Je vous remercie pour vos questions. Ce sujet de l'ouverture et de la diversité des profils de la fonction publique est débattu depuis 25 ans. J'ai pris le parti d'agir franchement, rapidement, pour que les mesures soient applicables. L'ordonnance a été examinée en conseil des ministres et validée par le Conseil d'État. Vous avez parlé de discrimination positive : ce texte ne s'inscrit pas dans un schéma anglo‑saxon avec des quotas sur la base de statistiques, qui ne correspond pas à notre modèle universaliste républicain. Il respecte pleinement l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui pose l'égal accès à l'emploi public sur la seule base du mérite et des talents. Nous cherchons précisément à nous assurer que ceux qui ont du mérite et du talent, qui sont également répartis à travers le territoire, puissent accéder à toutes les fonctions même s'ils ne sont pas nés sur la ligne de métro qui conduit à Sciences-Po ou à la Sorbonne.
En ce qui concerne les élèves d'outre-mer qui se présenteront dans les classes Prépas talents, si une sélection est nécessaire parce que les candidats sont plus nombreux que les places disponibles, ils bénéficieront, comme ceux venant des quartiers prioritaires de la politique de la ville ou des zones de revitalisation rurale, d'une priorité. Nous prévoyons en outre l'ouverture d'une prépa talents à la Réunion. Je signe par ailleurs de nombreuses conventions avec des associations qui interviennent dans les lycées et collèges de territoires aux marges des réseaux dans lesquels l'information circule, afin que ce dispositif touche tous les lycéens.
Je tiens à préciser que ce ne sont pas les lycéens qui sont visés pour ces classes Prépas talents. Les concours dont nous parlons sont ouverts au niveau licence. Nous nous adressons donc aux étudiants qui terminent une licence ou sont en master. Les classes Prépas talents seront pour la plupart diplômantes au niveau master. Il faut donc une université pour porter ces masters. Ainsi, pour la Mayenne, il y a Nantes, mais des réflexions sont également en cours avec l'université d'Orléans, notamment à Bourges. Si des centres de formation mayennais souhaitent me soumettre un projet, des évolutions sont évidemment envisageables. En tout état de cause, la localisation des Prépas talents est déterminée par l'endroit où sont les étudiants. Le dispositif ne vise donc pas les lycéens post-bac, d'où un positionnement autour des pôles universitaires.
Pour ce qui est de l'index diversité, nous le construisons de concert avec Élisabeth Moreno. Pour être pertinent, il doit pouvoir s'appliquer au public et au privé. Nous avons en outre défini un label diversité avec l'AFNOR, qui permet de suivre la professionnalisation des fonctions de recrutement, les biais et stéréotypes, et tout ce qui peut conduire à des effets de cooptation plutôt que de reconnaissance des compétences. Le Président de la République a demandé que tous les ministères soient labellisés Diversité d'ici la fin du quinquennat. Je suis confiante pour la plupart d'entre eux, et ceux qui pourraient ne pas obtenir la certification d'ici là auront en tout état de cause lancé la procédure pour l'avoir d'ici 2023. C'est une avancée importante en vue de répondre aux critères de l'index diversité.
En ce qui concerne le financement de l'allocation diversité, vous l'avez voté. J'avais proposé dès le PLF de pré-budgéter le financement de 6 500 euros des 1 000 places supplémentaires en formation, ainsi que le doublement de l'allocation. Je vous renvoie aux comptes rendus des débats en commission et en séance plénière. Tous ces éléments ont donc bien été financés dans le budget de mon ministère.
La plateforme anti-discrimination a été lancée le 12 février, sous la tutelle de la Défenseure des droits. C'est un projet porté par Élisabeth Moreno, mais dans lequel nous sommes impliqués. La loi d'août 2019 a également posé l'obligation d'une plateforme de signalement et de lutte contre les discriminations et le harcèlement au sein des administrations, en dehors de la voie hiérarchique. Ces cellules sont aujourd'hui toutes en place.
Enfin, vous avez posé la question de la suppression de l'ENA. Les actions que nous menons ne se limitent pas à la réforme de la scolarité et des épreuves. Nous procédons à une réforme en profondeur de la gouvernance des écoles de la fonction publique. Ce qui renvoie au recrutement, pour toutes les écoles que je vous ai citées. L'ENA polarise la discussion, mais notre action est plus large. En outre, pour revenir sur les enjeux de formations aux questions numériques ou climatiques, nous créerons un tronc commun aux 23 corps de la haute fonction publique. Nous pourrons ainsi nous assurer, à partir de septembre 2021, que tous les hauts fonctionnaires disposeront des mêmes références, réflexes, et connaissances dans cinq domaines : la transition écologique, la transition numérique, les enjeux d'inégalité et de pauvreté, le rapport à la science et à la recherche et les principes républicains.
Ce tronc commun a vocation à casser les silos et corporatismes.
