Intervention de Delphine Ernotte-Cunci

Réunion du mercredi 6 octobre 2021 à 9h35
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Delphine Ernotte-Cunci, présidente-directrice générale de France Télévisions :

Je dresserai rapidement un bilan de l'activité intense de France Télévisions ces derniers mois, avant de partager avec vous les enseignements que nous en tirons. J'évoquerai ensuite les grands projets stratégiques qui mobilisent toute l'entreprise, car la période qui s'ouvre sera déterminante à bien des égards pour notre secteur.

La crise a démontré la capacité d'innovation de France Télévisions. Au cours des dix-huit derniers mois, et à chaque étape de la crise, l'entreprise n'a cessé d'innover, d'inventer et de créer. Nous n'avons eu qu'une seule question en tête : comment être plus utiles aux Français ? Lors du premier confinement, en mars 2020, nous avons créé en quatre jours, avec le ministère de l'éducation nationale, l'école à la maison sur France 4, pour permettre la continuité pédagogique et pour soulager les parents, dont la situation était alors difficile. Nous avons adapté au jour le jour nos grilles avec une offre d'information renforcée ainsi que du cinéma et de la culture pour offrir un espace de respiration à nos téléspectateurs.

En février, alors que le secteur culturel était sous cloche, nous avons lancé Culturebox pour donner aux artistes un espace d'expression. Créer de toutes pièces une chaîne en dix jours était un défi incroyable, qui a mobilisé tous les étages de la maison France Télévisions. Plus généralement, durant ces dix-huit mois, nous avons tous eu le sentiment de fonctionner en mode start-up. Les salariés ont fait preuve d'une capacité d'innovation et d'une agilité impressionnantes. Je salue leur engagement et leur grand professionnalisme.

Cette épreuve a démontré l'importance d'un service public audiovisuel fort. En tant que présidente du conseil exécutif de l'Union européenne de radio-télévision (UER), j'ai constaté, partout en Europe, à quel point les entreprises publiques ont joué un rôle pivot de lien social lorsque tout était paralysé. Ces derniers mois, nos liens avec les publics se sont d'ailleurs beaucoup renforcés et de nouveaux publics sont venus à nous. France Télévisions se porte bien ; 82 % des Français nous regardent chaque semaine, soit une augmentation de près de 10 points en deux ans. La saison dernière, la première chaîne du groupe, France 2, a réalisé sa meilleure part d'audience depuis plus de dix ans. De façon générale, les études soulignent une évolution très positive de notre image. Les publics perçoivent ce qui fait notre force et nous distingue, notamment sur les critères de la créativité et de la proximité. Cette capacité à inventer et à s'interroger sans cesse sur les besoins de nos publics et sur ce qui peut leur être utile est un acquis extrêmement fort de la crise et nous comptons poursuivre sur cette lancée pour continuer à faire de France Télévisions un service public utile.

Notre première exigence est d'être un média universel, qui s'adresse à tous. Le média télévisuel reste très puissant, puisque chaque Français regarde la télévision quatre heures par jour. Notre capacité à nous adresser à tous, en particulier aux plus jeunes, est notre plus grand défi pour les prochaines années. À cet égard, je voudrais saluer la décision de maintenir le canal 14 et remercier, au nom de toute la maison France Télévisions, tous ceux d'entre vous qui ont défendu la place d'une chaîne publique pour les enfants en journée et pour la culture et le spectacle vivant en soirée.

L'expérience acquise sur le canal 14 ces dix-huit derniers mois est précieuse. En janvier, nous allons lancer une nouvelle grille en journée pour les enfants en renforçant la présence des programmes éducatifs et en créant davantage de ponts avec notre plateforme éducative, Lumni. Deux ans après son lancement, Lumni, qui est une offre commune à l'ensemble des entreprises de l'audiovisuel public, est connue par une famille sur deux et par un élève sur deux, ce qui est exceptionnel dans l'univers numérique. Avec le lancement de Lumni Étudiant, il y a quelques jours, nous venons d'élargir son public. Cette offre est dédiée aux jeunes bacheliers. Il s'agit de les aider à s'orienter dans leurs études supérieures et de leur apporter un soutien dans leur vie quotidienne, par exemple pour se loger ou pour se soigner.

Je suis persuadée que les jeunes continueront à regarder nos programmes si nous traitons des sujets qui les interpellent et si nous leur donnons la parole. C'est tout particulièrement le cas de la question climatique, qui est la première préoccupation de nos jeunes publics. Nous venons ainsi de lancer une nouvelle offre numérique européenne avec nos partenaires allemands de la Westdeutschen Rundfunk (WDR), qui s'appelle NOWU. Il s'agit d'un média participatif qui met à la portée de tous des clés pour agir collectivement et individuellement en faveur de l'environnement.

