Intervention de Antoine Petit

Réunion du mercredi 2 février 2022 à 11h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Antoine Petit, président-directeur général du CNRS :

Je vous remercie de me permettre de vous présenter ma candidature à un second mandat à la tête du CNRS.

Diriger le CNRS pendant quatre ans a été un honneur et un plaisir de tous les instants, même si le contexte a varié du tout au tout entre 2019, année d'anniversaire pour l'organisme, né le 19 octobre 1939, et la crise sanitaire, que nous avons subie de plein fouet, comme tout le monde.

Le CNRS est une institution unique et une chance pour notre pays. Bénéficiant d'une reconnaissance internationale exceptionnelle, il doit jouer un rôle encore plus important dans une période où, plus que jamais, la société, dans toutes ses dimensions, a besoin de davantage de science.

Un bref regard sur les quatre-vingt-deux années d'existence du CNRS doit appeler à une grande humilité. Il appartient à chacun d'apporter sa petite pierre à la construction et à l'évolution de ce bel édifice qui est avant tout une œuvre collective.

Je ne minimise pas pour autant le rôle de son président-directeur général (PDG). Celui-ci doit fixer les grandes orientations, créer des dynamiques, mobiliser les énergies, représenter l'institution et la faire rayonner, et décider, en recherchant l'adhésion.

C'est dans cet esprit que j'ai présenté ma candidature à un second mandat de PDG, en m'inscrivant dans la continuité de la politique menée depuis quatre ans – le contraire aurait été incompréhensible. Cette continuité revendiquée ne signifie en aucune manière sur-place ou stagnation : les chantiers ne manquent pas. À travers leur mise en œuvre, le CNRS continuera à évoluer, comme il le fait depuis sa création – le CNRS d'aujourd'hui n'a plus grand-chose à voir avec celui de Jean Perrin et de Jean Zay.

Ces évolutions doivent tenir compte des priorités que se donne l'établissement, en interaction constante avec l'État et en veillant à la complémentarité et aux synergies avec les autres acteurs, nationaux et internationaux.

À cet égard, je tiens à rappeler que, contrairement à ce qui se dit ou s'écrit parfois, la plupart des pays ont trois types d'acteurs : des universités, des organismes de recherche nationaux – et non, il ne s'agit pas d'une spécificité française ; il suffit de penser à la Société Max-Planck en Allemagne, à l'Académie des sciences de Chine, aux National Laboratories aux États-Unis ou encore au RIKEN au Japon – et des agences de financement, publiques ou privées.

Il est absurde d'opposer les uns aux autres, car ces acteurs, nullement en concurrence, doivent au contraire coopérer. Mais il convient de préciser clairement leurs missions, leur rôle et leur périmètre, afin d'avoir un système de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation efficace, reconnu et attractif sur la scène internationale.

C'est dans cet esprit que j'ai élaboré ma proposition de programme pour un éventuel second mandat. Ce programme peut être synthétisé en une devise simple : la recherche fondamentale au service de la société.

Conduire des recherches fondamentales, faire avancer les connaissances, est la mission première du CNRS, celle qui justifie son existence. Comme leur nom l'indique, ces recherches fondamentales constituent les fondements sur lesquels le CNRS construit ses activités. La recherche fondamentale est tout sauf un luxe. Une des tâches principales de la direction de l'institution est de tout faire pour que le CNRS maintienne le niveau international qui est le sien, voire l'élève.

Pour cela, je propose de recruter et accompagner les talents au meilleur niveau international. Ce n'est peut-être pas d'une grande originalité, mais c'est absolument vital. Ce meilleur niveau international ne se décrète pas ; il se constate. À cet égard, les résultats du CNRS au sein du Conseil européen de la recherche (ERC) sont remarquables et révélateurs. Sur l'ensemble du programme-cadre Horizon 2020, plus de la moitié des lauréats exerçant en France sont des salariés du CNRS, alors que nos chercheurs ne représentent qu'un peu plus de 11 % de la communauté académique.

