Intervention de Yannick Kerlogot

Réunion du lundi 17 janvier 2022 à 21h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYannick Kerlogot :

La fin de la législature approche et, depuis juin 2017, nous avons examiné pas moins de quarante-sept textes au sein de notre commission des affaires culturelles, dont douze projets de loi. Celui qui nous occupe ce soir est tout à fait singulier et a une grande portée symbolique, puisqu'il se réfère à une page sombre, pour ne pas dire noire, de l'histoire de France. Il nous renvoie aux années de collaboration avec les forces nazies et à leur politique de spoliation, intimement liée à un projet génocidaire.

Dans son livre Arthur ou le bonheur de vivre, qu'elle a fait paraître en 1997, à l'âge de 81 ans, Françoise Giroud écrit que personne n'est capable d'expliquer comment, au XXe siècle, au cœur de l'Europe des Lumières, un pays chrétien de haute civilisation a basculé dans la barbarie, une Allemagne national-socialiste entièrement consentante, enivrée par cette forme de fascisme qu'a été l'hitlérisme. Ce constat d'une explication impossible, nous le faisons nous aussi à propos du régime de Vichy qui, soumis à l'Allemagne, a pleinement collaboré avec l'ennemi, en particulier à partir de 1942.

La décision du Gouvernement de restituer ou de remettre certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites vise, non à réparer l'irréparable, mais à reconnaître des actes : des spoliations qui ont touché principalement des familles juives ; des spoliations qui se sont attaquées au patrimoine privé de ces familles. Restituer un tableau ou un dessin, c'est aussi restituer une part de l'identité, de la mémoire d'une personne, celle du propriétaire spolié. Cette reconnaissance individuelle est attendue par les familles. Comme l'a précisé si justement, lors de son audition, Emmanuelle Polack, chargée de mission au musée du Louvre et spécialiste du marché de l'art sous l'Occupation, il s'agit bien d'une dette rémanente de la France envers son passé, d'une reconnaissance voulue et souhaitée par le Gouvernement. Ce n'est pas le tableau qui répare ; c'est la reconnaissance des victimes qui est recherchée.

En juillet 2017, dans les pas de Jacques Chirac qui avait prononcé pour la première fois en 1995 un discours sur la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs durant l'Occupation, Emmanuel Macron affirme à son tour, lors de la commémoration de la rafle du Vél' d'Hiv, que la France, en reconnaissant ses fautes, a ouvert la voie aux réparations des persécutions et des spoliations antisémites. Au fond, l'initiative du Président de la République, relayée par le Premier ministre et par vous-même, madame la ministre de la culture, de restituer ou de remettre ces biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires, est conforme à la volonté exprimée par les Français d'assumer les pages sombres de leur histoire et de permettre ainsi aux jeunes générations de se projeter dans l'avenir, dégagées d'une responsabilité qu'elles n'ont pas à porter. L'opinion publique est tout acquise à cette cause et les jeunes, en particulier, réclament l'accélération d'un travail de mémoire sur un sujet trop longtemps occulté.

Permettez-moi de faire un parallèle avec un autre projet de loi voté à l'unanimité par cette assemblée, celui relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal. Nous avons mesuré, à cette occasion, combien la jeunesse afrodescendante attendait la restitution, à ces deux pays d'Afrique subsaharienne, d'objets culturels mal acquis par notre pays. La France, avec ce projet de loi, leur a apporté un début de réponse.

Actons ensemble que, depuis les années 1990, les musées ne peuvent plus faire l'économie des questions de provenance. Nous avons constaté, au cours de nos auditions, que le monde des musées et des collections publiques françaises a pris conscience de ces enjeux. Il en est de même des grandes maisons de vente, comme des grandes galeries internationales qui exposent des œuvres issues de collections privées. Si une première vague de restitutions a bien été menée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, après l'établissement du statut « Musées nationaux récupération », il s'en est suivi plusieurs décennies d'inactivité.

Créée en 1999, la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations a déjà permis de verser plus de 500 millions d'euros d'indemnités au titre des spoliations matérielles. En juillet 2018, Édouard Philippe, alors Premier ministre, a réaffirmé cet engagement politique et appelé la CIVS et le ministère de la culture à accentuer leurs efforts pour identifier les œuvres spoliées et les restituer à leurs propriétaires légitimes. En 2019 a été créée la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, dirigée par M. David Zivie. Les différentes auditions nous ont confirmé que les programmes de recherche sont désormais lancés par les différents acteurs concernés. Aujourd'hui, un musée n'achèterait plus, comme il l'a fait en 1980, un tableau comme Rosiers sous les arbres, de Gustav Klimt, dont la provenance inspirerait au minimum des doutes. Le principe de précaution serait appliqué.

Il nous est demandé, chers collègues, d'acter le déclassement de quinze œuvres considérées comme mal acquises, qu'il est grand temps de rendre aux ayants droit de leurs propriétaires, victimes de spoliations antisémites. Il s'agit d'un texte historique et symbolique, et le groupe La République en marche le votera.

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