Notre deuxième exigence est d'innover pour continuer à être un passeur culturel. Je pense notamment aux publics les plus éloignés des lieux de culture pour des raisons géographiques ou financières. Un tiers des Français ne se rend jamais au cinéma et ceux qui ne se rendent jamais au concert, au théâtre ou à un spectacle de danse sont encore plus nombreux. Notre rôle de passeur culturel est sorti largement renforcé de la crise. Grâce au maintien de Culturebox sur le canal 14, notamment, nous avons réalisé un grand saut quantitatif et qualitatif dans l'exposition de la culture et du spectacle vivant. Cette chaîne est devenue tous les soirs depuis huit mois la plus grande salle de spectacles de France. Elle est par ailleurs un espace de liberté pour les jeunes créateurs, que l'on n'a pas l'occasion de voir souvent à la télévision. Nous nous attachons à représenter toutes les disciplines, de la musique classique au street art. Culturebox est aussi un succès d'audience, puisque 13 millions de Français la regardent chaque semaine.

Au delà de Culturebox, c'est l'ensemble de notre offre, les magazines et les documentaires, qui joue un rôle prescripteur fort pour donner envie d'aller voir un film, un spectacle ou encore de lire un livre. Nous croyons aussi au rôle des séries pour faire découvrir des œuvres patrimoniales ou contemporaines – vous allez bientôt voir arriver sur vos écrans l'adaptation des Particules élémentaires de Michel Houellebecq et, en décembre prochain, à l'occasion du deux centième anniversaire de la naissance de Flaubert, une nouvelle adaptation de Madame Bovary.

Le troisième pilier du service public, c'est l'information. Nous sommes confrontés à des signaux inquiétants. Plus d'un Français sur deux déclare ne plus parvenir à se faire une idée claire de l'actualité. Trop d'informations contradictoires circulent, notamment sur les réseaux sociaux. Dans ce contexte, notre rôle est d'apporter de la clarté et des repères. France Télévisions est le groupe de télévision auxquels les Français accordent la plus grande confiance. Plus de 40 millions de téléspectateurs s'informent chez nous chaque semaine. Franceinfo est devenue la première offre numérique d'information en France et la chaîne dans laquelle les Français ont le plus confiance. Cette confiance est notre actif le plus précieux ; il faut l'entretenir.

Au delà de la grande variété de notre offre, nous produisons soixante-quinze heures d'informations chaque jour et nous agissons très concrètement pour lutter contre trois phénomènes majeurs : la défiance, la manipulation de l'information et la déconnexion.

Pour faire face à la défiance, d'abord, nous avons fait le pari de la transparence, par exemple en mettant en place le dispositif NosSources, que nous avons lancé en juillet dernier et qui donne accès, sur le site de Franceinfo, à toutes les sources utilisées par nos journalistes pour fabriquer leurs sujets, qu'elles soient scientifiques, historiques, économiques ou officielles.

Pour lutter contre la manipulation de l'information, ensuite, nous devons nous armer technologiquement. À cette fin, nous avons créé en septembre une nouvelle cellule interne, Les Révélateurs. Elle est composée de journalistes et d'experts en vérification d'images et de vidéos. Les deep fakes, ces vidéos qui falsifient totalement des discours, sont très difficiles à détecter. Elles sont pour France Télévisions la prochaine frontière en matière de manipulation de l'information et nous devons être prêts, notamment dans la perspective de l'élection présidentielle.

La déconnexion, enfin, est une forme de décrochage vis-à-vis de la vie démocratique. Pour y faire face, nous ouvrons nos antennes au débat. Nous veillons à ce que celui-ci soit pluraliste et apaisé, en essayant d'apporter du recul face à l'immédiateté de l'information et de la nuance face à l'agressivité qui règne sur certains plateaux. Franceinfo, notamment, dont l'audience progresse saison après saison, prouve tous les jours sa valeur ajoutée de service public. Si nous ne l'avions pas créée, elle manquerait dans le paysage audiovisuel.

