Intervention de Mariya Gabriel

Réunion du mardi 24 novembre 2020 à 18h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Mariya Gabriel, commissaire européenne :

Je remercie Mme Calvez d'avoir insisté sur l'importance de la jeunesse et du domaine culturel. Je ne crois pas que l'Europe manque de capacités. Soyons très honnêtes : notre force est aussi notre faiblesse. Le secteur est extrêmement diversifié et fragmenté, composé à 95 % de micro-entreprises ou de personnes qui s'emploient elles-mêmes. Il doit prendre conscience qu'il doit se montrer plus uni.

Cela étant, nous avançons : au mois de juin, nous avons créé la plateforme Creatives unite, qui compte déjà plus de 26 000 inscriptions. Les solutions à la crise et la place que la culture doit prendre dans les plans de relance doivent aussi venir des secteurs culturel et créatif. Il est fondamental que ceux-ci définissent quatre ou cinq grandes idées prioritaires, que nous devrons tous défendre ensemble pour faire la différence au niveau européen. Je verrai ensuite quelles synergies je peux bâtir pour aider ces secteurs. Les États membres gardent cependant très jalousement leurs compétences dans le domaine de l'éducation et de la culture. Bien souvent, on demande à l'Europe d'agir : je veux bien faire quelque chose mais il faut aussi que les États membres nous autorisent à agir davantage. Nous chérissons le programme Europe créative, qui permet de développer les coopérations transnationales ; la demande dans ce domaine est énorme.

De plus, nous allons renforcer notre soutien aux nouvelles technologies. Pendant la crise, nous avons aidé à digitaliser les contenus sans que cela remplace le lien émotionnel que seule la culture apporte. Cela suppose toutefois de se montrer plus proactif pour défendre les données. Étant une grande adepte du « nuage » européen de contenus culturels, je pense que cela sera l'une des prochaines batailles. Nous avons là quelque chose d'extraordinaire. C'est un sujet que je continuerai à suivre.

De même, je compte beaucoup sur l'innovation. Nous allons proposer de créer des laboratoires d'innovation pour susciter une véritable offre, tant dans l'audiovisuel – en coordination avec le commissaire Thierry Breton, responsable de cette partie du programme Europe créative – que pour aider les start-up à obtenir des résultats.

Pour la première fois, nous allons créer une synergie entre le programme Europe créative, le nouveau cluster sur la culture du programme Horizon Europe et la nouvelle communauté de l'innovation dans le cadre de l'Institut européen d'innovation et de technologie. Je ne me permettrai jamais de dire quel État soutient le mieux son secteur. Nous souhaitons définir rapidement les bonnes pratiques pour créer un impact plus grand en joignant nos forces.

Concernant les jeunes, monsieur Reiss, nous leur proposons la blended mobility, qui leur permet d'utiliser les nouvelles technologies pour ne pas accumuler de retard ; nous l'avons déjà mise en œuvre dans le cadre de l'actuel programme Erasmus. Nous devons également être beaucoup plus concrets avec le monde de l'entreprise, en accentuant notre effort dans le domaine de l'éducation et de la formation professionnelle, qui représente 27 % du programme Erasmus +.

Quand j'étais commissaire au numérique, j'ai créé un programme de stages payés dans le domaine du numérique, le Digital opportunities traineeship, qui permet de mettre les jeunes en contact direct avec les entreprises. En moins d'un an, 12 000 étudiants y ont eu recours. J'ai souhaité que ce programme pilote, prévu pour durer deux ans, devienne permanent. Ce sera chose faite pour la prochaine période ; il sera élargi à l'éducation et à la formation professionnelle, et sera accessible aux enseignants qui, eux aussi, ont besoin de ce type de formation.

Concernant la relation entre la recherche et l'entreprise, quatre exemples illustrent notre volonté de rendre ce lien plus concret. Premier exemple : l'espace européen de la recherche, avec les feuilles de route technologiques conjointes entre le monde académique et le monde industriel.

Deuxième exemple : les universités européennes. Depuis le début, ces alliances travaillent avec les entreprises. Elles ont toutes obtenu 5 millions d'euros pour pouvoir travailler pendant cinq ans. Il y a quelques mois, j'ai pris la décision de transférer à chacune d'elles 2 millions du programme Horizon Europe pour qu'elles intègrent dès le départ la recherche et l'innovation. Je crains sinon que, dans trois ans, l'on ne m'oppose à nouveau les mêmes obstacles que ceux existant depuis vingt ans. Or, je voudrais vraiment que l'on opère ce changement d'approche : les universités doivent travailler avec le monde privé, la société civile et les régions et se montrer beaucoup plus flexibles dans les trajectoires qu'elles proposent aux étudiants.

Troisième exemple : le pacte pour les compétences, annoncé il y a quelques jours. Nous devons continuer à y travailler. Les premiers secteurs concernés sont l'automobile, l'électronique, l'aérospatiale et la défense. Vous pouvez voir ici l'empreinte des commissaires Thierry Breton et Nicolas Schmit. Je ferai de mon côté tout le nécessaire pour que les jeunes puissent se reconnaître dans ces programmes.

