D'abord, une quasi-motion d'ordre. C'est à croire que c'est volontairement, dans la joie et la bonne humeur, que nous avons fermé les lieux culturels ! Cette décision a été prise en responsabilité pour faire face à une crise sanitaire tragique. Elle est très lourde. Qui peut raisonnablement penser qu'une telle mesure, qui touche au cœur le projet politique que nous défendons en atteignant les personnes et les responsables qui se mobilisent pour la culture, et qui, par un énorme effet de ciseau, nécessite des enveloppes budgétaires considérables – au-delà du secteur de la culture, l'ensemble des mesures de soutien pèse des centaines de milliards d'euros – tout en réduisant les recettes de l'État, est prise à la légère ? On a l'impression qu'il y a les bons d'un côté, les méchants de l'autre, et que les méchants, c'est nous !
La France n'est pas la seule à faire ce choix ; certains nous considèrent même comme les plus laxistes – alors que les résultats que nous obtenons ne nous placent pas parmi les pays les moins performants en matière sanitaire. Si quelques pays d'Europe laissent les lieux culturels ouverts, la fermeture est générale en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux Pays-Bas.
Les nouveaux éléments de diagnostic ne sont pas rassurants. Alors même que nous n'avons pas encore pu évaluer l'effet des fêtes de fin d'année – en particulier du réveillon du Nouvel An, potentiellement beaucoup plus toxique que celui de Noël, plus familial –, la crise sanitaire connaît des échappements dont nous avons beaucoup de mal à déterminer les causes exactes. Alors que nous en étions à 15 000 contaminations quotidiennes, ce chiffre aurait atteint 18 000 à 20 000 au cours des deux derniers jours. S'y ajoute la perspective de l'arrivée du variant B117, dont nous n'avons absolument pas évalué l'impact. Je rappelle que la Grande-Bretagne compte 50 000 à 60 000 nouveaux cas par jour et que son système hospitalier fait face à une propagation que Sadiq Khan, maire de Londres, juge « hors de contrôle ».
J'appelle à la responsabilité ceux qui veulent une réouverture immédiate des lieux culturels. Pouvons-nous prendre un tel risque ? Je me suis exprimée avec passion, je tiens à le faire de façon claire. Valérie Bazin-Malgras, vous me demandez une date de réouverture ferme : je serais totalement irresponsable de vous en donner une aujourd'hui !
J'en viens à l'éducation artistique et culturelle, à propos de laquelle m'ont interrogée Aurore Bergé et Michèle Victory. Il s'agit de l'un des trois objets quotidiens de mon ministère, avec le Pass culture et la restauration du patrimoine, et je lie évidemment les premières réouvertures de lieux culturels, monuments et musées à l'éducation artistique et culturelle : les deux se pilotent simultanément.
Dans un premier temps, seuls les établissements mentionnés à l'article L. 216-2 du code de l'éducation étaient autorisés à ouvrir au public, pour l'accueil des seuls élèves inscrits dans les classes à horaires aménagés, en série technologique « Sciences et techniques du théâtre, de la musique et de la danse », en troisième cycle et en cycle de préparation à l'enseignement supérieur, lorsque les formations ne pouvaient être assurées à distance. Dans la continuité des échanges menés avec les conservatoires depuis le début de la crise sanitaire, mes services travaillent en permanence à des propositions visant à une réouverture progressive des établissements en fonction des décisions gouvernementales liées à l'évolution de la crise sanitaire.
Madame Victory, vous avez fait, je crois, une petite erreur : le décret du 14 décembre 2020 modifiant celui du 29 octobre sur les mesures sanitaires permet l'accueil des mineurs dans les conservatoires territoriaux et dans tous les établissements de l'enseignement artistique relevant du spectacle vivant et des arts plastiques. Nos jeunes élèves peuvent donc tous reprendre leur cursus sur place, dans des conditions sanitaires encadrées, quand les enseignements à distance ne peuvent être assurés – à l'exception de l'art lyrique, pour des raisons que tout le monde comprend. Je n'ignore pas les efforts qui ont été accomplis dans ces établissements afin de garantir jusqu'à présent la poursuite d'enseignements à distance de qualité. De même, les cycles professionnalisants, qui ont été maintenus, se poursuivront, comme les enseignements destinés aux classes à horaires aménagés, les troisièmes cycles des conservatoires et les classes préparatoires à l'enseignement supérieur. Il s'agit d'une première étape dans la reprise des activités culturelles.
