Intervention de Sibyle Veil

Réunion du mercredi 20 octobre 2021 à 9h35
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France :

En ce qui concerne la féminisation des antennes, seules 39 % d'expertes ont été dénombrées en 2020, en raison de la crise sanitaire. En effet, comme beaucoup d'autres médias, nous avons été confrontés au fait que les intervenants sur ces questions étaient en grande majorité masculins. Néanmoins, la présence des femmes se délite si elle n'est pas suivie. Or il est vrai que dans les périodes de crise, nous avons tendance à ne plus suivre le sujet. La fixation d'objectifs est donc nécessaire car elle oblige les médias à faire attention et à élargir le vivier de femmes sur les antennes pour traiter des sujets au cœur de l'actualité. Nous renouerons en 2021 avec notre objectif de 45 % de femmes expertes, ce qui ne reflète pas seulement les efforts faits sur certaines émissions suivies pour mesurer le respect de cet objectif. Plusieurs femmes qui dirigent les antennes ont réalisé cette année un travail remarquable pour faire en sorte que des femmes se partagent avec leurs collègues masculins les tranches les plus importantes de nos radios, et notamment Léa Salamé, avec Nicolas Demorand pour la matinale de France Inter et Florence Paracuellos pour le journal de 8 heures sur France Inter, le plus écouté et le plus long de France.

En ce qui concerne la diffusion de France Culture à la Réunion, le DAB+ sera prochainement déployé. La diffusion en bande FM était très coûteuse pour Radio France, dans une période où les contraintes budgétaires sont extrêmement fortes. Nous avons beaucoup réfléchi à la meilleure option. D'après nos remontées, les programmes phares n'étaient pas diffusés aux heures où ils pouvaient être écoutés, compte tenu du décalage horaire. C'est la raison pour laquelle nous privilégions d'autres modes de diffusion, devant permettre de compléter l'offre pour ces populations. Dans les territoires d'outre-mer, l'offre est remplie en premier lieu par France Télévisions, avec La Première. De surcroît, dans le cadre du pacte audiovisuel pour l'outremer, nous avons convenu de diffuser sur la plateforme Radio France tous les podcasts des outremers.

À propos de l'élargissement des publics, en tant que service public, nous devons nous adresser à tous et refléter la diversité des Français sur nos antennes. Il importe de faire en sorte que les émissions de culture, de sciences, d'histoire, d'information, etc., soient accessibles au plus grand nombre. Ces efforts sont au cœur de notre stratégie éditoriale ces dernières années. Ils se reflètent dans nos résultats depuis trois ans. Sur France Inter, par exemple, les « CSP - » ont progressé de 13 %. La chaîne a gagné 600 000 auditeurs en trois ans. 71 % d'entre eux résident dans des communes de moins de 20 000 habitants. En outre, 40 % des auditeurs de France Inter résident dans des communes de moins de 20 000 habitants et 60 % dans des communes de moins de 200 000 habitants. Ces chiffres apportent une clé de lecture de l'audience de France Inter très différente de celle à laquelle nous nous attendons. Être populaire signifie également répondre aux attentes de tous les publics. Nous réalisons beaucoup d'études sur les comportements des auditeurs. Beaucoup de jeunes rentrent par les émissions d'humour pour ensuite écouter d'autres programmes. C'est le cas tout particulièrement pour une chaîne comme France Inter, qui a connu un accroissement de 38 % des auditeurs de 18 à 34 ans ces trois dernières années. Il s'agit d'une hausse inédite en France et même en Europe. Beaucoup d'autres acteurs de la radio européenne nous sollicitent pour que nous leur présentions nos stratégies éditoriales et numériques permettant de continuer à gagner de nouveaux auditeurs et donc de préparer l'avenir de la radio. Nous proposons des formats populaires divertissants de qualité. Si nous ne faisions que de la culture savante, nous nous adresserions qu'à une partie des Français. Nous élargissons donc le plus possible nos offres et diffusons la culture au travers de formats très divers.

