Intervention de Roselyne Bachelot

Réunion du mardi 27 octobre 2020 à 18h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Roselyne Bachelot, ministre de la culture :

Trois éléments nous réunissent. C'est d'abord le diagnostic partagé de la crise dramatique que traverse le secteur culturel. C'est aussi le consensus qui prévaut sur le rôle irremplaçable que joue la culture. C'est encore l'hommage rendu à la plasticité des acteurs culturels, au fait que toutes et tous se sont efforcés d'adapter leurs pratiques pour ne pas se comporter comme de simples assistés, attendant des aides absolument indispensables mais surmontant autant que faire se peut les difficultés. Tous, aussi, avec des regards différents, avez salué l'augmentation exceptionnelle des crédits de la culture. Longtemps parlementaire, je sais le jeu obligé des majorités et des oppositions pour soutenir ou ne pas soutenir un budget, mais enfin vous avez tous souligné la réalité d'une hausse inédite.

Je répondrai pour commencer aux rapporteurs, et mes explications et précisions répondront aussi à certaines questions posées par les orateurs des groupes. Qu'en est-il de la répartition des crédits entre les monuments historiques appartenant à l'État et ceux qui appartiennent à des collectivités territoriales ou à des personnes privées ? Le projet de loi de finances pour 2021 prévoit d'allouer plus de 170 millions d'euros à des monuments n'appartenant pas à l'État, plus 5 millions en crédits de paiement, soit 55 % du montant total des crédits monuments historiques hors grands projets et 70 % des crédits monuments historiques déconcentrés ; les crédits qui leur sont affectés dans le cadre du plan de relance sont de 40 millions d'euros. Mon expérience me fait dire que, contrairement à ce que l'on croit, ces crédits seront peut-être difficilement consommés. En effet, ils ne correspondent pas à l'ensemble de la dépense envisagée : ils ont un effet incitatif, mais la volonté des propriétaires, publics ou privés, d'engager ces opérations ne suit pas toujours.

La restauration du château de Villers-Cotterêts est une opération de grande envergure. Propriété de l'État classée au titre des monuments historiques et dont l'état de conservation est dramatique, la rapporteure pour avis l'a souligné, ce château a été confié au ministère de la culture en 2017 puis au Centre des monuments nationaux en mars 2018. L'estimation du coût de la restauration est passée à 185 millions d'euros. Le plan de financement prévoit 55 millions d'euros du ministère de la culture, 30 millions d'euros du programme d'investissement d'avenir, 100 millions d'euros du plan de relance dont 10,7 millions de crédits de paiement en 2021. Il faut restaurer un château royal de la Renaissance, monument historique de première importance. Son attrait retrouvé irriguera le sud de la région des Hauts-de-France, particulièrement défavorisé.

On sait combien un grand monument, au-delà de son aspect patrimonial, participe de l'animation d'une région. Les grands équipements culturels font la fierté de ceux qui vivent dans une région qui a souvent été abandonnée ; cet effet – la revalorisation d'un territoire – a été précisément décrit par des urbanistes et des architectes. Le projet de création de la Cité internationale de la langue française n'est pas encore tout à fait affiné mais il est extraordinaire. La restauration et l'aménagement du château prévus d'ici 2022 permettront de déployer le projet culturel et scientifique. La crise sanitaire a provoqué la suspension des fouilles ; elles ont repris. Ce retard, comme il est de coutume, a entraîné un surcoût, mais le plan de financement du projet est bouclé, si bien que la Cité de la francophonie fonctionnera.

L'effondrement du mécénat a été critiqué. Ce n'est pas, hélas, le seul projet dans lequel le mécénat est déficient, mais comment reprocher à des opérateurs privés de l'avoir considéré comme une variable d'ajustement alors qu'ils affrontent une crise économique dure ? C'est un fait : certains projets ont été engagés avec la perspective d'un mécénat possible et cette possibilité s'est asséchée.