Le CNRS est attractif – j'en veux pour preuve que près d'un tiers des chercheurs et chercheuses permanents que nous recrutons chaque année ont une nationalité autre que française – mais il nous faut veiller à le rester. C'est essentiel.

Notez que, contrairement encore à ce qui se dit parfois, la plupart des grands pays scientifiques ont des statuts de chercheur permanent. Ceux qui le souhaitent peuvent aussi enseigner, sur la base du volontariat. C'est le cas de plus de la moitié des chercheurs du CNRS. Il est également essentiel de travailler à la notion de « package d'accueil ». C'est souvent un élément de choix pour un jeune chercheur, au-delà du salaire personnel qui lui est proposé. Il convient, en outre, de poursuivre la politique volontariste visant à offrir aux femmes scientifiques des carrières comparables à celles de leurs collègues masculins.

Par ailleurs, le milieu international de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation est un savant et complexe mélange de coopération et de compétition. Qu'on le veuille ou non, la compétition mondiale est de plus en plus forte pour attirer les talents – étudiants, chercheurs et enseignants-chercheurs –, notamment car il y a plus d'acteurs à l'international. Regarder ces enjeux à travers le seul prisme de la France, voire de l'Europe, serait une erreur grave.

Le CNRS se doit aussi de jouer un rôle majeur dans l'élaboration et la mise en œuvre de la feuille de route pluriannuelle des infrastructures de recherche, pilotée par le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Ce document joue un rôle de plus en plus important dans la plupart des disciplines.

Il faut poursuivre sans relâche la promotion de la science ouverte, en sachant faire une chance des différents niveaux de maturité des communautés.

Je crois aussi qu'il est noble et valorisant d'avoir l'ambition de mettre la recherche fondamentale au service de la société. De fait, celle-ci bénéficie tous les jours de l'avancée des connaissances et du progrès. Je propose de porter une attention particulière à trois volets.

D'abord, les défis sociaux. Ces derniers font par définition l'objet de beaucoup d'attention et de préoccupation. Pour autant, l'importance de la science pour les aborder n'est pas toujours bien perçue. La science doit aider à comprendre et à identifier les pistes les plus prometteuses et à élaborer des solutions pertinentes. Le très large spectre thématique du CNRS est une chance à cet égard. Il faut mobiliser les forces de l'ensemble des instituts de l'organisme autour de questions et de projets concrets, pour apporter des contributions substantielles. C'est ce que nous avons fait en proposant pour la première fois, en 2020, dans le contrat d'objectifs et de performance que nous avons signé avec l'État, six défis sociaux : réchauffement climatique, transition énergétique, santé-environnement, territoires du futur, inégalités éducatives et intelligence artificielle. Nous revendiquons de contribuer à appréhender ces défis et à les surmonter. Il faut poursuivre cette démarche, notamment autour des objectifs de développement durable des Nations unies (ODD) ou des grandes priorités de France 2030.

Le deuxième volet relève du monde économique. Celui-ci a constitué une priorité de mon premier mandat. Je souhaite poursuivre et accélérer cette politique volontariste. À cette fin, je propose notamment d'amplifier notre programme de prématuration. C'est une étape clé pour le transfert, qui peut déboucher sur un projet de création de start-up ou de valorisation avec une entreprise existante, mais parfois aussi sur rien du tout – il faut accepter un taux d'arrêt significatif dans ce genre de processus. Il convient de développer également la quantité et la qualité des start-up issues du CNRS – nous en créons près d'une centaine par an avec nos partenaires universitaires. Cela peut se faire via la création d'un véritable « CNRS start-up studio », destiné à mieux identifier et accompagner celles qui présentent un fort potentiel. Il importe aussi d'encourager et de promouvoir les laboratoires communs avec des industriels. Nous avons célébré en novembre dernier le deux centième laboratoire actif. Dans ces laboratoires, le CNRS continue à faire de la recherche fondamentale, mais sur des sujets définis avec nos partenaires industriels et en interaction avec eux. Ces laboratoires communs sont un outil essentiel qui contribue à la capacité d'innover des entreprises françaises et à la souveraineté de notre pays. Ils doivent être encouragés et soutenus.

