notre système d'enseignement supérieur et de recherche. Je voudrais vous dire comment je la conçois.
L'enseignement supérieur et la recherche doivent être plus que jamais au cœur de nos préoccupations collectives, pour au moins deux raisons. D'abord, il est nécessaire de former les jeunes, mais aussi les adultes, non plus à des qualifications fixées une bonne fois pour toutes et valables pour toute leur vie professionnelle, mais à la possibilité de se qualifier et de se requalifier toute leur vie durant — c'est une définition possible de l'enseignement supérieur. Puis, si nous voulons surmonter les crises et les transitions, nos économies vont devoir devenir de plus en plus des économies de l'innovation, donc se fonder sur la recherche. C'est là une formulation dans un langage socio-économique, tout particulièrement impérieuse en temps de crise ou de relance, mais on pourrait la formuler en termes sociétaux et environnementaux : il s'agit à bien des égards d'une affaire de souveraineté.
Il est tout aussi clair qu'en matière de formation et de recherche, la qualité compte au moins autant que la quantité. J'aime à rappeler qu'un des plus grands mathématiciens du XXème siècle, Peter Lax, a publié seulement une quinzaine d'articles — mais chacun d'eux ouvre un monde. Les moyens, si importants soient-ils, sont toujours limités : il faut donc faire des choix, basés sur une évaluation objective de la qualité des activités conduites, et mettre en place des démarches qui visent à l'améliorer.
Cette évaluation a posteriori est d'autant plus nécessaire que nous sommes dans un système qui n'est pas, comme dans d'autres pays, régulé par le marché des étudiants et des enseignants-chercheurs, où l'essentiel des ressources est apporté par l'État, et où les acteurs, universités, écoles et organismes de recherche, sont largement autonomes, même dans le cadre de leur mission de service public. Une telle évaluation, souhaitable pour toute politique publique, nécessite une méthodologie rigoureuse et transparente, et ne peut évidemment se résumer à une auto-évaluation. Dans le contexte universitaire, elle se doit aussi de respecter deux principes fondamentaux : la liberté académique et le fait que le seul jugement valide est celui qui est formulé par les pairs.
C'est ce qui a conduit des grands pays scientifiques à créer des agences, issues de la communauté scientifique mais bénéficiant d'une forme d'extériorité par rapport à elle, chargées d'évaluer sans pression extérieure les systèmes d'enseignement supérieur et de recherche. Coupler autonomie et évaluation a posteriori, c'est évidemment un grand progrès par rapport au cadre rigide et a priori que nous avons connu il n'y a pas si longtemps.
La France, sous l'impulsion initiale de Laurent Schwartz, dans son livre de 1983 intitulé Pour sauver l'Université, a mis en place par étapes, et en suivant une courbe d'apprentissage, un tel dispositif, à travers le Comité national d'évaluation des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (CNÉ), l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AÉRES) et le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCÉRES). Nous disposons désormais, depuis plusieurs années, d'une agence aux procédures bien établies, rigoureuse, professionnelle, aux standards internationaux, qui rythme la vie universitaire au gré de vagues quinquennales d'évaluation et de contractualisation, et qui produit des rapports dont le contenu est très largement reconnu et accepté. C'est un acquis précieux, qui devrait être défendu par tous ceux qui déplorent notre dépendance à l'égard des classements internationaux. Le fait qu'après dix ans d'efforts et d'investissements, les plus brillantes de nos institutions aient récemment commencé à y figurer aux premières places ne doit pas nous dispenser de porter notre propre regard sur l'ensemble de nos activités d'enseignement supérieur et de recherche.
Néanmoins, le mandat du président et du collège du HCÉRES en cours de désignation doit être l'occasion d'un certain nombre d'évolutions. Je voudrais, pour les envisager, repartir d'un certain nombre de principes. Le HCÉRES évalue les établissements, les unités de recherche et les formations — pas les individus. On oublie souvent les établissements et la formation pour se concentrer sur la recherche. Il est pourtant crucial de se demander si les établissements autonomes accomplissent leur mission de service public dans toutes ses dimensions, et en particulier si l'enseignement qui leur est dispensé est profitable aux étudiants. Or nous avons une fâcheuse tendance à oublier que nos étudiants sont au centre du système. Ce sont clairement des axes de travail à continuer de consolider.
Le HCÉRES, qui a les moyens d'une vision globale, doit pouvoir contribuer de façon transversale à l'évaluation des politiques de formation : que l'on pense par exemple aux effets de la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE), ou à la réforme des études de santé. L'évaluation par les pairs, professionnelle et impartiale, est depuis toujours consubstantielle à l'activité de recherche, et plus généralement à l'activité académique. Néanmoins, c'est une démarche qui réclame prudence, scrupules et discernement : qui peut juger à coup sûr de l'avenir et de la portée d'une découverte ? Il faut laisser les chercheurs prendre des risques, explorer des voies nouvelles et tracer leur chemin. J'ai toujours présent à l'esprit le cas de mon ami Jacques Laskar qui, ayant montré que le système solaire était instable, s'était entendu répondre par des hiérarques que, si c'était vrai, cela se saurait !