Vous m'avez interrogée sur le nouveau plan de rénovation du Grand Palais. Ce monument emblématique immense – on ne le sait pas toujours, mais sa superficie est supérieure à celle de Versailles – exige, sauf à ce qu'il s'effondre, d'importants travaux de restauration, de mise aux normes et d'aménagement. J'ai décidé de réorienter le projet de restauration défini en 2016 en privilégiant une vision plus écologique et plus économique. Le projet dit du Nouveau Grand Palais consiste à rénover ce monument historique très dégradé et à y assurer la tenue des épreuves des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 prévues pour s'y dérouler. Il respecte strictement l'enveloppe financière initialement fixée de 466 millions d'euros, qui avait dérivé d'une centaine de millions. Le nouveau projet est plus sobre et plus sûr. Les terrassements visant à créer en sous-sol une très grande plateforme sont abandonnés ; les démolitions et les constructions sont limitées, les éléments d'origine et les aménagements les plus structurants, notamment ceux qu'avait réalisés Pierre Vivien sous l'égide d'André Malraux, sont conservés. La restauration, non prévue au départ, des façades et de la statuaire est intégrée dans le budget imparti : ceux d'entre vous qui sont allés se promener au droit du Grand Palais auront remarqué que des filets empêchent les éléments architecturaux de leur tomber sur la tête…

Le projet révisé tient compte du nouveau contexte sanitaire et le projet artistique et culturel devra traduire la nouvelle ambition. Je tiens à votre disposition le dossier des cabinets d'architectes qui interviendront. Le plan de financement, inchangé, se décompose comme il suit : crédits budgétaires de 123 millions d'euros ; subvention du programme d'investissements d'avenir de 160 millions d'euros ; emprunt bancaire souscrit par la Réunion des musées nationaux – Grand Palais (RMN-GP) de 150 millions d'euros remboursables en vingt-cinq ans de janvier 2025 à 2049 ; mécénat Chanel à hauteur de 25 millions d'euros ; partenariats et ressources propres d'Universcience pour 8 millions d'euros. Sur la durée du projet, le programme 175 Patrimoines apportera 97 millions d'euros, un effort très significatif. Les 466 millions d'euros prévus comprenant une réserve de précaution de 30 millions d'euros, on passera donc d'un projet qui, maintenu dans son état initial, aurait coûté quelque 560 millions, à une version nouvelle, véritablement plus économe, avec un coût de 436 millions.

J'en viens à l'équilibre entre spectacle vivant et arts visuels. La crise sanitaire a eu un impact dévastateur sur le spectacle vivant ; selon les conclusions de l'étude du ministère, il aura perdu 72 % de son chiffre d'affaires en 2020 ; c'est le secteur le plus gravement affecté, et il le sera davantage encore avec le couvre-feu. Le chiffre d'affaires du secteur des arts visuels a aussi chuté, mais de 31 %. L'impact économique n'est donc pas comparable ; comprenez que nous ayons privilégié le soutien au spectacle vivant. Pour autant, le Centre national des arts plastiques (CNAP) a instauré des mesures d'urgence, à hauteur de 2,47 millions d'euros, pour soutenir le marché de l'art très affecté par l'annulation de certaines foires : une commission exceptionnelle d'acquisition a permis l'achat de 83 œuvres : un fonds d'aide d'urgence aux artistes destiné à compenser les pertes de rémunération a permis de soutenir 822 artistes ; un secours exceptionnel de 445 aides a été accordé. Notre soutien aux arts visuels reste donc entier. Sa part dans le budget du programme Création a augmenté : il dépasse désormais 10 % même en neutralisant l'impact des crédits destinés au relogement du CNAP. D'autre part, les arts visuels auront toute leur place dans le plan de relance : ils pourront par exemple soumissionner au plan de commande publique, dans le cadre du plan régional d'investissement.

Le Pass culture a suscité de nombreuses questions, dont celle de M. Larive, qui m'a accusée d'avoir une vision mercantile de la culture. Le budget que je défends montre que l'État et la politique de l'État sont au cœur de ma vision de l'art et rien, ni dans mon histoire ni dans mes engagements politiques, ne vous permet de penser cela, monsieur Larive.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.