Intervention de Erwan Balanant

Réunion du mercredi 24 novembre 2021 à 9h35
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaErwan Balanant, rapporteur :

Monsieur le président, merci de m'accueillir dans votre commission. Le texte que nous allons examiner est le volet législatif du rapport que j'étais en effet venu vous présenter.

Le harcèlement constitue, hélas, une forme répandue, ordinaire et quotidienne de violence au sein des établissements scolaires, publics comme privés. Environ 700 000 enfants sont victimes, chaque année, de harcèlement scolaire. C'est presque une classe d'âge entière qui subit au quotidien des comportements qui dégradent leurs conditions de vie. Comme l'actualité nous le rappelle régulièrement, le harcèlement scolaire tue ; de plus, ces drames absolus ne doivent pas nous faire oublier tous les autres enfants auxquels il fait perdre confiance en eux, en leurs camarades et en l'institution.

Certes, le phénomène n'est pas nouveau, mais il est nettement aggravé par le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication, qui offrent de nouvelles occasions et de nouveaux moyens de harceler en abolissant toute barrière physique entre les auteurs et les cibles de ces comportements. Les réseaux sociaux et les groupes de messagerie démultiplient la capacité des agresseurs à atteindre leurs victimes. Les effets de groupe, qui peuvent constituer un ressort puissant du harcèlement scolaire, sont également amplifiés par les modalités particulières du cyberharcèlement. Avec les réseaux sociaux, le harcèlement n'a plus de limite de temps ni de lieu.

Ce constat a d'ailleurs été amplifié par la crise sanitaire et le recours accru aux outils numériques comme moyen de communication entre jeunes et comme instrument pédagogique pour la continuité des enseignements. Plusieurs rapports récents, dont celui que j'ai remis au Gouvernement, celui de la mission d'information du Sénat sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement ou encore celui de la Défenseure des droits, appellent à une meilleure prise en compte du harcèlement scolaire dans les politiques publiques.

La loi du 26 juillet 2009 pour une école de la confiance a donné, pour la première fois, une expression législative à la prise de conscience suscitée par le harcèlement scolaire. Ainsi, l'article L. 511-3-1 du code de l'éducation dispose désormais : « Aucun élève ne doit subir, de la part d'autres élèves, des faits de harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions d'apprentissage susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d'altérer sa santé physique ou mentale. »

Mais l'action des pouvoirs publics contre le harcèlement scolaire ne se limite certainement pas à l'adoption de lois. Elle se déploie, avant tout, par le travail quotidien des nombreuses parties prenantes au plus près des victimes, témoins et auteurs de ces agissements. Les actions engagées au cours de la dernière décennie ont été amplifiées et généralisées depuis quatre ans, en particulier grâce à l'ambitieux programme de lutte contre le harcèlement à l'école (PHARE) dans le cadre du plan Non au harcèlement.

Pour compléter et pérenniser les instruments de cette lutte, il est indispensable d'en inscrire les principaux objectifs et les modalités dans la loi. Nous devons assurer une meilleure prévention des situations qui portent atteinte à la confiance des enfants et des jeunes en eux-mêmes, dans les institutions scolaires et universitaires et, finalement, en la société.

C'est pourquoi cette proposition de loi vise, en premier lieu, à doter l'ensemble de la communauté éducative – élèves, enseignants, personnels d'encadrement, assistants sociaux, infirmiers, psychologues, médecins scolaires, parents d'élèves – des moyens de prévenir plus efficacement les situations de harcèlement scolaire.

L'article 1er de la présente proposition de loi a une double portée, symbolique et juridique, particulièrement forte. Il fait d'abord du droit à une scolarité sans harcèlement une composante du droit à l'éducation et l'étend à l'enseignement privé et à l'enseignement supérieur. Il offre une protection aux élèves et aux étudiants victimes d'actes répréhensibles commis non seulement par leurs pairs, mais également par toute personne intervenant dans le cadre scolaire et universitaire. En renvoyant au code pénal, il sert également de fondement à une pédagogie plus concrète de la part des personnels enseignants et d'encadrement : ces derniers vont pouvoir se référer à des dispositions spécifiques de notre droit pénal, qui définiront un interdit clair.

Plus encore, il crée une obligation de moyens à la charge des établissements d'enseignement. Ces derniers devront prendre toutes les mesures appropriées afin de lutter contre le harcèlement moral dans le cadre scolaire et universitaire. Ces dispositions accompagneront le déploiement dans nos écoles du programme PHARE, généralisé depuis la rentrée 2021 après une phase d'expérimentation dans six académies.

