Intervention de Michèle Victory

Réunion du mercredi 12 janvier 2022 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Victory, rapporteure :

Mes chers collègues, je suis heureuse de vous présenter cette proposition de loi, car elle a trait à deux catégories de personnels indispensables à la réalisation d'objectifs que nous partageons tous : d'une part, l'accueil de l'ensemble des élèves et des étudiants, sans distinction, dans les établissements d'enseignement public, privé et agricole ; d'autre part, l'instauration d'un climat scolaire propice à la sérénité nécessaire aux apprentissages et à l'épanouissement de nos jeunes.

Je dois également vous dire l'émotion ressentie lorsque je me suis entretenue avec plusieurs de ces personnes, que ce soit au cours des auditions ou lors d'échanges dans des établissements de ma circonscription. Beaucoup ont exprimé la grande difficulté de leur situation et leur découragement dans l'exercice de leurs missions : l'aide à l'inclusion scolaire d'élèves en situation de handicap pour les AESH, l'encadrement des élèves et l'appui aux équipes éducatives pour les AED. Des AESH notamment ont évoqué leurs conditions de travail : des déplacements quotidiens entre différents établissements, un emploi à temps partiel, une rémunération mensuelle inacceptable, l'incertitude que fait peser sur leur avenir le possible non-renouvellement de leur contrat et, en définitive, le sentiment que, souvent, leur engagement n'est pas pris en considération à sa juste valeur.

Nous avons choisi de traiter conjointement le statut des AESH et celui des AED, pour deux raisons principales.

Premièrement, les fonctions dévolues aux AESH étaient auparavant exercées par des AED, souvent appelés auxiliaires de vie scolaire (AVS), plus particulièrement chargés de l'accueil d'enfants en situation de handicap. Cette spécialisation interne à la catégorie des assistants d'éducation a justifié la création, en 2014, d'un statut distinct. En introduisant l'article L. 917-1 dans le code de l'éducation, la majorité précédente a ainsi prévu notamment le recrutement des AESH par CDI au terme de six années de travail. Il s'agissait là d'un premier pas vers la professionnalisation de ces agents.

Deuxièmement, les statuts respectifs des AESH et des AED se caractérisent par leur précarité. Les causes et les manifestations de celle-ci sont nombreuses : d'abord, les lacunes de l'offre de formation initiale et continue, qui freinent la professionnalisation de ces agents et limitent leurs perspectives de carrière ; ensuite, la difficulté et, dans le cas des AED, l'impossibilité d'accéder à des contrats à durée indéterminée, favorisent l'instabilité des effectifs et le gaspillage des compétences acquises durant plusieurs années d'exercice au plus près des élèves ; enfin, les niveaux de rémunération de ces personnels indispensables sont tels qu'il leur est impossible de vivre décemment de leur profession, ce qui réduit fortement son attractivité.

Les données statistiques sont impressionnantes. Ainsi, la rémunération mensuelle moyenne d'un AESH s'élève à 760 euros, revenu dont la valeur réelle s'effondre dans le contexte inflationniste actuel. Seulement 2 % d'entre eux – ou d'entre elles, puisqu'il s'agit de femmes dans 93 % des cas – disposent d'un emploi à temps complet alors que les besoins d'accompagnement s'accroissent dans des proportions vertigineuses. En outre, 16,3 % des effectifs sont employés en CDI et 83,7 % en CDD, soit un ratio pratiquement inverse de celui observé dans les différentes catégories de salariés. Ce ne sont là que les principaux obstacles à l'attractivité de ces fonctions et à la professionnalisation de celles qui les exercent.

Ce constat est d'autant plus frappant que ces agents font face à des besoins croissants en matière de scolarisation d'élèves en situation de handicap – la représentation nationale devra, du reste, se pencher sur cette progression vertigineuse. Dès lors que 70 % des notifications concernent des troubles « dys », il n'est pas absurde de penser qu'une formation plus solide des enseignants permettrait de remédier à un certain nombre de difficultés. Le nombre d'enfants faisant l'objet d'une notification de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) leur attribuant une aide individuelle ou mutualisée augmente inlassablement ; qui plus est, ces notifications interviennent en cours d'année, ce qui représente un véritable casse-tête pour les référents et les chefs d'établissement. Or l'augmentation des effectifs d'AESH – le ministre ayant annoncé 4 000 recrutements – paraît d'ores et déjà compromise par la piètre reconnaissance et la faible attractivité de leurs fonctions.

Face à la précarité dont souffrent ces personnels, les mesures adoptées par la majorité actuelle paraissent très insuffisantes, tant pour les AESH que pour les AED. S'agissant des premiers, le versement d'une prime annuelle de 600 euros ne concerne que les 285 AESH référents recensés dans les différentes académies – auxquels on confie, en outre, de nouvelles missions –, soit environ 0,02 % des effectifs. La création des pôles inclusifs d'accompagnement localisés (PIAL), qui s'inscrit dans une logique de mutualisation des moyens entre établissements, conduit des AESH à intervenir au sein de plusieurs établissements, ce qui leur impose des déplacements quotidiens et entraîne une prise en charge dégradée des élèves.

Quant aux assistants d'éducation, la principale mesure prise par le Gouvernement dans la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance consiste à associer certains d'entre eux à l'exercice de fonctions pédagogiques. Cette possibilité est offerte aux AED qui se destinent aux carrières de l'enseignement ou de l'éducation. Or la part d'étudiants dans les effectifs n'est que de 30 % ; qui plus est, tous ne préparent pas les concours de l'éducation nationale et aucun n'exerce en milieu rural. Cette disposition, qui peut être utile dans certains cas, ne correspond pas à la professionnalisation des assistants d'éducation, qui s'est opérée de facto.

