La loi du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants, dite loi ORE, a été l'un des premiers textes examinés par notre commission en début de législature. À quelques semaines de la fin de nos travaux, il est apparu nécessaire au groupe GDR de proposer un temps de réflexion commune sur l'application de cette loi, et ce pour trois raisons.
Tout d'abord, le contexte de l'enseignement supérieur a évolué. L'augmentation de la démographie étudiante s'est poursuivie sans effort de financement proportionnel, entraînant une hausse du nombre de filières en tension. Les conséquences directes de ces évolutions ont été une sélectivité croissante pour l'accès aux études supérieures, un allongement du temps d'attente des candidats pour l'obtention d'une affectation, ainsi qu'un accroissement du niveau de stress ressenti par les élèves et leur famille.
Ensuite, le cadre juridique a connu des changements. La réforme du baccalauréat général a conduit à la disparition des traditionnelles filières économique et sociale, littéraire et scientifique au profit de combinaisons d'enseignements optionnels et de spécialités variées. De plus, à la suite de contentieux engagés par des associations étudiantes mais aussi de l'appropriation, par les différents acteurs, de la plateforme Parcoursup, le contenu de celle-ci s'est progressivement enrichi.
Enfin, les premières années d'application de la loi ORE ont permis de mettre au jour des dysfonctionnements et des effets inégalitaires dans le déroulement de la procédure Parcoursup : opacité des modalités de sélection entraînant des inégalités d'accès à l'information amplifiée par l'accroissement des offres d'accompagnement privé ; utilisation d'un critère tiré du lycée d'origine des candidats pouvant conduire à avantager des établissements déjà socialement favorisés ; défaillance du service public d'orientation supposé accompagner au mieux l'ensemble des élèves dans ce moment déterminant de leur parcours de vie.
Avec le groupe GDR, nous avons conçu cette proposition de loi comme un point d'étape. Nous sommes convaincus que notre service public d'éducation et d'enseignement supérieur aurait besoin d'être réformé en profondeur, notamment par le biais d'un investissement financier massif. Il permettrait d'accompagner l'évolution de la démographie étudiante et de concrétiser le rôle d'ascenseur social de l'école, pilier de notre pacte républicain. Une telle réforme, que nous appelons de nos vœux, conduirait du reste à la suppression de Parcoursup. Tel n'est toutefois pas l'objet du présent texte.
Celui-ci a été conçu dans une démarche d'ouverture et de consensualisme. Nous nous sommes appuyés, d'une part, sur des travaux de tous horizons – rapports de la Cour des comptes, du Centre national d'études des systèmes scolaires, du comité d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale – et, d'autre part, sur l'ensemble des acteurs intéressés à la question de la transition entre le secondaire et le supérieur : les lycéens et leurs parents, les étudiants, les enseignants, les directeurs d'établissement de l'enseignement supérieur.
Il ressort de cette démarche des soutiens, toujours quasi unanimes, aux modifications que cette proposition de loi se propose d'apporter pour corriger les dysfonctionnements et les effets pervers les plus patents du système Parcoursup qui jouent en défaveur des enfants des classes sociales les plus défavorisées ou des enfants qui ne peuvent bénéficier d'un accompagnement parental. C'est dans cette même démarche d'ouverture que j'invite chacune et chacun d'entre vous à se placer pour examiner ce texte.
Le premier correctif que nous souhaitons apporter vise à mettre un terme à une pratique de sélection qui s'est développée depuis le déploiement de la plateforme et qui consiste à introduire, dans le cadre de l'examen des candidatures par les formations, un critère tiré du lycée d'origine des candidats. Cette pratique a été vertement dénoncée par les acteurs de terrain que nous avons pu rencontrer, au premier rang desquels les lycéens, les étudiants mais aussi les enseignants du second degré. Le Défenseur des droits a également souligné, dans une décision du 18 janvier 2019, qu'un tel critère avait un caractère potentiellement discriminatoire. Cela doit d'autant plus nous alerter que notre système éducatif s'illustre par sa propension à reproduire fortement les inégalités sociales.
Cette proposition pourrait faire naître deux séries d'objections, que je souhaite ici anticiper. En premier lieu, l'anonymisation du lycée empêcherait de prendre en compte les pratiques de sur et de sous-notation de certains établissements, ce qui conduirait à avantager ou désavantager les élèves concernés. Cette objection doit être dépassée, pour deux raisons liées l'une à l'autre. D'abord, le directeur général de l'enseignement scolaire nous a affirmé, au cours de son audition, que la réforme du baccalauréat allait conduire à un mouvement d'harmonisation des pratiques de notation, au moins s'agissant des bacheliers généraux. De plus, cette harmonisation, appelée de leurs vœux par de nombreux acteurs que nous avons entendus, sera encouragée par l'anonymisation du lycée dans Parcoursup.