Le troisième volet est l'aide à la compréhension et à la décision. La crise sanitaire liée à la covid-19 aura peut-être eu au moins un effet bénéfique : celui de rappeler l'importance pour la société de pouvoir s'appuyer sur la science, qu'il s'agisse de prendre des décisions ou simplement, en tant que citoyen, de se forger une conviction ou de mieux comprendre. Je souhaite ainsi rendre pleinement opérationnelle la mission pour l'expertise scientifique que nous venons de créer, développer les partenariats avec l'ensemble des ministères et autres instances nationales ayant des préoccupations scientifiques, en faisant mieux connaître l'offre du CNRS, et étudier la création d'une chaîne de télévision, CNRS TV.

Pour ce faire, le CNRS doit s'appuyer sur trois atouts qui font sa force et doivent être soigneusement entretenus, utilisés et renforcés.

Le premier d'entre eux réside dans un potentiel d'interdisciplinarité unique. Les grands défis industriels ou les grands enjeux sociaux ne peuvent jamais être traités à travers des approches disciplinaires : ils nécessitent de faire coopérer et interagir différentes disciplines. Or le CNRS a précisément pour caractéristique de couvrir tous les champs du savoir. Je me propose ainsi de privilégier le développement de l'interdisciplinarité à travers des projets et des objets d'étude, sans pour autant créer de nouvelles structures. Il convient aussi de développer un programme transverse sur les données, tirant parti des expériences et savoir-faire des instituts. Vous savez tous que les données jouent un rôle de plus en plus important, dans la société comme dans le monde de la recherche.

Le deuxième atout du CNRS consiste dans un réseau de partenariats académiques exceptionnel. Le CNRS est le premier partenaire des universités en ce qui concerne la recherche. Les chercheurs de l'organisme contribuent largement au succès des universités françaises dans les classements internationaux – succès dont nous devons tous nous réjouir. Je souhaite aborder une nouvelle phase des relations avec les universités, fondée sur des partenariats plus individualisés et des stratégies partagées. Il faudra notamment veiller aux plus-values résultant de la coopération entre le CNRS, organisme national, et l'université, ancrée dans son territoire – l'un comme l'autre ayant l'ambition naturelle de rayonner internationalement.

Le troisième atout tient à un ensemble remarquable de coopérations internationales. Le CNRS est un centre de recherche profondément international. C'est une orientation qui ne saurait être remise en question. Cela commence par le recrutement, que j'ai déjà évoqué. Je propose aussi de privilégier les coopérations institutionnelles avec des universités ou organismes renommés internationalement, en s'appuyant notamment sur nos centres de recherche internationaux et sur les programmes conjoints de PhD que nous menons chaque année avec plusieurs grandes universités à travers le monde. Il faudra également mettre en œuvre le plan Afrique, finalisé fin 2021, et suivre la feuille de route intitulée « Stratégie européenne du CNRS », adoptée en mai 2021, qui doit nous permettre d'être plus performants dans le cadre des quatre piliers d'Horizon Europe.

Ce programme, que je n'ai fait qu'esquisser devant vous, vise aussi à recentrer le CNRS sur les activités pour lesquelles son statut d'organisme national est une réelle valeur ajoutée. Je précise que, de mon point de vue, le CNRS n'est pas là pour permettre aux bons de devenir très bons, mais pour aider les très bons à devenir encore meilleurs – parmi les meilleurs au niveau international. Qu'il n'y ait pas de malentendu : il est important d'aider les bons à devenir très bons, mais ce n'est pas le rôle du CNRS. Pour prendre une métaphore sportive, son rôle n'est pas d'aider à se qualifier pour les Jeux olympiques, mais d'aider les qualifiés à obtenir une médaille. Et dans le domaine de la recherche, nous avons ce grand avantage que les Jeux olympiques sont permanents.

