Intervention de Michèle Victory

Réunion du mercredi 14 avril 2021 à 15h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Victory :

La précarité de nombreux artistes est un constat partagé par chacun de nous et dans le monde de la culture. Trop d'artistes vivent sous le seuil de pauvreté, mais les pourcentages masquent des réalités bien différentes selon les métiers, les filières et les statuts. En raison de la crise du covid-19, et malgré des mesures conjoncturelles de soutien, le monde des arts se trouve terriblement touché.

Cette proposition de loi a le mérite de mettre à nouveau ces situations en lumière. La protection des droits qui découlent du droit de la propriété intellectuelle est un garde-fou, indispensable au processus même de la création et à l'enrichissement de notre culture. Ces droits, consacrés constitutionnellement par leur rattachement au droit de propriété inscrit dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, doivent être maniés avec précaution.

Nous sommes d'accord pour que la solidarité des héritiers, qualifiés de chanceux, soit mise à contribution pour entretenir la diversité culturelle de notre pays. Toutefois, nous souhaitons apporter des nuances, tant la diversité des cas est grande. Il est ressorti des auditions que la conservation et l'entretien des œuvres par les ayants droit constituent déjà un coût non négligeable pour ces derniers. Les héritiers des artistes conservent, par exemple, un droit d'opposabilité à l'altération des œuvres, preuve que le droit moral ne se limite pas à la perception des seuls revenus. Nous nous interrogeons donc sur la constitutionnalité de cette disposition au regard du rôle actif que jouent les ayants droit sur le transfert des œuvres et du droit de propriété.

Par ailleurs, si certains artistes accumulent des sommes importantes, la majorité des héritiers ne disposera que de faibles revenus associés. Ils peuvent eux-mêmes se trouver en situation de précarité. Peut-être faudrait-il envisager d'instaurer un seuil à partir duquel ces revenus pourraient être imposés.

La fiscalité relative aux droits de succession doit aussi être prise en considération : il ne faudrait pas imposer deux fois les ayants droit pour le même objet. La création d'une redevance sur les œuvres, qui sera gérée par les organismes de gestion collective, sera également source de déséquilibre à l'égard des OGC étrangers, vers lesquels les héritiers se tourneront. Cette disposition pourrait être discutée au niveau européen pour ne pas porter atteinte aux accords sur la propriété intellectuelle, issus de la directive européenne de 1993 relative à l'harmonisation de la durée de protection des droits d'auteur.

Nous avons également certaines réserves sur la création du régime d'indemnisation prévu par l'article 2. Les termes utilisés risquent de ne pas couvrir l'ensemble des professions artistiques. De plus, nous ne sommes pas convaincus de la nécessité d'ajouter un dispositif nouveau aux règles existantes, déjà peu lisibles. Nous souhaiterions plutôt renforcer et élargir les mécanismes de l'assurance chômage des artistes et des techniciens intermittents du spectacle, pour sécuriser les parcours et leur assurer un revenu lorsqu'ils préparent leurs œuvres, et ainsi garantir l'effectivité de l'accès aux droits sociaux des auteurs. Nous pourrions, pour ce faire, prévoir une contribution à l'utilisation du domaine public par les grosses entreprises et les plus hauts revenus, qui n'affecterait pas les ayants droit des artistes ni les petites structures ou les collectivités utilisatrices, et qui participerait à un financement plus juste des mécanismes de protection sociale.

Vous indiquez que les mécanismes de droits d'auteur sont largement contestés. Des améliorations peuvent certes y être apportées, mais nous ne sommes pas convaincus que vos propositions permettent de mieux soutenir la création tout en facilitant l'accès aux œuvres pour tous. Le dispositif des droits voisins et du droit d'auteur contribue déjà au financement de la création, certes de manière insuffisante, par le biais de la rémunération pour copie privée dont 25 % du produit est fléché vers l'aide à la création. Cela reste un moyen de préserver un certain équilibre entre l'intérêt général et les intérêts privés.

Il n'est pas question de relativiser la nécessité de nouvelles mesures, mais le groupe Socialistes émet des réserves sur les mécanismes proposés, bien que la question du domaine public et des richesses culturelles mérite effectivement d'être traitée. Nous nous abstiendrons sur ce texte.

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