Avant de répondre aux questions, je ferai deux remarques liminaires.
Je n'ai jamais dit que tout allait bien ; pour le prétendre, il faut m'avoir mal écoutée. J'ai dit que la situation était compliquée : environ trois fois plus d'étudiants que d'habitude disent se sentir mal ou déprimer. Mais je peux également vous assurer qu'en allant voir les étudiants on perçoit une énergie phénoménale, parce qu'ils ont envie de faire et d'aider, ils ont l'énergie de la rage et ils croient en l'avenir. Notre responsabilité, c'est aussi de cesser de brosser un tableau uniquement négatif. Nos étudiants font preuve d'un engagement, d'une créativité et d'une force exceptionnels.
À l'évidence, certains ne vont pas bien, certains sont plus fragiles, et nous devons nous occuper de tous. Mais, sur le terrain environ trois fois par semaine, je rencontre dans les Crous des tuteurs étudiants, des étudiants référents, des étudiants qui ont organisé des actions au sein des résidences, des étudiants qui ont repris les cours par groupes de dix. Je vois des étudiants aux yeux qui brillent, qui ont envie de passer à autre chose, de trouver des solutions, et qui se disent conscients qu'ils ne le font pas pour eux mais par solidarité – si on ne s'intéresse au sujet que si l'on a des morts dans sa famille, on a perdu ce qui fait le cœur de la solidarité. Nous leur devons beaucoup ; il faudra s'en rappeler. C'est d'ailleurs ce que leur a dit le Président de la République. On leur demande aussi beaucoup, mais c'est également cela, la solidarité.
Nous avons tout fait pour que la rentrée ait lieu en présentiel. Tous les établissements y ont travaillé, mais il fallait en même temps prévoir le distanciel. C'est pourquoi j'ai salué le travail réalisé durant l'été par les établissements pour organiser la rentrée en présentiel tout en se préparant au distanciel. Malheureusement, à la rentrée, nous avons vu, à certains endroits, des étudiants assis dans les couloirs au moment de la pause et des amphithéâtres visiblement un peu trop remplis par rapport à la jauge de 50 % à laquelle les établissements s'étaient engagés ; nous avons vu des étudiants fêter leurs retrouvailles ou profiter des belles soirées de fin d'été et de début d'automne.
Il a alors été dit – pas par moi, certes – que les étudiants étaient la cause de la propagation du virus. On s'est référé à des études internationales. Il apparaît que la vie sur un campus n'est pas la vie dans un lycée. Au lycée, les élèves arrivent dans leur classe, n'en bougent pas, restent assis à la même place, puis s'en vont ; sur un campus d'université ou d'école, les étudiants se retrouvent, ont des pauses, de deux heures parfois, entre deux cours, travaillent ensemble : c'est la vie d'un campus. Ce n'est pas d'être assis en amphithéâtre qui pose problème : on ne bouge pas, tout le monde porte un masque. De même que, à l'Assemblée nationale, le fait de siéger n'est pas problématique. En revanche, le déplacement continu de plusieurs milliers d'étudiants et leurs changements de salle créent un brassage qui fait obstacle à la remontée des pistes de contamination. Quand il y a eu des clusters dans les universités, nous avons testé largement, et – contrairement à ce qui se passait dans les écoles, où les clusters se limitaient à une classe – trouvé dans toutes les promotions des étudiants asymptomatiques porteurs du virus, ce qui était ingérable.
Il fallait donc repenser tous les protocoles. Ce n'est pas de gaieté de cœur que les présidents, les directeurs d'établissement et les professeurs s'y sont attelés, car revoir les emplois du temps du second semestre pour faire en sorte que les étudiants soient présents par demi-journées pendant lesquelles ils ne se mélangent pas, ne changent pas de bâtiment, de salle, d'amphithéâtre représente un travail énorme. Je salue tous ceux qui l'ont fait. J'entends dire que les choses ne vont pas assez vite, ne sont pas assez bien faites, mais ils ont passé des semaines à préparer le second semestre ! Accueillir les étudiants à hauteur de 20 % de la capacité d'un établissement, cela veut dire que l'on peut assurer des travaux dirigés le matin dans les salles paires et l'après-midi dans les salles impaires, de sorte que l'on n'est pas obligé de nettoyer toutes les salles d'un bâtiment à l'heure du déjeuner.