Il s'agira d'abord d'améliorer la prévention des situations problématiques par la formation des personnels, la sensibilisation des élèves et de leurs parents, mais aussi par la mesure du climat scolaire, dont la dégradation va souvent de pair avec celle des rapports entre élèves. Les établissements pourront ainsi détecter plus rapidement les cas de harcèlement, afin d'apporter une réponse appropriée pour protéger au mieux la victime et prévenir la réitération de ces comportements individuels ou collectifs. Les personnels seront enfin en mesure de mieux orienter les victimes, les auteurs et leurs parents vers les structures appropriées, lorsqu'il devient nécessaire de faire intervenir d'autres professionnels.

Dans cette perspective, l'article 3 de la proposition de loi prévoit que le projet d'école ou d'établissement fixe les lignes directrices et les procédures destinées à prévenir et à traiter les situations de harcèlement scolaire. La formalisation de la réponse de l'établissement, qui associera médecins, infirmières, assistants sociaux et psychologues intervenant dans les établissements, apparaît indispensable. Leur harmonisation au niveau national est également nécessaire pour gagner en efficacité et massifier les initiatives heureuses qui, ici et là, ont montré tout leur intérêt.

L'article 3 permet également d'améliorer la prise en charge des victimes et des auteurs de harcèlement, en assurant une formation adéquate pour l'ensemble des professionnels qui peuvent être amenés à rencontrer ce type de situation : les personnels de l'éducation nationale, comme les personnels d'animation sportive, culturelle et de loisirs, qui sont en première ligne dans ce combat contre le harcèlement, mais aussi, plus largement, l'ensemble du corps médical et paramédical, les assistants sociaux, les magistrats et les forces de l'ordre. Car tous peuvent être amenés à intervenir, à des degrés divers, dans le traitement des situations de harcèlement scolaire.

Face à l'évolution des formes de harcèlement scolaire à l'ère du numérique, l'article 7 renforce les obligations imposées aux acteurs d'internet. Ses dispositions ciblent en particulier les réseaux sociaux. Elles visent à obliger les plateformes les plus prisées des jeunes à lutter contre les situations de harcèlement scolaire. En permettant leur signalement par les utilisateurs et en les portant à la connaissance des pouvoirs publics, il les mettra devant leurs responsabilités.

La lutte contre le cyberharcèlement nécessite aussi la responsabilisation des parents, qu'il s'agisse de protéger leurs enfants ou d'empêcher toute utilisation nuisible des réseaux par ceux qui sont civilement responsables. En ce sens, la proposition de loi n° 4646 du président de votre commission, visant à encourager l'usage du contrôle parental, est parfaitement complémentaire de l'action que nous souhaitons entreprendre au moyen de la présente proposition de loi.

C'est aussi le sens de l'article 4, dont je tiens à expliciter la portée. Je souhaite avant tout utiliser la fonction expressive du code pénal pour poser un interdit clair, capable de fonder une action pédagogique de prévention. Le harcèlement scolaire peut, certes, être appréhendé par le biais de l'infraction de harcèlement moral prévu par l'article 222-33-2-2 du code pénal, mais l'absence d'une qualification autonome prive d'une partie de son efficacité toute communication au sujet du harcèlement scolaire. L'article 4 a ainsi pour vocation première de rendre parfaitement explicites les contours de cette règle sociale.

Il permet aussi de rendre plus cohérente la répression du harcèlement moral en milieu scolaire ou universitaire par rapport à d'autres formes de harcèlement moral déjà réprimées par le code pénal. Certes, les peines maximales sont rendues théoriquement plus élevées, mais elles n'ont pas vocation à être appliquées. Si elles doivent l'être, c'est que tout le reste a échoué. Or je souhaite que tout le reste fonctionne.

Nous partageons tous, comme membres de la représentation nationale, une responsabilité particulière dans la lutte contre les différentes formes de violence. Car la violence dont tant d'élèves et d'étudiants sont victimes n'est pas sans rapport avec l'état de notre société fragmentée, dont les conflits internes s'expriment d'une façon toujours plus agressive et plus aiguë, y compris, parfois, sur nos bancs. Notre école et nos enfants sont l'avenir de notre pays. Gardons-nous d'oublier qu'ils en sont aussi le miroir.

Je remercie l'ensemble de la majorité qui a œuvré pour que ce texte voie le jour.

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