En second lieu, certains auditionnés nous ont alertés sur le fait que ce critère du lycée d'origine pouvait être utilisé dans le cadre de dispositifs visant à favoriser l'égalité des chances. Notre proposition n'a bien entendu jamais eu pour objet d'empêcher ceux-ci de fonctionner. J'ai ainsi déposé un amendement visant à préciser que l'anonymisation s'exercera sans préjudice de la possibilité de faire apparaître, sur la plateforme, les informations nécessaires au bon fonctionnement de ces dispositifs.
Le deuxième correctif que nous apportons est relatif à l'amélioration de la transparence du système Parcoursup. De l'avis général des personnes auditionnées, les informations disponibles sur Parcoursup ont été amplement complétées au cours des premières années de fonctionnement de la plateforme. Nous souhaitons poursuivre ce mouvement nécessaire vers plus de transparence, à plusieurs titres. Il s'agit d'abord de demander aux formations de publier leurs critères et modalités d'examen des candidatures au titre de l'année en cours en amont de l'ouverture de la plateforme, alors que ces informations ne sont actuellement disponibles que pour l'année précédente. Dans cette mesure, les candidats pourront se faire une idée précise de la manière dont leurs mérites seront appréciés par les commissions d'examen des vœux (CEV).
Cela ne signifie pas pour autant que nous souhaitons revenir sur le principe du respect du secret des délibérations des jurys : l'obligation de communication ex ante des modalités de sélection, notamment au moyen de traitements automatisés, n'a pas vocation à figer les délibérations des membres des CEV, qui pourront toujours procéder à des classements des candidatures « à la main », en se fondant entre autres sur des éléments du dossier non résumables par un indicateur chiffré, comme les lettres de motivation. Ainsi, le dispositif envisagé propose de maintenir la faculté, pour tout candidat, de réclamer la communication des motifs pédagogiques ayant fondé la décision prise sur sa candidature après réception de celle-ci. Ce maintien est introduit par voie d'amendement.
Il est également question de tirer toutes les conséquences de la réforme du baccalauréat général, qui a conduit à la disparition des traditionnelles filières économique et sociale, littéraire et scientifique au bénéfice de combinaisons d'enseignements de spécialité et optionnels. Au cours des auditions, il est apparu clairement que les combinaisons retenues seraient déterminantes pour l'accès à certaines formations du supérieur. Nous proposons donc que ces formations aient l'obligation de rendre publiques les combinaisons qu'elles entendent privilégier.
Conséquence immédiate du point précédent : dans la mesure où ces combinaisons sont choisies par les élèves en fin de classe de seconde, mais également parce que les projets d'orientation doivent se construire dans le temps long, nous souhaitons que l'ensemble des informations que nous avons abordées soient rendues publiques, non au bénéfice des seuls élèves de terminale, mais à tous. Cette précision est apportée par voie d'amendement. Du reste, une telle publication permettra également aux étudiants en réorientation de se préparer au mieux.
Notre proposition de loi met également en lumière deux difficultés, afin d'alerter et de faire réagir les acteurs concernés, au premier rang desquels les ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur.
La première concerne l'augmentation du nombre de formations en tension, pour lesquelles la demande excède fortement les capacités d'accueil. L'augmentation de la démographie universitaire, non accompagnée de moyens suffisants, induit qu'un nombre croissant de filières non sélectives en droit deviennent sélectives en fait. Il en ressort un affaiblissement du principe selon lequel l'obtention du baccalauréat donne droit à un accès à l'enseignement supérieur. La présente proposition de loi propose un cadre pour permettre aux établissements d'agir en concertation avec le rectorat.
La seconde tient aux capacités d'accueil en section de technicien supérieur (STS) et en institut universitaire de technologie (IUT) pour les bacheliers professionnels et technologiques. La situation de ces élèves nous préoccupe particulièrement car nous ne sommes pas en mesure de leur proposer des études supérieures en adéquation avec leur formation. La politique des quotas n'y suffit toujours pas, les capacités des IUT n'étant pas suffisantes pour les accueillir sur l'ensemble du territoire.
Enfin, la proposition de loi entend consacrer le principe d'un accompagnement personnalisé à l'orientation pour tous les élèves à partir de la classe de seconde, qui permettra de préparer au mieux la procédure Parcoursup. Si des mesures ont été prises en début de quinquennat en ce sens, au travers du plan Étudiants – semaines de l'orientation, 54 heures annuelles dédiées à l'orientation, etc. –, le constat unanimement dressé par les acteurs de terrain est celui d'une mise en œuvre très inégale en fonction des établissements. Les différentes auditions que nous avons menées ont prouvé combien les enfants des classes sociales les plus défavorisées étaient les moins bien accompagnés dans ce parcours d'orientation et d'utilisation de la plateforme Parcoursup. Il est temps de se doter d'une politique publique forte de l'orientation pour que tous les enfants de la République soient accompagnés dans leurs choix.
La présente proposition de loi n'a pas vocation à renverser le système Parcoursup. Dans une logique constructive et dans l'attente d'une réforme de grande ampleur, elle souhaite simplement en gommer les effets les plus inégalitaires et améliorer son fonctionnement. Dans cette mesure, elle pourrait être largement soutenue, par-delà les clivages politiques.