Madame Bergé, le projet de décret SMAD, qui vous tient à cœur et sur lequel vous avez beaucoup travaillé, exprime bien, au-delà de son aspect technique, notre philosophie à l'égard des GAFAM. Nous avons remporté une importante victoire lors de la renégociation de la directive. Conformément à l'engagement du Président de la République, dès 2021, les plateformes contribueront au financement de la création cinématographique et audiovisuelle française, y compris – c'était tout l'enjeu de la directive – celles qui ciblent notre territoire depuis celui d'un autre État membre, ce qui inclut Netflix, Disney et Amazon Prime Video. Ce rééquilibrage était nécessaire pour les diffuseurs traditionnels, qui faisaient face à une concurrence déloyale de la part d'acteurs bénéficiant d'asymétries réglementaires, et, bien entendu, pour les acteurs de la création française, qui auront de nouveaux financements dans un cadre conforme à nos principes. Il s'agira bien de financements supplémentaires, et non de substitution – j'y veillerai particulièrement. Cela permettra de défendre la production indépendante et de respecter le droit d'auteur. C'est d'autant plus nécessaire que la crise a durement affecté les recettes publicitaires des diffuseurs traditionnels, tandis que les confinements permettaient au contraire une forte hausse du chiffre d'affaires des grandes plateformes mondiales.
Un projet de décret élaboré par mes services après une phase de concertation intense avec les professionnels a été transmis pour avis au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et notifié à la Commission européenne le 18 décembre dernier. Cette notification ouvre un délai de statu quo de trois mois au terme duquel le projet pourra être adopté après l'examen en Conseil d'État. La publication du décret peut donc être envisagée pour le printemps 2021, pour une application dès 2021.
J'en viens à la question que posait Aurore Bergé sur ma philosophie : ce décret constitue un compromis équilibré entre une conception ambitieuse du financement de la production, notamment indépendante, avec un taux de contribution fixé à un niveau élevé, entre 20 et 25 % du chiffre d'affaires du service – des sommes considérables, ce n'est pas un pourboire qui est en jeu –, et la prise en compte de l'équité entre les diffuseurs et les modèles économiques des plateformes étrangères nouvellement assujetties. Surtout, l'accord nous préserve des contentieux qui auraient inévitablement surgi, peut-être pas à notre bénéfice, si je ne l'avais pas obtenu.
Dans le prolongement de la transposition de la directive SMA et de l'assujettissement des éditeurs étrangers ciblant la France, j'entends également moderniser le cadre des obligations qui s'appliquent aux acteurs nationaux, afin de rééquilibrer les règles du jeu, de garantir l'équité entre les services linéaires et non linéaires d'une part, entre opérateurs nationaux et extranationaux d'autre part. Les différentes composantes du régime doivent être ajustées de manière à garantir un haut niveau de financement de la production européenne et nationale, en particulier indépendante, tout en donnant aux diffuseurs historiques les moyens de mieux exploiter les œuvres qu'ils financent.
Une architecture a donc été développée, avec la transposition de la directive, le décret, la TNT, la chronologie des médias, et, enfin, les dispositions du projet de loi sur le piratage et le renforcement de l'autorité de contrôle avec la fusion de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) et du CSA. Mon ambition est d'avoir bâti une architecture logique et complète dans ce domaine à la fin du premier semestre 2021. Ce sont des dispositions non seulement techniques mais philosophiques que je défends dans la protection de la production française. N'opposons pas la culture patrimoniale et numérique, ce serait aller dans le mur. Au contraire, il faut considérer la seconde comme une opportunité. Nous devons toutefois la qualifier.
De nombreuses questions ont porté sur les concertations en vue de la réouverture des lieux culturels. Le 7 janvier, on l'a dit, était une date de rendez-vous pour faire le point de la situation sanitaire. Nous avons constaté que les nuages noirs ne s'étaient pas transformés en nuages gris, bien au contraire. Dès le 15 décembre, nous avons entamé un travail de concertation et de dialogue avec les différents acteurs du milieu culturel, un milieu d'ailleurs très divisé, avec des attentes et des modes de fonctionnement très différents.