Quatrième exemple : dans l'espace européen de l'éducation, nous proposons la création de cinquante centres d'excellence pour la formation et l'éducation professionnelle. Il est important qu'ils puissent voir le jour dans tous les États membres. La France est un très bon exemple puisqu'elle a déjà des projets allant dans cette direction.

L'espace européen de la recherche, quant à lui, existe depuis vingt ans : il faut le dynamiser et lui donner une véritable dimension européenne. Nous proposons donc un pacte européen pour la recherche et l'innovation. Ce n'est pas une obligation mais nous souhaitons que les États membres s'engagent ensemble dans la réalisation de grands projets. J'appelle votre attention sur le forum de transition, dont je voudrais faire le point d'entrée unique des États membres pour décider ensemble des instruments financiers dont ils disposent pour construire leurs projets et les réaliser.

Nous proposons également que les États membres créent des ERA hubs, des lieux de rencontre entre la recherche et le monde de l'entreprise, où les chercheurs auront accès à des formations et où nous pourrons mieux coordonner les actions des différents États membres pour les amener au niveau européen. De même, avec l'initiative ERA4You, je souhaite insister sur la mobilité transsectorielle des chercheurs. Il existe encore dans certaines régions des obstacles majeurs sur ce point. Cette initiative, qui me tient énormément à cœur, suscite des réactions très positives de la part des États membres.

Le cluster sur la santé continuera à occuper une place importante dans le programme Horizon Europe. Pendant la crise, et grâce aux investissements réalisés les années précédentes, nous avons été capables de réorienter rapidement les productions. Je pense notamment au partenariat public-privé sur lequel repose l'initiative Médicaments innovants.

Le véritable enjeu est de travailler en coordination avec la commissaire à la santé, Mme Stella Kyriakides. Nous avons proposé le lancement de l'Union européenne de la santé ; nous aurons pour la première fois un programme européen pour la santé – je remercie encore le Parlement européen de s'être battu pour obtenir une augmentation. Nous devons veiller à ce que chacun exerce ses responsabilités et mène des actions réellement orientées sur l'impact. Le programme géré par la commissaire Kyriakides repose largement sur la coordination avec les États membres. Je voudrais toutefois préserver la valeur ajoutée de la recherche et de l'innovation. Les deux doivent travailler en synergie. Quelques mois d'intense travail nous attendent pour éviter les doublons et pour déterminer la valeur ajoutée de chacune de ces actions.

Je n'utiliserai pas l'expression European BARDA, que je n'aime pas du tout. Il est grand temps que l'Europe se dote d'agences qui ne soient pas des copies de ce qui existe ailleurs. Nous travaillons actuellement à la création d'une agence européenne qui permettra d'agir plus rapidement. Je veillerai à ce qu'il y ait une véritable synergie avec le Conseil européen de l'innovation. Celui-ci a en effet soutenu, pendant la crise, plus de soixante-quatre entreprises qui, grâce aux technologies disruptives, nous permettent d'avancer dans la biotech ; j'aimerais que tout cela ne soit pas perdu. Il faut délimiter de façon claire les responsabilités et les fonds dédiés pour conserver notre capacité à obtenir des résultats.

Pour répondre à Mme Karamanli, le commissaire Thierry Breton et la vice‑présidente Margrethe Vestager présenteront la stratégie européenne sur les données. L'Europe investira bien dans de tels outils : il est donc grand temps que nous nous positionnions sur ces sujets. De mon côté, je souhaite disposer de définitions précises de ce que sont les données très sensibles, sans pour autant freiner l'innovation. Nous devons en effet garantir aux start-up la sécurité juridique et la sécurité pour leurs investissements. Nous aurons quelques mois d'intenses débats car la stratégie propose clairement une nouvelle étape dans la législation sur l'ouverture des données publiques. Mais nous faisons également deux autres propositions pour l'utilisation de ces données dans le respect de certaines règles et normes.

Concernant Erasmus +, nous souhaitons rendre ce programme plus inclusif et l'ouvrir aux élèves des écoles. Les établissements scolaires pourront recevoir un financement pour monter des projets de mobilité avec des partenaires d'autres pays européens. Ainsi, les élèves pourront passer une période dans une école partenaire, soit avec leur classe, soit à titre individuel ; c'est une grande nouveauté.

L'accréditation ne doit pas être valable seulement pour une période mais être ouverte à l'éducation scolaire, à la formation professionnelle et à la formation des adultes. Une fois l'accréditation obtenue, les établissements auraient un accès simplifié et régulier aux financements du programme Erasmus. Nous devons par ailleurs lier le programme Erasmus vert, qui me tient énormément à cœur, à l'initiative European Bauhaus, car nos jeunes peuvent être le pont entre les mondes de la culture, de l'art, de l'éducation, de la science et de la technologie.