Dans le même temps, le nombre de contaminations augmente, des variants que l'on dit beaucoup plus contagieux apparaissent et, autour de nous en Europe, tous les pays reconfinent. Trouver des protocoles suffisamment robustes pour permettre des mesures de durcissement, comme l'imposition partout du couvre-feu à 18 heures, tout en annonçant le retour des étudiants de première année, puis de l'ensemble des étudiants à hauteur de 20 %, nous y travaillons également depuis des semaines et ce n'est pas aussi simple que cela.
L'une d'entre vous a fait allusion à la pagaille des partiels. Mettons-nous d'accord : soit on fait revenir les étudiants en présentiel, et les étudiants, sur un campus, ça bouge, soit on ne les fait pas revenir en présentiel et il n'y aura pas de pagaille ! Il n'y en a pas eu lors des partiels. Une photo ou un selfie sur les réseaux sociaux ne sont pas représentatifs de ce qui s'est passé dans tous les établissements. Il importe que les étudiants puissent revenir, et cette façon de déduire leur comportement d'une ou deux photos devient insupportable pour eux, pour leurs profs et pour les établissements qui font tout pour que les choses se passent bien.
Ce sont 20 % des examens qui ont été organisés en présentiel en France, tous les autres ayant lieu à distance. À distance, c'est, nous dit-on, inéquitable vis-à-vis de ceux qui subissent la rupture numérique et compte tenu de la triche ; en présentiel, ce serait dangereux. Pour ma part, je fais confiance aux équipes pédagogiques pour décider. Certains enseignements peuvent être évalués à distance ou en contrôle continu ; pour d'autres, il faut avoir les étudiants sous les yeux. Faisons confiance au corps enseignant ; je pense que nous en serons tous d'accord.
J'étais samedi à Strasbourg. Michel Deneken a raison ; on peut même aller plus loin : chez l'ensemble des moins de 50 ans, le nombre de morts se limite à quelques dizaines. Mais si on se moque de voir mourir les gens de plus de 50 ans, il faut le dire !
Les premiers éléments montrent que les jeunes n'ont pas décroché davantage cette année que l'an dernier : leur présence aux examens est comparable. Nous le devons aux étudiants tuteurs, aux professeurs et à tous les personnels qui ont maintenu le lien. En revanche, des lacunes peuvent se révéler à la correction des copies, d'où l'importance des tuteurs, des remises à niveau et de l'accompagnement supplémentaire. Nous sommes en train de recruter 20 000 tuteurs étudiants supplémentaires, dont 8 000 qui l'ont été en moins d'une semaine, alors qu'il y en avait déjà 30 000 dans les établissements. Nous savons que l'aide par les pairs est efficace et qu'un groupe tutoré de dix étudiants peut être considéré comme une bulle sociale. En cas de contamination, nous pouvons ainsi éviter un départ incontrôlé. En effet, quand on est porteur asymptomatique, il y a toujours un moment d'inattention où l'on risque de contaminer les autres ; or nous avons affaire à une population qui – heureusement – est majoritairement asymptomatique.
Pour aider les décrocheurs, nous travaillons aussi avec les collectivités, notamment les régions, qui cherchent à mobiliser le monde socio-économique et celui de l'entreprise. Nous allons augmenter le nombre de stages dans la fonction publique et les administrations, mais nous ne pouvons pas tout faire. Les entreprises doivent accueillir des étudiants en stage ; or soit elles recourent au travail à distance, soit elles sont soumises à de tels protocoles sanitaires qu'il leur est difficile de faire venir quelqu'un de nouveau. C'est pourquoi les régions se mobilisent pour les stages et la présentation de métiers et de formations conduisant à l'emploi, pour offrir une perspective encourageante aux étudiants.
Le site etudiant.gouv.fr publie toutes les aides existantes, qui sont aussi présentées sur tous les sites des Crous. Le nombre d'aides instaurées par les métropoles, les villes universitaires, les régions et les départements est tel qu'il est actuellement impossible de maintenir un répertoire national à jour. Nous devons donc créer un site unique où chacun indiquerait l'aide qu'il apporte, tout en précisant de quelle structure elle émane. Pour cela, il faut travailler ensemble.
