Intervention de Antoine Petit

Réunion du mercredi 2 février 2022 à 11h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Antoine Petit, président-directeur général du CNRS :

Je ne suis candidat contre personne, ce n'est pas le principe. La presse a fait état de candidatures, d'autres sans doute sont restées secrètes, je n'ai pas d'information à ce sujet. J'ai présenté mon programme comme étant celui de la recherche fondamentale au service de la société. La recherche fondamentale est la mission essentielle du CNRS et ce qui justifie notre existence, mais elle n'est pas à opposer aux relations avec les partenaires industriels. Lorsque nous travaillons avec un grand industriel, nous nous intéressons aux sujets dont il aura besoin pour avancer dans l'avenir et nous cherchons à résoudre les problèmes de recherche fondamentale qu'il rencontre. C'est cela qui passionne nos chercheurs. Généralement, ils considèrent un problème industriel avant tout comme une source de grandes questions scientifiques. Bref, le CNRS ne trahit pas sa mission en travaillant avec les industriels. Il essaie simplement de mettre ses connaissances au service de la nation, ce qui est normal.

Je vais peut-être vous décevoir, mais tout PDG du CNRS que je suis, si je vais voir un chercheur pour lui exposer le sujet sur lequel il devra travailler, il ne me suivra pas. Ce n'est pas ainsi que la recherche fonctionne. Ce qui intéresse les gens compétents, ce sont les grandes questions scientifiques.

Par exemple, nous cherchons des solutions pour atténuer le bruit, ce qui intéresse quasiment tous les domaines. Trouver des matériaux qui atténuent le bruit, c'est de la recherche incrémentale et nous en faisons de plus en plus. Mais le défi à relever, c'est trouver comment transformer le bruit que l'on absorbe en énergie. Un jour, nous saurons le faire. Cela, c'est une question de recherche fondamentale pour laquelle il existe des applications industrielles potentielles. Le quantique est un autre exemple : tout le monde travaille dessus, et nous commençons à trouver des applications aux capteurs quantiques, mais nous ne pouvons pas encore imaginer tout ce que le quantique nous permettra de réaliser dans dix, vingt ou quarante ans – de la même façon que, il y a cinquante ans, on ne pouvait connaître toutes les conséquences de l'intelligence artificielle ou de la montée en puissance de l'informatique. Pourtant nous y travaillons, avec les industriels.

Tous les sujets liés aux ODD des Nations unies ou aux grandes questions industrielles exigent des approches pluridisciplinaires et interdisciplinaires. Or, là réside la force du CNRS. Il ne s'agit pas d'opposer interdisciplinarité et approche par discipline, de réunir des disciplines moyennes en croyant qu'il en sortira un résultat pluridisciplinaire formidable – deux bouteilles de piquette mélangées ne donnent pas un grand vin. Il faut avant tout des disciplines de grande valeur, qu'il faut être capable de réunir, tant entre sciences dures qu'entre sciences dures et sciences humaines et sociales.

Ainsi, le domaine de la santé, particulièrement d'actualité, relève certes de la biologie, mais aussi de la chimie, des modèles mathématiques, du traitement de données ainsi que des sciences humaines et sociales. Certes, la façon dont les gens réagissent n'est pas toujours rationnelle, mais pour répondre à la question « qui réagit d'une certaine façon ? », ce qui permet d'anticiper, il faut mettre dans la boucle des sociologues, des géographes et des historiens. La force du CNRS est de rassembler toutes ces disciplines en son sein.

Il ne faut pas non plus céder à l'angélisme : le CNRS est une grosse machine et, si nous n'y prenons pas garde, nous pouvons avoir tendance à travailler en silo. Le rôle de la direction générale du CNRS et de son comité de direction est de veiller à ce que tel ne soit pas le cas. C'est pourquoi nous avons développé, au fil des ans, des outils très concrets permettant de mener des recherches pluridisciplinaires et interdisciplinaires. La bonne façon de faire travailler les gens ensemble n'est pas de leur dire comment il faut le faire en théorie, mais de les confronter à des sujets concrets. Tel est l'objet de la task force Agenda 2030.

S'agissant des relations avec le monde industriel, il faut continuer à encourager l'ouverture de laboratoires communs. Disposer de systèmes pour les soutenir est essentiel. À l'heure actuelle, nos modes de fonctionnement sont bilatéraux : l'industriel investit, nous investissons. Il serait intéressant d'adopter, comme d'autres pays, un système vertueux dans lequel l'État abonde les projets : le CNRS met x, l'industriel y et l'État z, dont on calcule la valeur par la formule miracle de votre choix. Un tel soutien aux laboratoires industriels est aussi une façon indirecte d'obtenir un effet de levier sur le financement privé de la DIRD.

Il ne faut pas opposer laboratoires industriels et création de start-up : ils sont complémentaires. Cela n'affecte pas les missions du CNRS. Nous ne sommes pas une société de services : ce n'est pas à nous que s'adressera un industriel pour régler un problème à échéance de six mois ou un an. Ce qui intéresse l'industriel chez nous, c'est qu'une recherche qui est parmi les meilleures à l'échelle internationale a des chances de développer une innovation de rupture, qui lui permettra de faire la différence face à la concurrence. La réindustrialisation de la France, qui est un vœu que nous partageons tous, suppose donc d'avoir la capacité d'augmenter la bande passante entre recherche académique et recherche industrielle.