Dans le temps long, et avec les précautions nécessaires, il est possible de faire des paris raisonnables et de distinguer l'excellent et l'innovant du routinier ou du conformiste. En particulier, l'évaluation de la recherche ne saurait se résumer à l'application d'un algorithme ni être purement quantitative. Elle doit s'adapter à la variété des pratiques disciplinaires. Je pense évidemment aux sciences humaines et sociales, dont les modes de production et de diffusion ne ressortissent pas principalement de la publication dans des revues, mais où la maturation est plus longue et où le vrai impact est le livre.
Les procédures objectives, transparentes et impartiales dont le HCÉRES est le garant – je rappelle que ni le HCÉRES, ni bien sûr son président, n'évalue rien directement, mais confie ce soin à des experts français ou internationaux reconnus – ne sont en rien incompatibles avec une empathie avec le savoir dans sa variété. Cette variété, cette ouverture à la communauté scientifique, le HCÉRES doit l'incarner dans ses instances, dans ses procédures, dans son collège.
Il est important de maintenir une distinction entre l'évaluation et la décision, c'est‑à‑dire entre les responsabilités du HCÉRES d'une part, des établissements et des tutelles, d'autre part. Le métier de l'évaluateur est d'établir une photographie aussi fidèle que possible de l'existant. Mais, in fine, c'est le ministère qui est amené à allouer les moyens et à répartir les budgets entre des établissements autonomes, qui déterminent leur propre stratégie. Cette répartition peut se faire à la taille, à la réputation, à l'influence, à l'héritage. La tentation est grande de procéder par simple reconduction et adaptations à la marge. Qui peut contester que cette répartition gagne à être informée par l'avis structuré des pairs ? Cela ne dépossède en rien le politique de sa responsabilité que de décider en connaissance de cause. Il peut légitimement décider de soutenir encore plus ceux qui réussissent, pour pousser leur avantage compétitif et l'attractivité du pays. Il peut tout aussi légitimement décider, tout bien pesé, de soutenir des secteurs plus en difficulté parce qu'ils sont stratégiques ou n'ont pas eu les moyens nécessaires pour décoller. Mais cela ne peut se faire les yeux fermés ou en jetant un voile pudique sur les réalités.
L'évaluation suscite craintes et réticences. C'est paradoxal dans un pays qui s'enorgueillit d'une telle tradition universitaire. Et il est frappant de constater que ces réticences reposent largement sur des contresens. Si elle est conduite suivant des procédures transparentes et collégiales, l'évaluation n'est pourtant pas plus une limitation à la liberté de chercher et d'enseigner que les procédures collectives de recrutement et de promotion par les pairs, auxquelles les universitaires sont attachés. Cette réticence s'apparente, comme souvent en France, à un manque de confiance en soi. Soupeser, objectivement et collectivement, la qualité de ce qui est fait, c'est la plupart du temps valoriser ce qui est trop peu connu.
Pour être acceptée, l'évaluation, qui prend du temps et de l'énergie, doit apporter de la valeur aux établissements, au ministère, et plus généralement aux parties prenantes que sont le Parlement, les collectivités territoriales et les territoires, en particulier les régions et les métropoles, ainsi que les acteurs de la société en général, en les aidant à prendre des décisions qui améliorent la qualité globale du système, ou en leur donnant des repères sur un monde universitaire qu'ils ne demandent qu'à accompagner, mais dont la complexité les effraie.
En conséquence, une attention toute particulière doit être portée à la lisibilité et à la concision des rapports. On peut imaginer que les rapports du HCÉRES soient lus à l'étranger. Cela adviendra d'autant plus que, réciproquement, le HCÉRES sera sollicité, comme il l'est déjà, pour évaluer des institutions étrangères de plus en plus prestigieuses, et portera ainsi à l'international la qualité de nos institutions.
Mais, pour être acceptée, l'évaluation doit aussi être simple. Dans leur grande majorité, nos collègues ne contestent pas la nécessité d'être évalués et d'évaluer. Ils renâclent devant le fait de répéter les mêmes informations dans des formulaires toujours différents pour leur université, leur organisme de recherche, le Conseil national des universités, l'Agence nationale de la recherche, l'Europe, et le HCÉRES. Nous ne changerons pas l'écosystème en un jour, mais il faut faire une obsession de la simplification et du gain de temps pour les chercheurs, pour les enseignants et pour ceux qui acceptent des tâches administratives. C'est une question de volonté politique, c'est aussi une question de simplification des procédures et des systèmes d'information, et de lutte contre les redondances.