Nous peinons toujours à tirer les conséquences de la loi du 30 avril 2003 relative aux assistants d'éducation qui, en réponse aux demandes répétées d'acteurs associatifs, amorçait la transformation des surveillants d'autrefois en une nouvelle catégorie d'agents appelés à exercer plus longtemps des fonctions de plus en plus variées – allant de la surveillance des élèves à l'appui aux enseignants et à l'encadrement de la vie scolaire, en passant par l'accompagnement de projets culturels et citoyens –, bref : à prendre en charge tout ce qui se déroule hors des heures de cours. Notons que, dans les établissements disposant d'un internat – comme c'est souvent le cas en milieu rural –, ils jouent, aux côtés des conseillers principaux d'éducation (CPE), un rôle essentiel dans le quotidien de nos élèves.

La crise sanitaire et les absences qu'elle a entraînées ont conduit à solliciter davantage encore les effectifs d'AED pour pallier le manque de personnels d'encadrement et de direction. La proviseure du lycée Boissy d'Anglas d'Annonay m'a dit récemment combien il était regrettable de devoir se séparer au bout de six ans de personnes formées, compétentes et motivées. Aussi ne devons-nous pas concevoir les fonctions d'AED comme la phase initiale d'une carrière appelée à se dérouler dans d'autres emplois ; il faut, au contraire, organiser la montée en compétence et la professionnalisation de ces agents, tout en conservant une souplesse de gestion qui corresponde à la diversité des profils d'AED. Mais, à l'évidence, l'image de pions que l'on déplace au gré des besoins a la peau dure !

Face à la diversité de ces enjeux, pour partie communs aux deux catégories d'agents concernées, la présente proposition de loi est conçue comme une première étape, nécessairement modeste, vers une véritable reconnaissance de ces professions.

Son article 1er tend à lutter contre la précarité des AESH en actionnant trois leviers.

Premièrement, il permet leur recrutement en CDI. Cette mesure se justifie par le besoin d'effectifs stables, composés de personnels formés et expérimentés. Selon les informations que nous ont communiquées les services du ministère de l'éducation nationale, l'ancienneté moyenne des AESH actuellement en fonction est de trois ans et trois mois. Or nous devrions veiller à ce que les personnes ayant acquis une expérience précieuse exercent leurs compétences sur la longue durée. Certains AESH possèdent des compétences particulières dont le besoin se fait durablement sentir ; c'est, par exemple, le cas des agents formés à la langue des signes française, indispensables à la scolarisation des enfants atteints de surdité.

Deuxièmement, il apporte une première réponse au problème de la rémunération des AESH, en prévoyant que le temps consacré à la préparation et aux recherches personnelles nécessaires à la réalisation des heures d'accompagnement soit pris en compte dans le calcul du temps de travail effectif afin d'atteindre les 35 heures hebdomadaires légales. En effet, compte tenu de l'insuffisance de l'offre de formation – 60 heures –, de nombreux AESH sont contraints, pour s'adapter à la diversité des situations de handicap, de se former par leurs propres moyens en vue d'acquérir une compréhension suffisante de chaque handicap.

Enfin, l'article 1er prévoit le versement d'une indemnité de sujétion aux AESH qui exercent dans au moins un établissement classé en réseau d'éducation prioritaire (REP) ou en réseau d'éducation prioritaire renforcé (REP+). Il s'agit de réparer ce que nous nous accordons tous à reconnaître comme une injustice. C'est du moins ce que l'on peut supposer depuis que notre commission a adopté un amendement au projet de loi de finances défendu par le président Studer et par Cécile Rilhac et visant à instaurer cette mesure ; celle-ci ayant été rejetée en séance publique, nous vous proposons de l'adopter de nouveau.

L'article 2 de la présente proposition de loi comporte plusieurs dispositions tendant à réduire la précarité des assistants d'éducation et à accroître leur présence dans les établissements. Il permet d'abord, sans le rendre obligatoire, le recrutement des AED en CDI, soit dans le cadre d'un premier contrat, soit au terme de six ans d'exercice en CDD. Il prévoit ensuite la définition d'un taux d'encadrement minimal des élèves par les AED, pour répondre à un besoin pérenne d'effectifs suffisants. Enfin, à l'instar des dispositions de l'article 1er relatif aux AESH, il prévoit le versement des primes « REP » et « REP+ » aux AED exerçant dans les établissements concernés par ces dispositifs.

En conclusion, il est évident que les mesures que nous vous proposons n'apportent qu'une réponse partielle aux différents problèmes que rencontrent ces deux catégories d'agents ; elles ne sont que de petites pierres qui doivent contribuer à l'édification d'un véritable statut des AESH et des AED. Ce faisant, nous nous inscrivons dans le droit fil de l'implication des parents, des associations et des députés qui ont mis ces questions en lumière avant moi ; je pense notamment à Jacqueline Dubois, Sébastien Jumel, Aurélien Pradié, François Ruffin... À ce propos, je tiens à remercier tout particulièrement notre ancien collègue Christophe Bouillon, dont la proposition de loi, beaucoup plus exhaustive, a contribué, en 2018, à la prise en compte d'un postulat d'importance : nous devons passer d'une accessibilité universelle, que nous sommes loin d'avoir atteint, à une pleine citoyenneté pour tous et toutes.

J'espère, mes chers collègues, que vous serez attentifs aux exigences liées à la situation et que vous accorderez à ces hommes et à ces femmes la reconnaissance qu'ils méritent.

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