Intervention de Frédérique Vidal

Réunion du mercredi 27 janvier 2021 à 17h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Frédérique Vidal, ministre :

Madame Brugnera, je sais tout ce que vous faites à Lyon pour organiser les parcours de soins, notamment par la création d'un GIP (groupement d'intérêt public) réunissant les services de santé universitaires, mais c'est la première fois que j'entends parler d'un droit à la déconnexion ; je vais demander pour quelle raison des mails arrivent la nuit aux étudiants.

En revanche, lors de mes échanges avec les présidents d'université et avec les équipes pédagogiques, celles-ci ont elles-mêmes reconnu que beaucoup de professeurs, de peur que leurs étudiants ne décrochent, leur avaient donné bien plus de travail qu'ils ne l'auraient fait en présentiel. Or des étudiants me disent qu'il est beaucoup plus long de saisir sur ordinateur la réponse à un exercice que de répondre oralement en travaux dirigés. Des ajustements sont nécessaires, formation par formation, pour ne pas dire professeur par professeur. Dans notre pays, la formation à distance n'était pas traditionnellement répandue : si quelques filières en avaient l'habitude, dans d'autres, il a fallu une véritable reconversion professionnelle d'enseignants qui n'auraient jamais imaginé devoir apprendre à faire cours ainsi. Une fois de plus, je veux les saluer.

Nous avons agi financièrement pour permettre l'hybridation des cours : quelque 40 millions d'euros ont été consacrés au développement des formations hybrides ; j'ai par exemple visité les installations de l'université d'Évry où les amphithéâtres sont connectés, les cours retransmis dans une autre salle que celle où ils sont dispensés. Au matériel s'ajoute la formation des enseignants, car on ne fait pas un cours hybride ou à distance comme un cours classique : il faut le scénariser, permettre aux étudiants d'indiquer quels chapitres ils n'ont pas compris. Je le répète, contrairement à d'autres pays, comme le Québec, qui pratiquent depuis longtemps la formation à distance, nous commencions seulement à le faire lorsque l'épidémie est survenue. Les enseignants ont aussi travaillé entre eux : ils ont ainsi coconstruit et mis à disposition plus de 1 500 cours. On ne les remercie pas assez de ce travail collaboratif. Des conférences de doyens ont demandé à leurs équipes pédagogiques de partager des années entières de formation. Nous continuons d'accompagner l'hybridation, à laquelle le plan de relance prévoit de consacrer des financements.

Madame Meunier, je regrette que vous n'ayez pas compris la complexité de la situation, que j'ai tenté d'expliquer. Les emplois du temps à l'université n'ont rien à voir avec ceux d'un lycée, où les cours en classes préparatoires et en BTS sont comparables à des cours classiques de l'enseignement secondaire. Quant à ma prétendue théorie de l'étudiant gigoteur, je regrette vraiment votre interprétation. J'ai simplement décrit la réalité au sein d'une faculté.

Madame Tolmont, ce qui est fait dans les universités dans le cadre de l'usage de la contribution à la vie étudiante et de campus (CVEC) est permis partout. Au ministère, nous organisons régulièrement des réunions de partages d'expérience des vice-présidents en formation. Un site permet de mettre en ligne des initiatives dont on peut s'inspirer. Le pass numérique, le prêt d'ordinateurs, le prêt d'objets 4G ont été mis en œuvre par quasiment tous les établissements. La programmation de l'obtention d'un diplôme de licence en quatre ans au lieu de trois ans est rendue possible par la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants et par la transformation de l'arrêté licence d'août 2018 : la licence n'est plus définie par un nombre d'années, mais par un nombre de crédits, par l'acquisition de compétences et de connaissances. C'est grâce à ce changement que les établissements disposent d'outils d'accompagnement individualisé et de reprogrammation afin de lutter contre le décrochage. Même des étudiants qui n'ont validé que la moitié de leurs unités d'enseignement peuvent poursuivre leur apprentissage.

L'État a internalisé le coût de la sécurité sociale des étudiants et créé la contribution à la vie étudiante et de campus. Un peu plus de 100 millions d'euros sont ainsi mis à la disposition des universités et des Crous afin de répondre au mieux et au plus près aux besoins des étudiants et de la vie sur les campus. Cette contribution a permis de réagir très vite au premier confinement : en quelques semaines, quelque 19 millions d'euros ont été attribués aux étudiants sous forme de bons alimentaires, d'ordinateurs, de chèques, sans condition.

Nous n'avons pas observé d'arrêt des études, madame Anthoine. Des étudiants ont restitué leur logement parce qu'ils étaient maintenus à distance de leur université. En réponse à un questionnaire qui leur avait été adressé par les universités de Montpellier et Clermont‑Ferrand, 40 % des étudiants ont indiqué qu'ils trouvaient fantastique d'étudier à distance et qu'ils ne voudraient pour rien au monde revenir au présentiel. La situation n'est pas manichéenne, les établissements doivent composer avec elle – j'ai conscience du fait que c'est compliqué.