Ce qui compte, c'est la dynamique, la tendance de maîtrise de la pandémie. Les annonces du Premier ministre ont clarifié la situation et donné davantage de visibilité en précisant que les lieux culturels ne pourraient pas rouvrir tout le mois de janvier et qu'une évaluation de la situation sanitaire serait à nouveau faite le 20 janvier. À cette date, nous disposerons d'une évaluation complète de la situation pandémique résultant des fêtes de fin d'année ainsi que d'une première évaluation de l'impact des nouvelles mutations du virus.
C'est une décision difficile, liée à une situation sanitaire très dégradée. Je l'ai rappelé, il y a entre 18 000 et 20 000 contaminations journalières, un chiffre obtenu avec un nombre de tests très diminué – il avait été avancé que c'était parce que nous testions plus que nous avions davantage de contaminations. Il y a eu en effet de nombreuses contaminations pendant les fêtes. Sans prendre la place du ministre de la santé, on peut dire que les tests antigéniques, notamment, ont parfois donné un sentiment de sécurité trop important. Le nombre de cas parmi mes proches montre que nous avons été un peu trop confiants avec ces tests.
Nous enregistrons 2 500 nouvelles hospitalisations et plus de 200 admissions en réanimation. Un point de revoyure a été fixé au 20 janvier. Je travaille avec l'ensemble des représentants du secteur du spectacle vivant, du cinéma, des musées, des monuments historiques, pour construire ce modèle agile, résilient, de réouverture des lieux culturels. Nous échangeons sur tous les sujets – jauges, moyens de circulation, promotion de l'application TousAntiCovid et du QR code afin de retrouver les cas contact dans les salles, en cas de contamination. Cela me donne l'occasion de répondre à M. Larive sur l'expérience de Barcelone, ainsi qu'à M. Bournazel. Nous sommes très attentifs à cette expérimentation comme à celles que proposeront en France le Syndicat national du spectacle musical et de variété (PRODISS) avec l'Assistance publique hôpitaux de Paris (AP-HP), et le Syndicat des musiques actuelles (SMA) avec l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).
Dans l'expérience barcelonaise, toutes les personnes admises dans la salle ont été testées au moyen d'un test PCR, avec écouvillonnage, avant le spectacle. Seules celles dont le test était négatif ont pu entrer dans la salle, avec un masque FFP2. Une ventilation était assurée, ainsi qu'une vérification de la stabilité de la température, qui ne serait vraisemblablement plus à faire en temps ordinaire. Vous le voyez, les conditions de cette expérimentation sont très compliquées à remplir dans le fonctionnement normal d'une salle.
J'ai discuté de ces sujets avec les professionnels du spectacle. Ils attestent de la difficulté de mettre en place de tels dispositifs avant chaque représentation. En période normale, à Paris, 50 000 personnes se rendent chaque soir dans une salle de spectacle, sans parler de la fréquentation dans les territoires. Faire passer 50 000 tests PCR avant la représentation est compliqué. Il faut également s'assurer que la salle présente les caractéristiques qui permettent d'assurer la même sécurité qu'à Barcelone, ce qui conduit à une labellisation des salles et écarte celles qui ne sont pas compatibles avec la lutte contre la pandémie.
Étant une habituée des salles de spectacle, je peux vous dire que la labellisation sera difficile pour certaines d'entre elles, par exemple s'il s'agit de caves voûtées. Je ne citerai aucun nom pour ne pas stigmatiser d'établissement, mais certains lieux auront du mal à respecter les consignes sanitaires. J'écoute avec intérêt, je regarde, mais j'appelle l'attention quant aux modalités de généralisation. Je veux bien de telles conditions de réouverture, si les professionnels s'engagent à fournir les masques FFP2, par exemple, et estiment que leur modèle économique fonctionnera. Cela oblige aussi les spectateurs à être présents très en avance pour effectuer le test, ce qui est compliqué. Cela ne veut pas dire que les mesures sont inopérantes : c'est une expérimentation, il y a ensuite une généralisation. Cela n'est pas si simple, et la généralisation sera possible pour certains établissements, mais pas pour tous.
