Intervention de Marie-Christine Saragosse

Réunion du mercredi 13 octobre 2021 à 15h05
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Marie-Christine Saragosse, présidente-directrice générale de France Médias Monde :

Le projet ENTR me tient à cœur, car il permet de rappeler l'importance, mais aussi la fragilité, de notre appartenance à la construction européenne. J'ai évoqué les jeunes Polonais. Au forum Génération Égalité organisé par la France cet été, plusieurs femmes polonaises ont témoigné, ulcérées, de la remise en cause de leurs droits. Cette démarche était importante aussi parce qu'elle était multilatérale : nous avons construit ENTR avec l'Allemagne, la Pologne, le Portugal, etc. Ses rédactions sont exclusivement constituées de jeunes, et sont dirigées par deux jeunes femmes, une Allemande et une Française. La parité suppose toutefois bien de maintenir une égalité entre hommes et femmes, et je travaille souvent aussi à maintenir une juste représentation des hommes. ENTR a par exemple traité de l'abstention des jeunes dans tous les pays européens : j'ai appris à cette occasion qu'elle n'était que de 35 % en Allemagne, ce qui y paraît déjà largement excessif. Les réactions sur ce site, très participatif, permettent aussi de constater que, dans certains pays européens, l'égalité entre les femmes et les hommes passe encore pour une incongruité. Nous avons donc, je crois, créé un « petit bijou ».

L'appel d'offres européen auquel nous répondons ne finance que 40 % du projet. Les autres 60 % sont prélevés sur les fonds propres de la Deutsche Welle et de France Médias Monde. Cette année, nous avons pu utiliser à cette fin les 500 000 euros du plan d'aide au secteur public dans le cadre de la pandémie. Nous pourrons toutefois nous en passer cette année si nous remportons cet appel d'offres.

Faut-il créer un ENTR pour l'Afrique ? Telle m'a semblé être la question posée par Pierre-Alain Raphan. Il faudrait alors impliquer également les pays africains, mais la déontologie des médias africains nous pose parfois problème, et il n'existe pas d'équivalent panafricain à la Commission européenne pour obtenir des financements. Nous avons également cru comprendre au sommet de Montpellier que l'AFD devrait changer de nom. Néanmoins, les jeunes participent massivement sur les antennes de RFI, par exemple à l'émission « Alors on dit quoi », qui est déclinée en français, en fulfulde, en mandenkan, etc. Comme France 24, RFI reste toutefois une radio française et ne saurait servir d'équivalent à ENTR pour l'Afrique.

« Pas de quartier » est également une émission extraordinaire et emblématique des relations que nous avons à tisser entre l'Afrique et la diaspora africaine en France. Ses équipes se rendent dans les quartiers nord de Marseille, etc. Elles n'ont été agressées qu'une seule fois, et parce qu'il y avait une caméra, non parce qu'il s'agissait de France 24. De même, « Légendes urbaines », qui porte sur le rap – aujourd'hui langue universelle – donne la parole à des personnalités dotées de pensées passionnantes. Les jeunes Français disposent de tous les remèdes aux erreurs que nous pourrions commettre à l'égard d'autres pays.

Des idées sont ainsi à tirer du sommet de Montpellier. Le problème pour mettre en œuvre ces solutions ne tient ni aux idées, ni aux savoir-faire, mais, comme toujours, aux moyens. La qualité humaine de nos équipes est la seule clé qui nous a permis de rester compétitifs ces dernières années.

Nous passons notre temps à adapter notre offre numérique à la modernité, à l'intelligence artificielle, au cloud, aux GAFA, etc. : c'est notre métier désormais, et c'est pourquoi nous pouvons présenter des chiffres d'audience aussi satisfaisants. Nous avons aujourd'hui réussi à désenclaver le numérique et le broadcast. La rédaction de France 24 à Bogota par exemple a été construite pour passer sans cesse de l'un à l'autre. De même, les journalistes de RFI réalisent d'authentiques « prodiges » sur le numérique. Nous disposons de trois experts de la culture Data, dont MCD bénéficiera par exemple aussi pour le Maghreb.