Dans un monde médiatique en mouvement, nous devons aussi poursuivre la transformation de notre maison. Les piliers du service public que sont l'universalité, la culture et la formation sont des appuis très importants pour continuer à porter notre offre, mais nous sommes confrontés, comme beaucoup de médias de service public en Europe, à deux mouvements d'ampleur. Le premier est la fragmentation de la société, que toutes les études que nous menons étayent : beaucoup de nos concitoyens ne se sentent pas représentés dans les médias, n'ont pas confiance en l'avenir et ne croient plus en les institutions, notamment les médias. Le second phénomène est la vive concurrence des plateformes et la concentration qui est à l'œuvre dans le secteur des médias. Ces mouvements de fond nous incitent à poursuivre avec vigueur la transformation de France Télévisions, engagée depuis cinq ans.

La première transformation consiste à continuer de cultiver la proximité avec nos publics. Face à la fragmentation, notre premier devoir est de veiller à ce que chacun, où qu'il habite – dans un territoire rural ou dans une zone périphérique, en outre-mer ou en métropole –, se sente représenté dans nos offres.

C'est le sens du vaste chantier de transformation de nos offres de proximité. Nos 130 implantations sur le territoire sont à cet égard une force considérable. Aucun autre média ne dispose d'une telle force de projection. Plus de la moitié des salariés du groupe travaillent déjà dans les territoires, mais je suis convaincue que nous devons décentraliser France Télévisions encore davantage. Notre barycentre doit plus que jamais se déplacer de Paris vers les territoires, y compris les plus reculés.

Transformer France 3 en un véritable média de proximité est l'un des axes structurants de cette stratégie. Elle devient progressivement un réseau de chaînes régionales, plus qu'une chaîne nationale à décrochages locaux. En trois ans, nous avons déjà triplé le volume de décrochages locaux sur la chaîne en allongeant les journaux télévisés, en déployant les matinales communes avec France Bleu, en multipliant les prises d'antenne exceptionnelles pour couvrir des événements sportifs ou culturels. Cette évolution va d'ailleurs se traduire visuellement : d'ici à la fin de l'année, les téléspectateurs verront non plus le logo de France 3, mais celui de France 3 Bretagne ou de France 3 PACA.

Nous travaillons, enfin, à un véritable média numérique de proximité, qui permettra à chacun de retrouver les informations au plus proche de ses zones de vie, où l'on possède des attaches familiales, professionnelles ou affectives. Ce chantier structurant est devant nous et mobilisera toute l'entreprise. Il constitue une formidable occasion de renforcer notre coopération déjà intense avec Radio France.

Notre ambition consiste à donner une juste place à l'ensemble de nos concitoyens, hexagonaux comme ultramarins, et à tisser des liens entre eux. C'est le sens de l'engagement pris dans le cadre du pacte pour la visibilité des outre-mer, parce qu'ils sont uniques dans le secteur. Les progrès que nous avons réalisés sont réels et nous poursuivons dans cette direction. Ainsi, dans quelques semaines, notre semaine « Cœur outre-mer » sera de retour, pour mettre un coup de projecteur sur les territoires ultramarins. Nous nous préparons également à couvrir de façon approfondie les grands événements comme le référendum en Nouvelle-Calédonie, qui se tiendra le 12 décembre – s'il n'est pas repoussé.

Toucher tous les Français, notamment les plus jeunes, c'est aussi continuer à faire de France Télévisions un média global présent sur tous les écrans. La crise sanitaire a accéléré le développement des grandes plateformes : un foyer sur deux y accède quotidiennement. Ces usages s'intensifient et touchent toutes les générations. C'est le sens de la profonde transformation numérique que nous avons engagée depuis cinq ans. Sans les projets que nous avons réalisés avec les autres entreprises de l'audiovisuel public, comme Lumni ou Okoo, nous n'aurions pas pu réagir aussi vite que nous l'avons fait pendant le premier confinement. Nous avons été bien inspirés d'avoir accéléré tous ensemble la transformation numérique.

Pour ce faire, nous avons rationalisé l'organisation de France Télévisions dans ce domaine. Nous avons ainsi regroupé nos forces autour de deux matrices : francetvinfo.fr, qui est consultée chaque jour par 3 millions de Français, et france.tv, qui a connu une très forte croissance ces dernières années.

Entre 2018 et 2022, nos investissements dans le numérique ont doublé, pour atteindre environ 200 millions d'euros par an. Le site france.tv a vocation à devenir le premier point d'accès à nos contenus. Y recourir doit devenir un réflexe pour nos publics. Nous continuons à enrichir son offre pour en faire le premier catalogue gratuit de documentaires, de spectacles vivants, de séries et de films – depuis le début de l'année, nous avons considérablement renforcé l'offre de cinéma, y compris en intégrant des collections. Au total, 120 films de cinéma par an seront proposés sur france.tv, ce qui nous était auparavant impossible.