J'aimerais également que nous portions une attention particulière aux filles. Nous avons besoin de plus de filles dans le domaine des STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques). L'Institut européen d'innovation et de technologie propose à 40 000 personnes d'accéder à des formations, dont 45 % doivent être des filles ou des femmes, dans des domaines comme l'intelligence artificielle, la blockchain ou encore l'analyse des données.

Pour répondre à M. Bournazel, le stock européen de médicaments et d'équipements existe depuis le mois d'avril. C'est le commissaire Janez Lenarčič qui est en charge de cela. Cela nous a donné l'occasion de voir une belle solidarité au moment où des pays européens ou les Balkans de l'Ouest avaient besoin de ventilateurs et de respirateurs. Il ne faut pas s'arrêter là, en pleine crise : nous devons définir ce dont nous avons besoin en permanence pour nous préparer à affronter de futures crises.

Monsieur Larive, j'ai écouté très attentivement votre question. La semaine dernière, j'ai eu une conversation téléphonique avec la ministre de la culture, Mme Roselyne Bachelot. C'est elle qui, la première, m'a parlé de cette décision de la Cour de justice. La question ne porte pas seulement sur le montant, même si 25 ou 30 millions représentent une somme considérable, mais aussi sur le signal que nous voulons envoyer à nos propres artistes et créateurs. De mon côté, je serai ravie de pouvoir contribuer : ce sujet ne relève pas de mon portefeuille mais je soulèverai de nouveau cette question avec le commissaire Breton, à qui il appartient de déterminer la meilleure réponse à apporter.

S'agissant de la question de M. Bertrand Pancher sur les inégalités qui se creusent, j'ai déjà donné quelques éléments de réponse concernant le programme Erasmus, avec les échanges entre les établissements ou la possibilité accordée à de petites organisations de postuler. De plus, la vulgarisation de la recherche me tient énormément à cœur. L'école a un rôle fondamental à jouer dans ce domaine. Je vais lancer une grande initiative « Un chercheur à l'école », afin que les enfants puissent voir et entendre que la science et la recherche permettent de réaliser des rêves et d'avoir une belle trajectoire. Nous avons quelques exemples très encourageants : vendredi 27 novembre aura lieu la Nuit européenne des chercheurs. Bravo à la France, très active, qui propose de nombreuses initiatives ! Je rappelle que nous avons commencé avec 15 pays et 20 villes ; cette année, nous réunirons 39 pays et 388 villes. Il faudrait davantage de grands événements comme celui-là. Il en va de même pour la recherche, avec « La science à la rencontre des régions » : j'insiste en effet beaucoup sur l'importance du rôle des régions dans ce domaine.

Monsieur Chassaigne, je vous ai indiqué, très diplomatiquement, qu'en tant que commissaire européenne, je ne pouvais pas dire quel pays s'était le mieux occupé de son secteur culturel. La plateforme où les États membres peuvent voir les opportunités existantes devrait être accessible à tous. Or ce n'est pas le cas. Nous avons rendu les règles relatives aux aides d'État plus flexibles, notamment pour qu'elles bénéficient à la culture mais, trois mois plus tard, à peine huit États avaient utilisé cette possibilité. De même, je pense aux possibilités du Fonds européen de développement régional, sur lequel nous avons travaillé avec le Comité des régions pour la période 2014-2020 : 40 milliards sont dédiés à la culture et à l'innovation. J'aimerais savoir quels sont les bons exemples, quelles leçons nous pouvons tirer pour soutenir véritablement le secteur culturel et créatif en cas de nouvelle crise.

Par ailleurs, le secteur lui-même doit s'unir pour parler d'une même voix. J'observe une incroyable mobilisation depuis un mois. Nous sommes très loin de la situation que nous avons connue en mars et avril, quand chacun ne plaidait que pour son petit secteur en difficulté – livres, spectacles, films… Nous avons besoin d'une masse critique de personnes, parce que cela représente 8 millions de personnes et 4 % de notre PIB. L'Europe ne pourra jamais réussir son plan de relance si elle ne place pas la culture au centre.

Les secteurs culturel et créatif sont vraiment uniques ; leur capacité d'innovation peut apporter des bénéfices à toute la société. Sans la culture, nous n'aurions pas pu supporter la crise : cette période est déjà très difficile, mais je n'imagine même pas comment nous pourrions la passer sans ce que ces secteurs ont à nous offrir. J'attends d'eux qu'ils travaillent à une clarification de ce qu'ils souhaitent et qu'ils nous disent si l'Europe a besoin d'un nouveau pacte culturel.

Nous avons la chance, avec le plan de relance et de résilience, de pouvoir proposer deux ou trois grandes initiatives aux États membres, qui pourront ensuite les inclure dans leurs plans nationaux, amplifiant ainsi leur impact au niveau européen. Le European Bauhaus en est une. Nous devons penser aussi à offrir une véritable plateforme européenne de contenus culturels. J'ai déjà mentionné l'idée du cloud, qui vise à protéger les intérêts stratégiques européens. Je travaillerai avec le secteur dans les mois qui viennent pour faire émerger cette masse critique et proposer des idées dans les stratégies nationales, parce que ce n'est pas encore le cas.

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