Madame Faucillon, madame Victory, lorsque j'ai commencé à travailler sur le harcèlement scolaire, j'étais défavorable à l'introduction d'une qualification autonome dans le code pénal. Mais, en étudiant le sujet avec les acteurs, notamment des avocats, je me suis rendu compte que c'était la seule solution pour garantir un même niveau de protection à un travailleur et à un élève. Comment expliquer à la société et aux parents que le code pénal protège davantage les travailleurs ou les membres du couple que les enfants dans le cadre scolaire et universitaire ? De mon point de vue, il y a là quelque chose qui ne va pas. C'est la principale justification de cette qualification autonome.
Nous avons articulé cette qualification autonome – dont la formulation est encore susceptible d'évoluer – avec le harcèlement moral. Comme je l'ai dit, cela correspond à la fonction expressive du code pénal, qui permet d'engager la société et d'imposer des obligations aux plateformes. Comme l'a relevé Laetitia Avia, les plateformes ne modéreront pas les contenus diffusés sur les réseaux sociaux et sur internet si on ne les y oblige pas.
Ce sera plus simple pour les enfants : là où il y avait des boutons de signalement « intimidations », « violences » et, parfois, « harcèlement », il y aura désormais un bouton « harcèlement scolaire ». Un enfant qui n'en peut plus des attaques de tels ou tels pourra cliquer sur ce bouton, ce signalement entraînant la transmission aux autorités et la mise en route de tout un processus.
Un autre argument fort m'a convaincu de la nécessité d'un délit autonome : lorsqu'un enfant ou sa famille se rend au commissariat de police ou à la gendarmerie parce qu'il s'estime victime de harcèlement scolaire, on lui dit qu'il est possible de porter plainte pour coups et blessures ou pour harcèlement, mais pas pour harcèlement scolaire, car cela n'existe pas.
Qui plus est, il n'existe pas de code NATINF – indiquant la nature de l'infraction – correspondant au harcèlement scolaire, ce qui empêche d'établir des statistiques. Dans le cadre de la mission que m'avait confiée le Premier ministre, j'ai demandé à la Chancellerie et au ministère de l'intérieur le nombre de plaintes déposées pour harcèlement scolaire. Or ils ne sont pas en mesure de le connaître. Cela peut paraître anodin, mais comment agir et mener une politique publique lorsqu'on ne peut pas quantifier le phénomène ? De même, s'agissant des violences sexuelles et sexistes, si l'on n'avait pas créé de qualifications précises, on ne disposerait pas de statistiques, ce qui serait tout de même problématique.
Je l'ai dit, le dépôt de plainte, c'est le constat d'échec de la société. Les plaintes relèvent des cas les plus graves, et la connaissance de ces cas permettra de guider nos politiques publiques. Si l'on décide de lancer une grande politique contre le harcèlement scolaire, d'en faire une cause nationale ou une priorité de notre réponse judiciaire et pénale, l'existence d'un code NATINF permettra des remontées directes au procureur, comme c'est le cas pour les violences conjugales. Le sujet est aussi technique que symbolique.
D'une manière générale, la création de ce nouveau délit nous permettra d'être plus réactifs et plus efficaces, comme l'a rappelé hier encore une avocate spécialiste du monde scolaire lors de la projection que j'ai organisée.
J'insiste sur l'importance de la loi. L'article 1er de la proposition de loi s'inscrit dans la continuité de l'amendement au projet de loi pour une école de la confiance – que vous aviez voté, madame Faucillon – instituant le droit à une scolarité sans harcèlement et sans violence. En se fondant sur cette disposition du code de l'éducation, le tribunal de Melun a déclaré qu'il s'agissait d'une liberté fondamentale, ce qui ouvre aux familles la possibilité de déposer un référé-liberté. Le droit, notamment le code pénal, est un outil qui permet de répondre à un certain nombre de situations. Et il n'y a pas de déséquilibre. Je pense moi aussi que la nouvelle qualification pénale n'est pas la solution miracle qui résoudra toutes les situations. La solution, c'est l'engagement de toute la société contre le harcèlement scolaire. Or c'est aussi le code pénal, constitutif du contrat social, qui engage la société.