Je l'ai dit, nous avons commencé à travailler sur l'accès aux stages avec les régions et le ministère du travail. Il nous faut être aussi efficaces dans ce domaine que pour les apprentis. Cette année, il y a plus de contrats d'apprentissage que l'an dernier, parce que l'État prend en charge leur coût jusqu'à 8 000 euros. En passant à 350 000 contrats, l'an dernier, nous pensions avoir battu tous les records mais, pour la rentrée 2020, dans le contexte de la pandémie, nous en sommes à 420 000. Nous pouvons donc trouver des leviers pour les stages.

Ramener le coût d'un ticket de restaurant universitaire de 3,30 euros à 1 euro permet à ceux qui font toute la semaine deux repas par jour dans les restaurants universitaires, et ils sont nombreux, une économie de 120 euros par mois. Les Crous sont en train de rouvrir les sites qui avaient fermé faute d'étudiants – les restaurants universitaires à proximité des résidences étaient restés ouverts. Entre jeudi et lundi, 50 sites de distribution ont rouvert, et l'ensemble va l'être ; les personnels des Crous, dont je salue l'ingéniosité et la créativité, ont utilisé des camions pour la distribution. Pour les sites universitaires délocalisés, les choses sont plus compliquées, mais nous cherchons des solutions.

J'en reviens au Brexit. Le Royaume-Uni était la deuxième destination des étudiants français en mobilité Erasmus – au nombre d'environ 8 000 par an –, derrière l'Espagne et devant l'Allemagne. Heureusement, des accords équilibrés ont été signés entre établissements : comme les étudiants anglais qui viennent paient leurs frais de scolarité en Angleterre et les étudiants français qui partent les acquittent en France, les échanges se font sans participation financière supplémentaire. Nous allons essayer de maintenir ce système.

Le Royaume-Uni exige le prix du visa, soit environ 400 euros. Il faudra discuter des frais de scolarité. Si nos étudiants paient les mêmes que les étudiants britanniques, cela leur reviendra beaucoup plus cher qu'en France, mais s'ils se voient appliquer ceux des étudiants non britanniques, ce sera terrible. Ce point peut toutefois faire l'objet d'accords intergouvernementaux : nous en avons avec le Québec, où les étudiants français paient comme les Québécois et non pas comme les étudiants venant d'autres pays.

Surtout, le Royaume-Uni va exiger un revenu minimum de 28 500 euros par an au titre de la subsistance. Or nous ne pourrons pas attribuer un tel revenu aux 8 000 étudiants qui veulent chaque année aller étudier en Angleterre. Les négociations vont débuter, car nous ne voulions rien décider de manière bilatérale sur tel ou tel sujet particulier avant un accord global. Tous les ministres européens vont demander au ministre chargé des universités au Royaume-Uni des conditions spéciales pour les visas d'étudiants. Nous n'en resterons pas là : ne paniquez pas les étudiants. Mais c'est une difficulté. Le Royaume-Uni est l'un des pays avec lequel nous avions déjà le plus de mal à instaurer des cotutelles de thèse, car celles-ci supposent que l'étudiant paie la moitié des droits d'inscription.

Il est exact que l'Irlande du Nord, l'Écosse et le Pays de Galles veulent rester dans Erasmus+. Tous les ministres européens insistent pour qu'il en soit ainsi afin que ces destinations restent accessibles à nos étudiants.

Le programme Hubert Curien est un programme d'échange scientifique piloté par le ministère des affaires étrangères avec le soutien du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et cofinancé par l'Europe. Le Royaume-Uni en bénéficiait ; nous devrons détailler ce qui risque d'être modifié.

Nous avons créé des universités européennes dont quatre ont à la fois un participant français et un participant britannique. Le financement européen est attribué au consortium proportionnellement au nombre d'universités ; le Royaume-Uni étant sorti d'Erasmus+, il le sera au prorata du nombre d'universités déduction faite de l'éventuelle université britannique. Le volet portant sur les droits d'inscription et la mobilité des étudiants peut être maintenu.

Quant à la mobilité des chercheurs, ni les programmes en cours ni les futurs ne posent de problème. Le Royaume-Uni se trouve désormais à cet égard dans la même position que la Suisse ou la Suède, qui mettent au pot du financement des programmes de recherche et récupèrent ce qu'elles ont investi au travers de partenariats. Jusqu'à présent, le Royaume-Uni récupérait beaucoup plus que ce qu'il investissait. C'est une difficulté pour les chercheurs britanniques, cela en sera une aussi pour les bourses ERC (Conseil européen de la recherche) – nous examinerons ces sujets un par un. Les chercheurs britanniques risquent de perdre davantage que les chercheurs des pays européens qui collaborent avec eux. Le monde de la recherche étant par définition solidaire, ces derniers vont chercher à garder leurs collègues anglais dans leurs programmes même s'ils ne sont plus éligibles. S'agissant des ERC, le Royaume-Uni pourra participer, des experts britanniques pourront évaluer les dossiers, mais ils ne voteront pas lors de l'attribution des bourses. Des éléments seront définis au cas par cas. D'ici quelques semaines ou quelques mois, je pourrai faire un bilan plus complet.

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