Sophie Mette, Grégory Labille et Bertrand Pancher m'ont demandé si nous allions continuer à soutenir le secteur. Bien entendu. Au moment même où je parle se tient une réunion interministérielle sur ces sujets. Nous suivons au plus près les besoins du secteur culturel. Nous allons les accompagner, les chiffrer. Au 12 janvier, il est encore trop tôt pour faire le bilan de tout cela. Les mesures de soutien ont été prolongées pour les premières semaines de cette année. Il n'y a donc pas d'inquiétude à ce niveau. Nous sommes en train de travailler sur la structuration de ces aides.
Michèle Victory et Grégory Labille m'ont interrogée sur les intermittents du spectacle. Monsieur Labille, je ne peux pas vous laisser dire que les intermittents ont été les oubliés de ce dispositif. Près d'un milliard d'euros a été consacré à un système, qui est unique au monde. On l'oublie souvent, bien qu'il soutienne la culture, il n'émarge pas à son budget puisque c'est une mesure visant l'emploi. Ces sommes, si on les agrégeait en comptabilité analytique, seraient bien dédiées au monde culturel.
Je rappelle qu'afin de limiter les effets de la crise sanitaire, l'indemnisation chômage des intermittents a été prolongée jusqu'au 31 août 2021. Il n'y a donc pas péril en la demeure. Pour autant, nous travaillons en amont, avec un coût d'année blanche de 949 millions d'euros. Au 31 août 2021, si la condition d'affiliation minimale de 507 heures au cours des douze derniers mois n'est pas remplie, les heures de travail manquantes pourront être recherchées sur une période de référence allongée, au-delà des douze mois précédant la dernière fin de contrat de travail. On a incorporé le nombre d'heures d'enseignement dans ce calcul, ce qui a permis de faciliter l'accès au seuil de 507 heures : la limite de 70 heures d'enseignement a été portée à 140 ; celle de 120 heures pour les artistes et techniciens de 50 ans, a été portée à 170 heures.
Un travail interministériel est mené. Vous avez appelé mon attention sur ce que l'on appelle vulgairement les « trous dans la raquette ». Pour les combler, un fonds d'urgence spécifique de solidarité pour les artistes et techniciens du spectacle (FUSSAT), temporaire, a été créé pour les professionnels qui n'entrent pas dans le champ d'éligibilité des dispositifs aménagés jusqu'à présent. Doté de 5 millions depuis septembre, il a été augmenté de 5 millions à compter de la mise en place du couvre-feu. Un abondement de 7 millions est également prévu pour 2021 au titre du plan de relance. Si des évolutions doivent être apportées à ce dispositif, nous les calibrerons en fonction des besoins des professionnels. Nous suivons cela de très près. Tous les aménagements, les améliorations, les abondements seront effectués dans ce cadre.
Bien entendu, monsieur Pancher, les dispositifs de soutien – prêts garantis par l'État, exonérations de charges sociales et patronales – sont maintenus. La réunion interministérielle actuellement en cours vise d'ailleurs à les calibrer. Les diverses mesures restent en vigueur, y compris pour les cinémas. Si vous pensez à une difficulté particulière, n'hésitez pas à nous en faire part car un problème peut survenir dans des dispositifs aussi généraux. Nous sommes à votre écoute pour que les dossiers singuliers soient pris en compte.
Mme Lebon a évoqué un fait divers désastreux. Il dépasse les compétences du ministère de la culture. Les gens qui se sont mal conduits seront, je l'espère, sanctionnés s'ils se sont livrés à des violences ou des obscénités dans un tel cadre. Je pense que des plaintes ont été déposées. Les choses suivront leur cours avec la justice.
Vous me demandez ensuite de qualifier Les Anges de la téléréalité. Heureusement, il n'y a pas que cela à la télévision. Des programmes culturels de très grande qualité figurent parmi les émissions proposées : on n'est pas forcé de regarder Les Anges de la téléréalité. Même s'il en faut pour tous les goûts, le rôle des parents, des éducateurs, des professeurs peut être de guider les enfants vers des spectacles de qualité. Je ne censurerai pas Les Anges de la téléréalité.
Quant à votre remarque sur Pôle emploi spectacle, je la transmettrai à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, puisque cette structure ne relève pas du ministre de la culture. J'appellerai son attention sur le point que vous avez soulevé.