En ce qui concerne la valeur des diplômes, la mettre en question serait refuser de voir l'engagement des équipes pédagogiques pour la maintenir. Si nous arrêtions nous-mêmes de douter de la valeur des diplômes, ce serait bien plus simple pour les jeunes, qui feraient confiance à leurs professeurs pour éviter leur dévalorisation. Samedi à Strasbourg, lundi dans le 12e arrondissement de Paris, j'invitais encore les étudiants à mettre en avant le fait d'avoir étudié et obtenu leurs diplômes au cours d'une année universitaire totalement inédite. Ce n'est pas rien, cela veut dire qu'ils ont tenu, qu'ils n'ont pas décroché, cela en dit beaucoup sur eux. En France, on attribue une valeur immense aux diplômes ; certes, ils garantissent un niveau de connaissance, mais toutes les compétences ne procèdent pas de l'apprentissage académique classique, certaines sont issues des parcours de vie. C'est aussi de cette façon qu'il faut aider psychologiquement les étudiants.
Concernant les psychologues, justement, il faut regarder ce qui se cache derrière les chiffres. Le modèle des systèmes de santé universitaire, c'est un psychologue titulaire et de nombreux psychologues vacataires : ce n'est pas parce qu'il y a un psychologue titulaire pour 30 000 étudiants qu'il faut aller répétant qu'en France il n'y a qu'un psychologue pour s'occuper de 30 000 étudiants ! Heureusement, au moyen de vacations, nous pouvons faire appel à des psychologues de ville dont le panel de patients est très différent et qui apportent beaucoup au titulaire. Nous doublons le nombre de psychologues titulaires afin de prendre en compte les problèmes psychologiques des étudiants au sein du parcours de santé, car il est important qu'ils voient un médecin et soient pris en charge par une équipe dans les services de santé universitaires. Parce que la situation est totalement atypique – en temps normal, les étudiants vont globalement bien –, il faut s'appuyer sur le réseau des médecins de ville, des psychologues, des psychiatres. Il faut être capable de dire à certains étudiants qu'ils ont besoin d'être accompagnés par des médecins psychiatres et pas seulement par des psychologues. C'est un drame pour eux de dire : j'ai 19 ans et je vais mal. C'est pourquoi d'autres étudiants recueillent leur parole et, petit à petit, arrivent à les convaincre d'aller se faire aider. Quand on a 19 ans, il n'est pas facile d'aller directement consulter un professionnel de santé. Quand on a 19 ans, on se dit que si on va mal, c'est qu'on est nul. La mesure, annoncée il y a un peu plus de dix jours, sera en vigueur le 1er février.
Les campus connectés ont été une bouffée d'oxygène fantastique. Je ne m'attendais pas à ce qu'ils jouent ce rôle. Compte tenu de leurs faibles effectifs, les étudiants rentrés chez eux à proximité de ces campus, plus près parfois que des établissements où ils étaient inscrits, ont pu aller y travailler et y suivre leurs cours dans des locaux équipés disposant d'un wifi de qualité. Nous avons ainsi ouvert tous les tiers lieux que nous avions créés, afin que les étudiants qui avaient quitté les villes universitaires puissent continuer à étudier. Il y en a 40, une troisième vague en cours permettra d'en ajouter une trentaine et nous avons prévu d'en porter le nombre à 100 pour la rentrée 2022. Mais, compte tenu de ce qu'ils ont apporté, je suis prête à regarder s'il n'en faut pas davantage.
Nous devons accorder une attention particulière non seulement aux étudiants internationaux et ultramarins, mais à tous ceux qui sont loin de chez eux – que ce soit à 500 ou à 5 000 kilomètres. Certes, grâce à des associations actives, par lesquelles la prise en charge est quasi automatique, ils trouvent souvent un lien humain, ne serait-ce que sur ordinateur ou par les réseaux sociaux. En revanche, les étudiants de première année n'ont pas toujours eu le temps d'adhérer à une association, à un bureau des étudiants ou d'en rencontrer d'autres ayant les mêmes centres d'intérêt : si certains étudiants internationaux sont très fragilisés, des étudiants de première année en mobilité le sont aussi.
Bien sûr, c'est un formidable espoir que la vaccination, que l'arrivée d'un nouveau vaccin plus facile à stocker, à distribuer et à produire, que la possibilité de disposer de plus de doses du vaccin Pfizer en Europe. Il faut tenir jusqu'à ce que, au fur et à mesure de leur fabrication, tous ces vaccins puissent être mis à notre disposition. C'est l'affaire de quelques semaines ou quelques mois. Ce n'est pas le moment de lâcher, ni de lâcher nos étudiants.