Vous avez évoqué la question des opinions politiques pouvant être affichées par des chroniqueurs. Nous possédons un réel souci d'impartialité et de pluralisme dans le traitement des sujets d'information. Au delà, comme dans tout média, des chroniqueurs interviennent pour défendre leurs opinions. En cette rentrée, pour montrer justement que nous sommes ouverts à toutes les opinions, nous proposons une nouvelle rubrique intitulée « En toute subjectivité » lors de la matinale de France Inter, dans laquelle l'expression du chroniqueur d'opinion reflète toutes les tendances. Ce souci de pluralisme est le reflet de notre volonté de faire place à la diversité dans l'expression des opinions. Au delà, je ne connais pas d'animateur de Radio France que nous ayons pu prendre en défaut quant à l'expression d'une opinion politique.

Si la question faisait référence aux humoristes, elle soulève un débat plus large sur la place accordée à l'humour, qui a souvent un côté « poil à gratter ». Il est vrai que celui-ci fait aujourd'hui l'objet d'une « viralisation » très importante, qui a tendance à écraser la qualité de tout le reste. Quelques passifs d'humour ont été très commentés. J'aimerais rappeler que l'humour sur nos antennes est très divers dans ses formes d'expression. Sur France Inter, 24 humoristes sont présents, avec des sensibilités et des styles différents. Toutes les études que nous réalisons montrent que les auditeurs attendent de l'humour, même dans les tranches d'information. Avec une actualité toujours plus anxiogène, ces moments leur apportent une bulle de respiration et de recul. Il nous est même reproché la présence d'humoristes trop intellectuels dans la matinale. Une tranche d'information, « Par Jupiter », a un humour différent, dédié aux jeunes, davantage orienté vers la dérision et le détournement. Nous réfléchissons beaucoup à ces questions. Je pense qu'il n'est pas dans mon rôle d'exercer une police de la pensée parmi les humoristes. Il m'appartient plutôt de préserver leur liberté d'expression. Cet enjeu est essentiel aujourd'hui, car j'ai l'impression que nous sommes pris en étau entre deux tendances, qui tendent à réduire la liberté d'expression : une tendance plutôt autoritaire, s'exprimant très fortement sur la question de notre financement et l'utilité du service public, qui n'a jamais été très favorable à l'expression humoristique ; et une autre tendance, que l'on tend à qualifier de « wokiste », visant à ne pas affecter les sensibilités et les individualités, à lisser les propos et à être de plus en plus puritain. L'environnement conduirait ainsi aujourd'hui à des choix beaucoup plus lisses. Je pense que continuer à faire prévaloir la liberté d'expression est au contraire essentiel dans la période que l'on vit. Il s'agit d'un acquis de notre pays, qu'il est nécessaire de défendre, dans un cadre pluraliste et équilibré. Chaque année, sur France Inter, la moitié des humoristes sont renouvelés. Nous accompagnons les jeunes qui se lancent. Nous mettons à l'antenne de nouveaux humoristes, que nous accompagnons dans le développement de leur carrière. Il s'agit de l'un de nos engagements vis-à-vis de cette forme d'expression très populaire et ancienne en France.

En ce qui concerne l'accompagnement de la diversité pendant les élections, France Bleu, comme les autres antennes, a le souci d'accompagner l'engagement citoyen. Nous avons beaucoup parlé de la plateforme « Ma France 2022 », qui permet de porter les préoccupations citoyennes pour les mettre au cœur de l'agenda de nos médias. Il s'agit d'une illustration de nos actions pour accompagner la réflexion politique. Nous organisons en outre un nombre de débats très conséquents, dont certains avec France 3. Pour les élections municipales par exemple, nous en avions organisés 200. Pour les élections régionales, une centaine a été organisée partout en France. Nous essayons d'être présents pendant ces périodes, en consacrant le temps nécessaire à l'expression du débat politique dans sa pluralité. Nous le faisons notamment dans les matinales, à des heures de forte audience. Nous mettons en place des initiatives un peu originales. Pour les élections régionales par exemple, nous avons développé avec Make.org un module « Ma solution », pour que les citoyens expriment les solutions qu'ils aimeraient voir développées et promues dans leur vie quotidienne. Nous nous sommes beaucoup servis de ces exemples pour nourrir les débats qui avaient lieu sur nos antennes à l'occasion des élections régionales. Nous continuerons de faire vivre ces débats tout au long de la saison, aux échéances électorales majeures, avec un souci de pluralisme et de traitement des préoccupations citoyennes, sans être pris dans le maelstrom des polémiques naissant sur les réseaux sociaux et occupant beaucoup les plateaux.

