Intervention de Michel Larive

Réunion du mercredi 14 avril 2021 à 15h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Larive, rapporteur :

La culture est essentielle. Tout corps social qui en est privé meurt, car la culture est une alimentation comme les autres. Qu'elle s'adresse à l'esprit et non à l'estomac ne la rend pas moins impérative. Avec la liberté, elles constituent deux facettes de notre humanité consciente : la culture est l'antidote absolu contre les obscurantismes, et il n'est pas de liberté sans culture.

Il est temps de reconnaître aux serviteurs des arts et de la culture une place aussi essentielle dans la société que la culture elle-même. La crise sanitaire que notre pays traverse agit comme un révélateur et un accélérateur des difficultés rencontrées notamment par les artistes‑auteurs. La fermeture des lieux de diffusion et de création a entraîné une dégradation sans précédent de leur situation sociale. Depuis un an, celles et ceux qui donnent du sens à nos vies s'enfoncent dans la pauvreté. Le groupe La France insoumise défend l'ambition d'un domaine public commun, maillon d'une chaîne de trois propositions de loi visant à doter les artistes-auteurs d'un véritable statut social et à améliorer les conditions de vie et de création des professionnels des arts et de la culture.

En premier lieu, nous constatons l'immense précarisation d'un nombre important d'artistes, parfois de domaines artistiques entiers. Cette précarité est particulièrement manifeste dans les arts plastiques et visuels, et dans l'édition. À titre d'exemple, la moitié des dessinateurs et dessinatrices de bande dessinée perçoit un revenu inférieur au SMIC ; un tiers vit sous le seuil de pauvreté. La puissance publique doit donner la possibilité aux artistes de vivre dignement de leur art. C'est la raison pour laquelle nous avons déposé, en 2019, une proposition de loi visant à instituer un fonds de soutien à la création artistique, dont les subsides permettraient à nos créateurs de se consacrer pleinement à leur art sans avoir à cumuler cette activité avec un emploi alimentaire. Le mécanisme proposé serait financé par une taxe de 1 % sur l'utilisation commerciale des œuvres non protégées par le droit d'auteur.

En second lieu, nous alertons sur les difficultés quotidiennes rencontrées par les artistes-auteurs, mises en exergue par la crise sanitaire. Au nombre d'environ 270 000 en France, la majorité d'entre eux est confrontée aux aléas de revenus incertains. Pendant la crise sanitaire, face à la baisse drastique de leurs ressources financières, ces créatrices et créateurs se sont retrouvés démunis, leurs revenus artistiques et droits d'auteur n'ouvrant aucun droit à l'assurance chômage, contrairement aux intermittents et aux artistes-interprètes. De plus, les artistes-auteurs sont nombreux à ne pas avoir pu bénéficier du fonds de solidarité instauré par le Gouvernement pour les travailleurs non-salariés, du fait de conditions d'octroi inadaptées à leurs revenus décalés dans le temps. Face à cette situation urgente, nous avons déposé, en 2020, une deuxième proposition de loi visant à la création d'un centre national des artistes‑auteurs.

En résumé, les objectifs recherchés sont doubles : une meilleure régulation des relations entre les artistes-auteurs et leurs diffuseurs, ainsi qu'un meilleur respect des droits des artistes-auteurs et une meilleure protection sociale pour ces derniers.

Le moment est venu d'instaurer un domaine public commun afin de lutter contre la précarité des professionnels des arts et de la culture. La République se doit de reconnaître à leur juste mesure les artistes-auteurs et de les protéger en tant que porte-drapeaux d'une culture vectrice d'émancipation des individus et d'élévation du collectif humain. Il s'agit d'établir une solidarité intergénérationnelle entre les artistes morts et les vivants, système réclamé par Victor Hugo qui écrivait : « L'héritier du sang est l'héritier du sang. L'écrivain, en tant qu'écrivain, n'a qu'un héritier, c'est l'héritier de l'esprit, c'est l'esprit humain, c'est le domaine public ». Nos intentions s'inscrivent dans la droite ligne des réflexions de Jean Zay. Dans l'exposé des motifs d'un projet de loi déposé en 1936 au nom du gouvernement de Front populaire, il écrivait : « Alfred de Vigny exigeait, dès la mort de l'auteur, "un partage entre la famille et la nation" et réglait ce partage sur des bases équitables ; nous ne pouvons mieux faire que d'adopter celles-ci presque intégralement ».

Le premier article de notre proposition de loi inscrit dans notre droit le principe d'équitable partage entre l'auteur au sens large et ses ayants droit, d'une part, et la société, d'autre part. Au cours de la vie de l'autrice ou de l'auteur, les droits patrimoniaux sur l'œuvre s'exerceront sans changement. Après son décès, et pendant soixante-dix ans, une redevance sera créée au bénéfice d'un nouveau domaine public commun, sur la base d'un partage équitable des droits à percevoir avec les ayants droit. À l'issue de cette période de soixante‑dix ans, les œuvres continueront d'entrer dans le domaine public dans les conditions actuelles.

Le second article de cette proposition traite des dispositifs que nous pourrons mettre en œuvre grâce au système de solidarité intergénérationnelle institué à l'article 1er. Ces subsides permettront de financer la protection sociale et la création des professions créatives qui ne bénéficient pas actuellement du régime des intermittents du spectacle, sous la forme d'un nouveau régime d'indemnisation du chômage, à négocier entre ces professions artistiques et ceux qui commercialisent la création.

Le sens de notre proposition est d'instituer un modèle vertueux permettant à nos artistes-auteurs de vivre dignement, grâce à la solidarité de leurs pairs disparus. Cette proposition de loi, si elle était appliquée, devrait s'accompagner, entre autres, de l'ensemble des mesures défendues par La France insoumise depuis 2017. Nous préconisons également la création d'un organisme de gestion collective public et une véritable représentation des artistes-auteurs au sein des instances décisionnelles liées à leur protection sociale.

Depuis le début des temps, les arts et la culture ont façonné les sociétés humaines. Le rôle démocratique et social des artistes est fondamental. La pauvreté à laquelle notre système les condamne est indigne. Privilégier la solidarité intergénérationnelle à l'héritage est un choix politique pour que nos créateurs bénéficient enfin de la couverture sociale que l'on est en droit d'attendre de toutes les activités qui construisent nos sociétés.

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