Notre audience francophone, de 41 %, est en croissance, même si cette croissance est naturellement moindre que celle des autres langues, qui représentent un potentiel à cet égard plus important. Quelles que soient nos antennes, elles intègrent toujours le français. Nous proposons également des méthodes d'apprentissage du français à partir des langues vers lesquelles nous nous développons. Lors de la mise en place de MCD, par exemple, nous avons immédiatement intégré à la grille de DAB+ en France une méthode d'apprentissage du français à partir de l'arabe. Nous travaillons à cet égard en complémentarité avec TV5 Monde, qui propose davantage des apprentissages en vidéo, tandis que nous les proposons en audio, ce qui demande moins de bande passante dans certaines zones reculées.

Nous n'opposons donc pas la francophonie aux langues étrangères. Par exemple, alors que les journalistes anglophones n'ont pas l'habitude de parler du Maghreb – qui est un territoire francophone, même si l'Algérie ne fait pas partie de l'organisation de la francophonie –, nous en parlons sur notre chaîne anglophone, comme nous en parlons en espagnol depuis Bogota, alors que cette couverture n'existe pas sur les autres chaînes hispanophones. L'organisation internationale de la francophonie (OIF) elle-même défend d'ailleurs le plurilinguisme. C'est pourquoi les Autrichiens – pour défendre l'existence de l'allemand – et les Thaïlandais par exemple en font partie.

De même, comment l'OIF, qui est africaine, pourrait-elle ignorer les langues africaines ? Elle finance nos méthodes d'apprentissage du français à partir des langues africaines, et par exemple « Le Talisman brisé ». Parler de la France en chinois est utile, comme il est utile de pouvoir parler de l'affaire des sous-marins en anglais de manière équilibrée. Nos homologues anglais ou américains parlent d'ailleurs davantage de langues étrangères que nous, alors même que l'anglais est une langue plus internationale que le français. Ils ont donc conscience eux aussi de ces enjeux.

Nous ne nous attendions pas à une réforme de la redevance avant une élection présidentielle, car aucun parti politique ne l'a réformée depuis de très longues années. Pourtant, je ne suis pas certaine que cette redevance soit impopulaire. En Suisse, à l'issue d'une votation, le maintien de la redevance avait été demandé à 70 %, car les gens avaient compris qu'elle servait à la liberté de l'information. France Médias Monde n'est pas financée par le gouvernement français, mais directement par les citoyens français, ce qui garantit l'indépendance totale de son information. Il y gagne une légitimité bien plus grande, par exemple auprès des régimes non démocratiques, ou sur YouTube, car ses chaînes y sont identifiées comme des « chaînes publiques », et non des « chaînes gouvernementales », contrairement à d'autres, qui partent alors de plus loin pour combattre les infox ou attirer les jeunes. La redevance constitue ainsi pour nous un outil d'indépendance, donc de légitimation à l'international.

Comme le sommet de Montpellier l'a également montré, l'indépendance à l'égard des pouvoirs politiques est vitale pour notre crédibilité auprès de certains publics et notre capacité à ouvrir le débat à leurs points de vue. C'est parce que nous sommes une grande démocratie que nous avons une redevance. On ne la trouve pas dans les pays dictatoriaux, mais en Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie, etc.

De plus, la redevance doit avoir une assiette dynamique, car nos dépenses sont dynamiques, d'autant que l'inflation reprend. Sans l'ancienneté, le niveau constant des salaires équivaudrait donc à une perte de pouvoir d'achat. Nous pouvons à cet égard nous inspirer de la réforme de la redevance menée en Allemagne il y a plusieurs années. C'est urgent, car, dès 2023, la taxe d'habitation ne pourra plus servir de support de perception.

Des moyens plus simples que le recours aux financements à durée déterminée de l'AFD et de l'Union européenne doivent pouvoir être trouvés également. La BBC et la Deutsche Welle disposent de financements directs.

CFI, qui travaille en coopération audiovisuelle internationale, est une filiale à 100 % de France Médias Monde, qui constitue ainsi un pôle complet. Pourquoi donc ne disposerait-il pas du programme 209 de la mission « Aide publique au développement » ? De telles aides publiques au développement, dont le nom devrait certes changer, nous permettraient d'intervenir de manière beaucoup plus réactive dans la bande sahélienne lorsque c'est nécessaire, et non deux ans plus tard.

Nous demandons également le soutien de tous nos élus pour que les financements dont nous bénéficions de la part de l'Europe cessent de dépendre d'appels d'offres et soient pérennisés. Infomigrants date de 2017 : pourquoi ne figure-t-il pas dans le budget septennal ? Supposerait-on un arrêt prochain des migrations en Europe ? De même, si nous n'obtenons pas de financement européen pour ENTR, je ne sais pas comment nous ferons. La France doit donc demander son intégration au budget septennal.

