Je vous remercie pour vos réflexions, mais, pour pouvoir discuter mieux, il aurait fallu déposer des amendements.
Nous faisons le choix de la solidarité plutôt que de la sanctuarisation de l'héritage : c'est un choix politique que nous assumons. Selon nous, les droits d'auteur, lorsqu'ils sont détenus par des ayants droit qui les ont obtenus de leurs parents, ne correspondent pas à un travail mais à une rente, comparable aux revenus tirés de la location d'une maison. Contrairement à ce qu'affirment certains, cette taxe sur la propriété n'est absolument pas anticonstitutionnelle, sinon l'ISF serait anticonstitutionnel ! De même, mon texte ne contrevient nullement à la convention de Rome, à la convention de Berne ou à la directive européenne. S'il devait être adopté et que le Conseil constitutionnel, bien plus compétent que moi, trouvait à y redire, alors je respecterais sa décision mais, en l'état, nous n'avons trouvé aucun motif de censure. La fiscalité nationale continue de s'appliquer, comme vous le savez puisque vous êtes partisans de la baisser.
La proposition de loi ne change rien aux droits voisins, dont la durée de soixante‑dix ans à compter de l'enregistrement n'est pas modifiée : si un chanteur-interprète meurt avant l'expiration de ce délai, ses héritiers perçoivent les droits voisins. Le Gouvernement a mis en place, de manière ponctuelle, un fonds de solidarité en faveur du monde de la culture ; je propose, pour ma part, un processus sur le long terme.
Concernant les organismes de gestion collective, on ne perd pas de taxes, bien au contraire : on en économise. Les frais de dossier avoisinent les 25 % à la SACEM. De plus, les droits d'auteur perçus par celle-ci diffèrent beaucoup de ceux qui sont reversés ensuite aux artistes-auteurs. La SACEM fait bien son travail, dans les conditions qu'on lui fixe : elle a toute latitude pour appliquer des marges. Nous pensons, pour notre part, que la création d'un OGC de service public permettrait d'économiser sur les frais de fonctionnement et de reverser des droits d'auteur plus importants aux artistes. Dans l'un de mes amendements, je demande la remise d'un rapport sur ce sujet ; je reviendrai plus tard sur le volet financier.
Nous ne fragilisons pas les artistes-auteurs ; au contraire, nous les solidifions. Nous n'abordons pas la question à travers le même prisme : vous invoquez les droits des héritiers ; je vous parle des droits des artistes vivants, dont je déduis de la précarité qu'ils subissent qu'il faut les aider. La loi empêchera peut-être quelques grandes majors ayant récupéré des droits d'auteur de faire des bénéfices : nous l'assumons !
Les droits patrimoniaux recouvrent certes la copie privée, mais également les copyrights « frauduleux », c'est-à-dire les recopyrights d'œuvres tombées dans le domaine public, qui deviennent une espèce de marché parallèle pour certaines grandes maisons d'édition ou certaines plateformes qui se mettent à l'édition – je n'ai pas envie de les nommer.
Certains ayants droit, c'est vrai, sont assez hostiles à ma proposition de loi ; ce sont les plus aisés, ceux qui perçoivent une rente et nous reprochent de vouloir l'amputer. Ils ont raison. Si la loi passe, ceux qui perçoivent 5 000 ou 10 000 euros par mois pour un travail qu'ils n'ont pas effectué verront divisé par deux ce qui s'apparente à du bénéfice – ce sont ceux d'avant eux qui ont travaillé.
Certains d'entre vous demandent une concertation ou font des propositions intéressantes mais n'ont pas déposé d'amendement en ce sens. Si vous amendez, on en parle ! Je suis pour la concertation mais, en l'occurrence, ce n'est pas possible.
Nous avons abordé ce texte du point de vue des artistes qui travaillent mais qui, à l'inverse des héritiers, ne perçoivent pas de rente. Le droit d'auteur d'un artiste peintre vivant et peu connu se résume à rien du tout : ce n'est pas cela qui le fait vivre, alors que sa fonction dans la société est extrêmement importante. Ce texte cherche à définir enfin un statut social des artistes-auteurs. Ce serait un juste retour des choses, compte tenu de tout ce qu'ils apportent à nos sociétés. L'idée est d'étendre la protection sociale des intermittents aux professions qui n'en bénéficient pas encore, comme les écrivains ou les artistes plasticiens. Certains journalistes de la presse quotidienne régionale (PQR) m'ont dit trouver le texte très intéressant parce que les journalistes étaient les premiers floués, leurs écrits étant utilisés, y compris dans des livres, dès lors qu'ils sont embauchés par un journal. Dans un grand nombre de professions, les auteurs ne sont pas rémunérés à leur juste valeur de leur vivant pour un travail qu'ils produisent.
L'année blanche s'arrêtera le 31 août 2021. Cela fait plusieurs mois que je demande à la ministre de la culture de nous dire si elle la prolongera ou pas. On nous répond que c'est en cours – comme pour bien d'autres choses, par exemple le plan de relance. Avec des « si », on mettrait Paris en bouteille !
S'agissant des GAFAN, nous sommes les premiers à dire qu'il faut les taxer. Combien de fois l'avons-nous demandé avec mes collègues du groupe GDR ! Ce n'est pas contradictoire avec ma proposition de loi. Si nous étions au pouvoir, nous taxerions les GAFAN à leur juste valeur, c'est-à-dire à la hauteur du chiffre d'affaires qu'ils réalisent dans le pays de réception, et non dans le pays d'émission. La France avait tenu bon au niveau européen mais elle a perdu cette bataille : c'est donc dans le pays d'émission que les taxes seront appliquées.
La directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) nous autorise à appliquer aux plateformes étrangères notre propre régime de contribution à la production d'œuvres. Nous pouvons ainsi flécher 25 % de leur chiffre d'affaires – mais 25 % de quoi, exactement ? Cela n'a pas été défini, pas plus que les productions qui bénéficieront de cette ressource. Nous restons donc dans le flou. De plus, sous quelle forme une plateforme comme Netflix va-t-elle donner ces 25 % ? En argent, en nature, en promesses d'embauches ? Rien n'étant fléché, elle est relativement tranquille. Je tiens donc à vous rassurer : si cette loi est adoptée, cela ne nous empêchera pas de taxer très fortement les GAFAN.
Le volet financier est énorme mais nous n'avons pas suffisamment d'informations pour évaluer son ampleur. Nous aurons cependant suffisamment de subsides pour financer la protection sociale. Avant que les œuvres de Ravel ne tombent dans le domaine public, elles rapportaient 3 millions d'euros par an de droits d'auteur ; pour les héritiers de Michael Jackson, cela représenterait, selon la presse, 145 millions de dollars par an.