Permettez-moi de finir cette courte présentation en évoquant rapidement la question essentielle des moyens.

La période 2010-2020 doit faire réfléchir. De nombreux gouvernements s'étant succédé pendant ce temps, mon propos ne se veut en aucun cas polémique, mais c'est mon rôle d'ancien et j'espère bientôt de nouveau président que de vous alerter.

La subvention pour charges de service public (SCSP) octroyée au CNRS est importante, avec plus de 2,7 milliards d'euros en 2021. Mais la part prise par la masse salariale est trop grande : 2,3 milliards, soit plus de 84 %. Qui plus est, elle n'a cessé d'augmenter depuis 2010, quand elle était de 80 %. Paradoxalement, le nombre d'emplois financés à travers la SCSP est en baisse régulière depuis 2010. Le CNRS a ainsi perdu près de 11 % de ses effectifs rémunérés sur la SCSP, soit en gros 3 000 postes.

Le système actuel n'est donc ni vertueux ni même incitatif. Il serait logique qu'une baisse des effectifs se traduise par une hausse de l'enveloppe disponible pour le fonctionnement de la recherche. Or il n'en est rien. Au contraire, les marges de manœuvre du CNRS se sont significativement réduites depuis dix ans. Elles sont aujourd'hui très limitées. Cette situation ne saurait perdurer sur le long terme : le CNRS ne peut voir baisser continuellement à la fois ses effectifs et son budget de fonctionnement et d'investissement de plus de 1 % par an. Dans le même temps, les ressources propres ont évolué dans le sens contraire : elles ont augmenté de plus de 10 %. Cela démontre le volontarisme et le dynamisme de l'établissement et de ses personnels, malgré ces effectifs en baisse.

La loi de programmation de la recherche a été une première étape dont il convient de se féliciter, mais je dois vous dire que le compte n'y est pas encore. Notre dépense intérieure de recherche et développement (DIRD) stagne depuis vingt-cinq ans à 2,2 % du PIB. La France est le seul des grands pays scientifiques dans ce cas. Cette comparaison internationale est essentielle et doit tous nous interpeller. Les activités de recherche développement sont de plus en plus concurrentielles, et la compétition internationale de plus en plus intense.

Cela ne concerne pas uniquement les dépenses publiques. L'objectif de Lisbonne consistait en une DIRD à 3 % – 1 % de dépenses publiques et 2 % de dépenses privées. Or, pour les unes comme pour les autres, nous n'en sommes qu'aux trois quarts du chemin. Nous devons trouver des solutions tous ensemble, acteurs publics et privés, sous peine de voir la France décrocher, incapable de rester un grand pays de science et d'innovation, et aussi de voir sa souveraineté remise en cause.

Si je suis nommé une nouvelle fois à la tête du CNRS, je proposerai aux tutelles d'aborder la question des moyens, dans une perspective pluriannuelle, dès le début de mon mandat. J'insiste simplement aujourd'hui sur l'importance que j'accorde à l'idée d'avoir un véritable contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens. Ce serait l'intérêt de tout le monde.

Le CNRS est un organisme au meilleur niveau scientifique, reconnu et respecté. Pour autant, il doit continuer à évoluer, comme il le fait depuis sa création. Mon programme s'inscrit clairement dans cette dualité : évoluer tout en s'appuyant sur une histoire exceptionnelle.

Le CNRS est un acteur unique à bien des égards. Il jouit d'une réputation internationale méritée, sans égale dans notre pays. Il est une réelle chance pour la France, notamment à une époque où la société dans toutes ses dimensions a plus que jamais besoin de science. La science peut et doit aider la France à rester une nation prospère, comptant sur la scène internationale. Avec humilité, mais conviction et enthousiasme, le CNRS doit poursuivre et développer son ambition de jouer un rôle important, voire essentiel, pour atteindre cet objectif.

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