Le HCÉRES abrite deux institutions, qui ressortissent de métiers qui ne coïncident pas exactement avec le métier de l'évaluation, mais dont les rôles sont centraux pour l'évolution de notre système d'enseignement supérieur et de recherche. L'Observatoire des sciences et techniques (OST), qui produit des données agrégées rigoureuses, par établissement et par discipline, permet de se former un tableau exact et panoptique du positionnement international de la France et de ses institutions scientifiques dans les différents sujets. Je suggère d'ailleurs qu'on étudie la mise en place d'un Observatoire de l'enseignement supérieur qui, symétriquement, étudierait de façon transversale l'évolution de notre offre de formation et de la demande, des étudiants d'une part, du marché de l'emploi d'autre part. Cet Observatoire prêterait une attention toute particulière aux flux d'étudiants à tous les niveaux et à la couverture territoriale de l'offre. Ce serait un excellent instrument pour objectiver les avancées de l'égalité femmes-hommes et de l'ouverture sociale. Ces deux observatoires fourniraient le socle de données objectives sur lesquelles le HCÉRES appuierait les synthèses nationales par discipline dont il a déjà montré d'excellents exemples.
L'Office français de l'intégrité scientifique (OFIS), lui, s'attaque à un sujet, l'intégrité scientifique, dont l'importance a justement été soulignée par Pierre Corvol il y a déjà quelques années et dont l'actualité ne cesse de nous rappeler qu'il est crucial. Il s'agit de bien plus que d'écarts de conduite et de responsabilité individuelle, et de rien moins que des règles de validité que la science se donne à elle-même et, partant, de la confiance que le citoyen met dans la science et les scientifiques. L'OFIS doit animer un réseau de référents « intégrité scientifique » dans les universités et les organismes. Là aussi, rien ne serait pire que le déni de réalité ; la norme ne peut être créée que de façon collégiale mais elle doit être explicite.
Le HCÉRES doit s'honorer d'avoir été chargé de ces deux missions et faire en sorte de disposer des compétences nécessaires pour les assurer et les mettre en avant dans l'espace public. Son organisation ne doit pas être figée. Ses départements doivent fonctionner de manière plus intégrée et leur géométrie peut-être questionnée. Sa gestion doit être rendue plus rigoureuse, surtout s'il doit acquérir la personnalité morale. L'attention portée à l'évalué et à son temps doit se traduire par un fonctionnement plus efficace et moins bureaucratique.
Enfin, l'indépendance du HCÉRES doit être confortée. Vous avez d'ailleurs jugé opportun de la renforcer. Comme autorité administrative indépendante (AAI), que la loi pourrait transformer en autorité publique indépendante (API), il ne rapporte qu'au Parlement. Cette relation doit être rendue plus effective et, si je suis désigné, je me tiens à votre disposition pour vous rendre compte régulièrement de l'activité et des résultats du HCÉRES.
J'ai conscience des défis internes et externes devant lesquels se trouve le HCÉRES. Je me sens capable de les relever. Je suis un scientifique toujours actif et reconnu. J'ai été élu à la tête de deux universités très différentes. J'ai exercé des responsabilités scientifiques et administratives à l'étranger. J'ai, par deux fois, rejoint un cabinet, et contribué à l'entreprise des investissements d'avenir. J'ai gagné dans ce parcours, je crois, une vision d'ensemble du système, de sa complexité, mais aussi de ce qu'il porte en lui de promesses.
Au passage, j'ai attiré des critiques. Certaines ont porté sur un processus de nomination qui n'était pas inscrit dans les textes et que vous vous disposez à y faire entrer pour le futur. Je suis convaincu que ces critiques traduisent une angoisse et une incompréhension profonde du milieu, qu'il faut entendre, dont il faut comprendre les causes –car elles vont bien au-delà des questions de moyens – et qu'il faut traiter, en lui parlant directement et en lui redonnant de la confiance. Cela ne me fait pas peur. Au cours de ma carrière, il ne m'a jamais été difficile d'ouvrir le dialogue avec ceux qui portaient des points de vue en apparence opposés. L'Université peut mourir de l'absence de débat, elle ne mourra pas de la confrontation argumentée des points de vue.
Dans ce nouveau rôle ; si vous me le confiez, je ne devrai plus être porteur d'un modèle, pas plus celui des universités ancrées dans leur territoire, que j'ai bien connu, que celui des grandes universités de recherche auquel j'ai consacré une grande partie de ma vie professionnelle. La qualité devra être recherchée sans complaisance, mais sans a priori, à toutes les échelles et dans tous les compartiments du jeu.