Intervention de Aurore Bergé

Réunion du mardi 3 novembre 2020 à 17h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurore Bergé, rapporteure pour avis :

Le deuxième confinement qui, nous l'espérons, permettra de juguler une crise sanitaire inédite et mondiale, a rendu plus difficile encore la période que nous vivons. Cette crise a déjà un effet terrible sur le monde de la culture, et notamment sur le cinéma : nouvelle fermeture des salles, fort ralentissement des tournages, quand ce n'est pas leur interruption totale. A contrario, les grandes plateformes en ligne devraient poursuivre leur progression, déjà constatée lors du premier confinement, tout comme possiblement, malheureusement, le piratage. C'est pourquoi il était particulièrement important d'inscrire rapidement cette nouvelle lecture à notre ordre du jour, en vue de son adoption définitive le 18 novembre prochain.

L'enjeu est bien d'instaurer des conditions équitables de contribution à la production audiovisuelle et cinématographique. Faire contribuer les plateformes à la création française a pu être une nécessité ; aujourd'hui, c'est une urgence.

Permettez-moi de revenir très brièvement sur le contenu de ce texte, et notamment sur les ajouts que nous lui avons apportés, à l'unanimité, en séance publique, en première lecture.

L'article 24 bis transpose la directive relative aux droits d'auteur, qui reprend une partie du droit d'auteur à la française pour l'étendre à l'ensemble de l'Union européenne. Il met fin au régime d'irresponsabilité des plateformes, qui devront désormais répondre des contenus mis en ligne par leur intermédiaire et assurer du mieux qu'elles peuvent le respect des droits d'auteurs et des droits voisins attachés à ceux-ci.

L'examen en séance publique a permis d'apporter des précisions indispensables. Le projet de loi dispose désormais que les sites dont l'objet principal est de porter atteinte au droit d'auteur et aux droits voisins, autrement dit les sites pirates, ne pourront pas bénéficier du mécanisme d'exonération de responsabilité prévu à l'article 17 de la directive. C'est là un point important pour éviter que des acteurs malveillants ne profitent du nouveau régime que nous instaurons.

Un amendement a rappelé le principe de liberté contractuelle dans les relations entre les titulaires de droits et les plateformes, l'objectif étant de permettre aux auteurs et aux artistes interprètes de choisir s'ils souhaitent ou non autoriser la mise en ligne sur les plateformes de partage de contenus des œuvres ou objets protégés sur lesquels ils détiennent des droits.

Outre ces dispositions, la discussion en séance publique a permis d'apporter des garanties aux auteurs et aux artistes interprètes, grâce aux prises de parole de la ministre. C'est le cas des conditions de rémunération des artistes interprètes, qui doivent bénéficier d'une rémunération supplémentaire si leur rémunération initiale est exagérément faible. Il s'agit, en définitive, de préserver l'équilibre trouvé en commission lors de l'examen du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique : nous avions retenu le principe d'une rémunération « appropriée et proportionnelle ». En séance, le Gouvernement s'est clairement engagé à garantir cet équilibre : nous pouvons nous en féliciter.

Le Gouvernement s'est également engagé à respecter le principe de proportionnalité dans la transposition de la directive, s'agissant de son article 17 et de l'obligation faite aux plateformes de retirer les contenus publiés en violation du droit d'auteur et des droits voisins. C'est également important, car les créateurs sur les plateformes en ont besoin pour continuer à produire leurs contenus dans de bonnes conditions.

Depuis le dernier passage du projet de loi en commission, un nouvel article 24 ter A a été ajouté. Il était indispensable pour venir en aide au monde de la création, à la suite de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 8 septembre 2020 relative aux « irrépartissables juridiques ». Dans cette décision, qui défie le principe de réciprocité, la Cour a en effet jugé que les sommes provenant de la diffusion d'œuvres d'artistes interprètes situés hors de l'Union européenne, notamment américains, devaient être reversées à ces artistes, et ce quand bien même les artistes interprètes européens ne tireraient aucun bénéfice de la diffusion de leurs œuvres aux États-Unis.

Ces sommes étaient jusqu'alors utilisées sous forme d'aides à la création, pour un montant total de près de 30 millions d'euros par an. Nous pouvons certes déplorer les conséquences de cette décision, mais nous pouvons surtout agir pour en limiter les effets. C'est ce que nous avons fait grâce à ce nouvel article, qui valide les aides versées par le passé au titre des irrépartissables juridiques et qui prémunit donc les artistes et les organismes de gestion collective contre le risque de remboursement massif des aides perçues. Il faudra évidemment être attentif à l'avenir aux conséquences qui découleront de cette décision.

Enfin, nous réexaminons aujourd'hui l'article 24 ter qui permettra de faire contribuer au financement d'œuvres françaises les chaînes et les plateformes étrangères qui ciblent la France. Il s'agit d'une avancée considérable dans une période de crise du financement de la création.

L'examen en commission avait permis d'apporter plusieurs précisions, également adoptées à l'unanimité, quant au champ de l'habilitation, s'agissant notamment des couloirs distincts de contribution entre l'audiovisuel et le cinéma, de l'association des auteurs aux accords professionnels dans ces deux secteurs, ou encore de l'accessibilité des programmes notamment aux personnes handicapées.

La question des « droits monde » avait également fait l'objet d'un amendement et de prises de parole tout à fait explicites. Nous pouvons nous féliciter, à cet égard, que le décret en cours de préparation soit fidèle aux équilibres trouvés.

S'agissant de la contribution à la production indépendante, pilier de ce que nous défendons et que nous avions incluse dans le texte lors de la première lecture en commission, le Gouvernement s'est engagé à ne pas y intégrer les investissements des plateformes en parts de coproduction. Il s'agit d'un engagement salutaire si l'on ne veut pas déséquilibrer les relations entre les producteurs français et les grands acteurs internationaux.

Outre ces sujets, plusieurs amendements ont enrichi l'article en séance publique.

Un amendement du groupe La République en marche a ainsi affiné le périmètre de mutualisation de la contribution à la production des sociétés éditant plusieurs services. Le texte indique désormais avec précision que cette mutualisation pourra être effectuée au niveau d'un éditeur, d'un éditeur et de ses filiales ou d'un éditeur et des filiales de la société qui le contrôle. Dans le même esprit, l'amendement a rappelé que les contributions à la production d'œuvres cinématographiques, d'une part, et audiovisuelles, d'autre part, devront être prises en compte de façon distincte.

Enfin, un amendement du Gouvernement a élargi le champ de l'habilitation à la chronologie des médias. Passé un délai de négociation de six mois au maximum, et jusqu'à l'entrée en vigueur d'un tel accord au-delà de ce délai, un décret en Conseil d'État pourra déterminer la durée de chaque fenêtre d'exploitation. Il s'agit de donner les moyens à l'État de faire avancer les plateformes dans la chronologie des médias, contrepartie essentielle aux nouvelles obligations qui leur sont imposées, qui doivent s'exercer dans le respect des équilibres et des principes établis dans notre pays.

En définitive, je vous propose d'adopter conforme ces articles que nous avons largement enrichis en première lecture. Dans un moment extrêmement tendu, ils viendront en aide aux auteurs, aux artistes interprètes, au monde de la création et en particulier de la création audiovisuelle et cinématographique. Nous enverrons ainsi un signe extrêmement salutaire et significatif.

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