Troisième pan de la réforme, nous voulons une réforme de la gestion des carrières des hauts fonctionnaires, qui ira bien au-delà de la question du classement de sortie de l'ENA. Nous avons commencé à y travailler avec l'évolution de l'évaluation des préfets. D'ici juin, ils recevront tous une lettre de mission interministérielle signée par le Premier ministre, fondée sur une analyse des résultats des politiques publiques de leur département. L'évaluation des préfets ira bien au-delà des seuls indicateurs du ministère de l'Intérieur actuels. Les enjeux d'éducation relèvent de la tutelle du recteur, pour autant le préfet peut en faire une priorité dans son territoire pour développer notamment des échanges, innovations, et expérimentations qu'il convient de valoriser.
Il y a également des enjeux de revue des épreuves. J'ai engagé un travail pour déterminer celles qui étaient socialement discriminantes. Il est en effet souvent question de la culture générale. Si elle consiste à développer un raisonnement personnel sur un sujet complexe, elle n'a rien de socialement discriminante. En revanche j'ai plus de doute sur les épreuves de langue. Il est évidemment utile que les fonctionnaires apprennent l'anglais, mais cela ne doit pas conduire à sélectionner sur la base du nombre de séjours à l'étranger que les candidats ont pu réaliser, ce qui serait évidemment discriminant. Sachant que les compétences en langue peuvent être développées et rattrapées pendant le cursus.
Notre ambition est donc de réformer en profondeur la gouvernance des politiques publiques : le recrutement, la formation avec le tronc commun, la gestion des carrières avec des évaluations plus systématiques. Nous avons deux cibles : les corporatismes et les rentes à vie.
Pour ce qui est des classes talents, l'objectif de la création de 15 % de places en plus est précisément de lutter contre le fait qu'il est de plus en plus difficile de réussir ces concours sans passer par Sciences-Po ou la Sorbonne. Le but est de pouvoir préparer les concours dans toutes les universités de France de façon encadrée, avec du tutorat et du mentorat, des cours de qualité, du soutien matériel (notamment pour le logement), des entretiens et préparations avec des fonctionnaires. Je suis convaincue que l'intelligence et le mérite sont bien distribués sur tout le territoire. Ce n'est pas une question de niveau scolaire ou académique, mais d'accompagnement individuel.
Les stages en entreprise existent déjà à l'ENA. Ils se déroulaient auparavant dans de grandes entreprises et sont maintenant organisés dans des PME. C'est une évolution positive pour que les enjeux quotidiens des entreprises soient mieux connus des hauts fonctionnaires. Cela ne concerne pas que l'ENA, mais également de nombreuses écoles des finances publiques. En ce qui concerne l'ouverture à d'autres publics des postes de responsabilité et de direction, je vous rappelle que vous avez voté dans la loi d'août 2019 l'ouverture de tous les postes de direction à l'ensemble des personnels, fonctionnaires et contractuels. Il n'y a donc plus de frein légal ou réglementaire. Nous pouvons recruter les personnes directement sur la base de la compétence. C'est notamment vrai dans le domaine du numérique, à tous les niveaux, et heureusement puisqu'il n'y a pas de concours de la fonction publique dans ce domaine.
Le recrutement de personnes issues du secteur privé est également le sens du 3ème concours, qui est ouvert aux personnes disposant d'une expérience dans le privé, le secteur associatif, ou les fonctions militantes. Il permet précisément de valoriser l'expérience professionnelle en dehors de la fonction publique.
L'accompagnement passe également par la prise en compte des aspirations individuelles. Tous n'ont pas vocation à avoir la même carrière, et ce point contribuera aussi à l'attractivité.
M. Larive, je ne partage pas tous vos propos, mais je vous rejoins sur votre conclusion. Mon action vise précisément à donner une plus grande place à l'université publique. Dans leur très grande majorité, ces classes talents seront portées par des universités publiques. L'objectif est d'aller chercher des talents à l'université publique, pour les amener à la fonction publique et à l'encadrement de l'État.
Je suis d'accord avec vous pour dire que les concours doivent être revus. Les concours de la fonction publique territoriale sont déjà territorialisés. Ce sont les centres de gestion départementaux qui les organisent. J'entends que nous devons les rendre plus visibles. Je réfléchis à la mise en place de banques d'épreuves communes, pour que passer une épreuve permette d'augmenter les emplois auxquels vous pouvez avoir accès. Aujourd'hui, il faut repasser toutes les épreuves à chaque concours, alors qu'elles portent souvent sur les mêmes compétences. En territorialisant, le but est également de favoriser la mobilité géographique. C'est une réforme qui dépend beaucoup des employeurs territoriaux. Le président du groupement national des centres de gestion, Monsieur Hiriart, y travaille. Beaucoup de concours sont d'ailleurs ouverts à l'échelon régional, interrégional, ou national pour faciliter la mobilité.
Enfin, pour conclure sur la question de la discrimination positive, mon objectif n'est pas de transcrire un modèle étranger qui consisterait à prendre une photo de la société pour en obtenir le reflet exact, notamment à partir de statistiques ethniques. Le modèle français consiste plutôt à donner des moyens de réussir par l'éducation et la formation, et c'est notamment le rôle de l'école. Ces classes prépas talents sont des lieux de formation. Je me bats contre la conviction de nombreux jeunes que ces carrières ne sont pas pour eux.