Le DAB+ constitue un enjeu très important de diffusion de la radio. Il s'agit du moyen pour une radio de mener sa révolution en termes de distribution, de la même manière que la télévision l'a fait avec la TNT. Qui peut imaginer que dans dix ans, un jeune tolérera d'entendre grésiller sa radio en l'allumant, alors qu'il a par ailleurs accès à des moyens d'écoute de la musique et de contenus avec une qualité de son croissante ? Il importe pour le média radio d'investir dans un mode de distribution en phase avec les usages actuels, avec une qualité de son importante, des données associées et une continuité sans interférence des programmes. Le DAB+ accroîtra également la diversité du paysage radiophonique.

Reste qu'il s'agit d'un enjeu économique pour tous, compte tenu de la période de double diffusion en FM et en DAB+. Plus les radios possèdent un réseau FM étendu, plus cette question économique se pose. C'est la raison pour laquelle la France est en retard par rapport à beaucoup de pays européens sur ce plan. Dans les pays nordiques, le déploiement du DAB+ sur le territoire est souvent réalisé au delà de 90 % et le taux d'équipement de la population atteint également des niveaux très élevés. Nous entamons cette transition en France et rattraperons le temps perdu d'autant plus rapidement que les normes imposent désormais aux constructeurs que les récepteurs dans les voitures et les récepteurs radio vendus soient équipés du DAB+. J'ai donc bon espoir que nous pourrons respecter a minima les délais prévus par la feuille de route portée par le CSA. Depuis le 12 octobre, l'axe Paris‑Lyon-Marseille est ouvert ; 30 % des Français présents sur cet axe bénéficient désormais de toutes les antennes nationales en DAB+. Il s'agit d'un premier pas très important pour l'extension de ce réseau, qui doit atteindre plus de 50 % de la population fin 2022 pour croître encore ultérieurement. Se posera ensuite la question de sa coexistence avec la diffusion FM.

À propos du plafond de publicité, cette question m'est très souvent posée. La publicité sur nos antennes est plafonnée à 42 millions d'euros. S'y ajoutent les messages d'intérêt général que nous diffusons et les publicités numériques. Le plafond s'applique aux messages sur nos antennes. Le chiffre d'affaires publicitaire global comprend également les éléments que je viens d'évoquer, en particulier la publicité numérique. Vous retrouvez donc dans les rapports d'exécution du COM un chiffre allant au delà de la publicité plafonnée. Toutes ces questions sont désormais clarifiées dans la rédaction du nouveau COM, de manière à éviter toute ambiguïté, compte tenu de l'enjeu commercial très important pour les radios privées. Il est à noter que les évolutions sont très fortes dans ce domaine et que la concurrence sur les recettes publicitaires provient moins de Radio France que des grandes plateformes internationales, qui ont capté l'augmentation de la valeur publicitaire.

Nous favorisons toutes les formes de diversité. Nous menons beaucoup d'actions pour parler sur nos antennes ou auprès de nos salariés des messages portés par la communauté LGBT. Nous travaillons sur un texte regroupant un certain nombre d'indicateurs portant sur toutes les formes de diversité.

Enfin, je souhaite ardemment que nous avancions sur le projet de numérique de proximité. Les succès d'audience de France Bleu, première plateforme média en août dernier, montrent que l'attente est forte et que les usages d'information et de contenus de proximité sont déjà bien installés. Je pense que nous avons les moyens de bâtir un second succès de l'audiovisuel public sur la proximité avec France Télévisions, tout comme nous avons bâti le succès de Franceinfo avec France Télévisions, France Médias Monde et l'INA. Nous nous y attachons dans le cadre du COM actuel.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.