La baisse de l'audience de MCD résulte, non d'une perte d'attrait, mais d'une perte mécanique de couverture. Les États-Unis louaient un pylône à notre centre de Chypre pour Voice of America, ce qui nous permettait de financer ce centre pour couvrir des zones comme l'Égypte ou l'Arabie Saoudite, où le recours aux ondes moyennes reste très important. Lorsqu'ils ont cessé de le louer, sous l'impulsion du Président Trump – et au motif erroné que les ondes moyennes ne fonctionneraient plus –, nous avons dû nous en retirer également, faute de moyens. Il en a résulté une baisse très importante de l'audience de MCD, même si elle a été presque intégralement compensée par son succès en Irak et au Soudan, notamment. Nous espérons que son audience continuera à augmenter. Elle dispose désormais d'un réseau de 28 émetteurs et couvre également la France en DAB+. La synergie entre France 24 et MCD se développe également, notamment sur le numérique. MCD y est très présent, mais davantage au Proche et Moyen-Orient qu'au Maghreb, qui constitue plutôt le marché privilégié de France 24. Grâce à la culture Data que nous avons pu développer avec les langues de RFI, un projet pilote commun à MCD et aux langues de RFI se met en place en arabe pour tenter d'accroître l'audience de MCD au Maghreb. Les audiences au Maghreb des contenus numériques en français de France 24 et RFI sont déjà très importantes.

Nous mesurons les audiences d'Infomigrants auprès des migrants grâce aux enquêtes de l'université britannique Open University. Nous avons reçu 72 millions de visites en 2020, contre 76 millions en 2019, car la pandémie a également impacté les migrations. Un pic d'audience en pachtoune et dari a en revanche été enregistré en août 2020. Une diffusion en bengali a également été lancée cette année à la demande de la Commission, pour répondre à l'afflux qui semble résulter de la fermeture des Émirats arabes unis et de la Libye aux réfugiés. Cela montre bien qu'Infomigrants, comme ENTR et l'ensemble de notre activité, joue un rôle utile de lutte contre l'infox. Nous disposons également de certains observateurs migrants, qui nous font remonter des informations exclusives.

Nous travaillons avec Arte en renvoi mutuel de public, notamment espagnol : nous renvoyons à Arte notre public d'Amérique latine, tandis qu'elle nous adresse son public européen hispanique. Nous projetons de procéder de même avec nos publics anglais, mais n'en avons pas encore eu le temps. Nous coproduisons également avec elle de nombreux contenus, et nous souhaiterions notamment faire passer sur ENTR, en polonais ou en allemand, certains des modules d'Arte France destinés aux jeunes. Enfin, nous venons de finaliser ensemble des pactes Jeunesse et Outre-mer.

Je suis convaincue comme vous du rôle des expertes. Nous réalisons du media training pour aider les femmes à gagner en confiance dans leurs prises de parole. Le doute finira par devenir une qualité importante, mais ce n'est pas encore le cas, et il ne doit pas être excessif. Nous finançons « l'annuaire des expertes », qui permet à nos journalistes d'appeler des femmes sur tous les sujets, et nous souhaiterions désormais le développer en d'autres langues que le français. Nous avons également fait partie des premiers signataires de la Charte pour les industries culturelles et créatives du forum Génération Égalité, que nous avons contribué à rédiger. Et j'ai personnellement représenté la France au sein du Gender Equality Advisory Council (GEAC) du G7, qui a sous notre impulsion recommandé officiellement aux médias de ses États membres de signer cette charte pour les industries culturelles.

Pour continuer à progresser, nous mettrons maintenant en place des formations internes à destination de nos journalistes. Le poste de responsable RSE que nous avons créé nous permettra ainsi d'organiser un séminaire de sensibilisation aux techniques pour faire progresser l'égalité femmes-hommes, en plus des formations que nous destinons déjà à nos cadres dans ce domaine.

J'ai lu ce matin dans la revue de presse l'annonce du Président de la République sur les fonds qu'il destine au développement des outils de production de contenus culturels, et nous devrons examiner comment y accéder. Nous produisons toutefois déjà beaucoup de contenus culturels : c'est la « signature » des chaînes françaises à l'international. L'audience de France 24 en espagnol comprend par exemple 50 % de femmes, d'une part car elle est très engagée sur l'égalité femmes-hommes, d'autre part parce qu'il s'agit d'une chaîne d'information très culturelle.

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