Pour rivaliser avec les plateformes, nous haussons aussi nettement notre niveau en matière de séries. Je vous invite à regarder, fin octobre, sur France 2, une formidable adaptation de Germinal. Elle a été réalisée dans le cadre de l'alliance avec nos collègues européens, en l'occurrence avec la Rai, le service public italien. Ces alliances entre médias de service public européens nous permettent de rentrer dans le jeu des superproductions de séries, qui ne doivent plus être le monopole des plateformes américaines. Cette montée en gamme est essentielle pour exporter des séries et faire rayonner la culture française à l'étranger, comme nous le faisons depuis longtemps avec le cinéma. En matière de séries, je note avec satisfaction qu'en 2020, sur les onze séries les plus exportées à l'étranger citées dans le rapport du Centre national du cinéma, neuf sont des programmes financés par France Télévisions.

Cette guerre des contenus avec les plateformes sera vaine si nous perdons la bataille de la visibilité. À cet égard, je me permets de vous alerter, car il y a urgence. Trois téléviseurs sur quatre vendus en France sont des appareils connectés, dont la télécommande présente une touche rouge permettant d'accéder directement à Netflix ou à Amazon Prime Video. La loi autorise désormais le CSA, et demain l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), à prendre toutes les dispositions pour assurer la visibilité des services d'intérêt général, lesquels ne se confondent pas avec le service public. J'espère que des mesures similaires à celles prises en Grande-Bretagne par l'Office of Communications (OFCOM) pour mettre en avant les services de la BBC, d'ITV et de Channel 4 seront rapidement prises en France.

Le paysage concurrentiel est enfin marqué par le projet de fusion entre TF1 et M6. Face à la forte concurrence des médias mondiaux, nous devons faire preuve de hauteur de vue. Je soutiens la logique qui préside à cette fusion, car je suis persuadée que nous gagnerons collectivement à ce que les médias privés locaux se portent bien et proposent des contenus de qualité. Il y va de la survie des médias nationaux face à une forme d'impérialisme culturel américain dans le secteur des contenus. Je plaide donc pour le renforcement des groupes privés nationaux, mais également pour celui de l'audiovisuel public.

France Télévisions a réalisé des efforts de productivité sans précédent dans l'histoire de l'audiovisuel public, voire du service public. Les effectifs ont diminué de près de 15 % ; nous travaillons, à périmètre constant, avec 1 500 salariés de moins qu'en 2012. Je vous laisse imaginer les efforts que cela représente pour l'ensemble des salariés de l'entreprise. Cette diminution de la masse salariale nous a permis de maintenir nos comptes en équilibre depuis 2015, malgré une baisse importante des ressources publiques – 160 millions d'euros nets en moins depuis 2018. Ces efforts de productivité, que beaucoup disaient impossibles, ont été permis par une profonde transformation de nos structures, qui s'est traduite par des fusions de services et par la réforme des moyens en termes de fabrication, ainsi que par la modernité et la maturité de l'ensemble des équipes. Ces réformes majeures sont désormais totalement effectives. Je tiens à saluer les efforts de l'ensemble du corps social de l'entreprise et à souligner que France Télévisions connaît son troisième plan social en dix ans. Ces plans sociaux ont été réalisés sans secousses majeures grâce à un dialogue social nourri.

Toutefois, se pose la question de l'après. La réforme de la contribution à l'audiovisuel public est plus que jamais nécessaire, mais il faudra attendre pour que le débat puisse être ouvert. Lorsqu'il le sera, nous rappellerons à quel point France Télévisions remplit des missions essentielles de lien social et d'accès à l'éducation et à la culture dans tous les territoires, notamment les plus reculés. Nous sommes le seul lieu de culture pour un nombre très important de foyers français. Partout en Europe, ces missions ne sont exercées que par le service public. Nous aurons notamment besoin d'un audiovisuel public fort dans la perspective des Jeux olympiques de Paris, en 2024, dont France Télévisions a acquis les droits de diffusion. C'est un événement planétaire qui placera la France au cœur de l'attention mondiale et nous comptons bien le servir avec force, pas seulement d'ailleurs durant les deux semaines de la compétition, mais durant les trois ans qui nous en séparent. Nous allons chercher à impliquer tous les Français dans cette aventure et à en faire une grande fête populaire pour faire briller le sport et l'image de la France.

J'espère avoir montré à quel point France Télévisions et l'ensemble de ses salariés étaient engagés pour défendre un service public exigeant, un service public qui instruit et qui rassemble, mais aussi qui innove, invente et se transforme tous les jours, avec pour seule boussole le service et l'utilité pour nos publics.

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