Puisque je parle du meilleur niveau international, il faut souligner le rôle essentiel de l'évaluation par les pairs (peer review). Le haut niveau international ne se décrète pas, il se constate, au sein des communautés scientifiques. Il ne faut donc pas céder au culte des indicateurs quantitatifs. Le plus important, c'est la qualité, et ce partout dans le monde. De nombreux organismes et institutions affirment le caractère essentiel de l'évaluation qualitative des recherches.

S'agissant des liens entre la science et la société, la question de l'intégrité scientifique est primordiale. La société doit avoir confiance en la science, qui doit être aussi irréprochable que possible. Depuis le début de la crise sanitaire, dont j'espère qu'elle donnera lieu à un retour d'expérience une fois qu'elle sera terminée, nous avons souvent confondu, me semble-t-il, science et médecine. Les deux sont parfaitement respectables, mais elles n'obéissent pas aux mêmes échéances temporelles ni aux mêmes enjeux.

Par ailleurs, les scientifiques doivent respecter des règles de déontologie précises. Si vous vous présentez, sur un plateau de télévision ou à la radio, en qualité de directeur de recherches au CNRS, tout ce que vous direz sera écouté à cette aune. Or il est arrivé que certains de nos collègues s'aventurent sur des terrains n'entrant pas dans leur champ de compétences. Il faut lutter contre cette pratique, si minoritaire soit-elle – il n'y a pas de raison de penser que la population des chercheurs et des chercheuses serait la seule à ne pas compter une minorité de gens qui ne sont pas parfaitement « réglo ». Il faut être attentif à ne pas confondre sa casquette de scientifique avec celle de simple citoyen, sans même parler de militant. En tant que citoyens, les chercheurs et les chercheuses ont des idées, qu'ils doivent bien distinguer de ce qu'ils peuvent dire en tant que scientifiques. Les scientifiques ont le droit de s'exprimer en tant que citoyens, pas celui de confondre les deux casquettes, même si la frontière entre les deux n'est pas toujours facile à déterminer.

Pour ce faire, il est essentiel de donner plus de place à la parole institutionnelle. Nous avons vu se succéder, sur les plateaux de télévision, des gens qui parlaient en leur nom propre. En créant la mission pour l'expertise scientifique (MPES), conséquence de la crise que nous venons de traverser, nous avons voulu donner corps à la parole du CNRS, qui n'est pas celle de M. X ou de Mme Y. Notre objectif n'est pas de formuler des préconisations ; ce n'est pas notre rôle d'institution de recherche. Notre rôle est de dire ce que l'on sait – et l'on sait des choses. Il paraît que 10 % de la population mondiale pense que la Terre est plate, mais non, elle ne l'est pas, et le soleil ne tourne pas autour. Il faut donc affirmer ce que l'on sait, tout en étant capable de dire ce que l'on ne sait pas. Il arrive que l'on demande aux scientifiques ce qu'ils pensent d'un événement survenu la veille. La seule réponse sérieuse est : rien, faute d'avoir eu le temps d'étudier le sujet. Voilà donc l'objet de la MPES – et je pense que c'est ainsi que les organismes et institutions de recherche doivent intervenir dans le débat public : dire ce que l'on sait et ce que l'on ne sait pas, et énoncer les hypothèses. Tel est le rôle de la science, à laquelle on doit demander beaucoup, mais pas trop.

J'en viens à l'attractivité de notre modèle à l'international. La compétition internationale est un fait. Aujourd'hui, on veut de la mobilité, ce qui n'est pas malheureux ; après une thèse, on fait un post-doctorat, parfois deux, parfois plus, ce qui est probablement trop. Ce faisant, on se confronte à des systèmes étrangers.

Pour attirer les meilleurs, il faut pouvoir s'appuyer sur l'environnement scientifique, qui est bon puisque nous restons un grand pays scientifique, et sur l'environnement personnel du chercheur, d'où le package d'accueil des nouveaux recrutés. Au CNRS, ils ont souvent 33‑34 ans, voire davantage dans certaines disciplines. À ce stade, ils souhaitent avoir les moyens de diriger leur propre groupe de recherches, fût-il inséré dans un collectif plus large. Si une université ou un organisme de recherches d'un pays voisin leur offre ces moyens, cela peut les faire réfléchir.

S'agissant des salaires, la LPR a permis une avancée : dorénavant, les chercheurs recrutés à l'université, au CNRS ou dans des organismes de recherche sont payés au moins deux fois le SMIC. C'est bien mieux qu'avant, mais pas exceptionnel s'agissant de gens qui sont à thèse + 3 ou 5, soit bac + 13 ou 15. Sans aller au bout du monde, ils peuvent être payés une et demi ou deux fois plus en Suisse ou en Allemagne, voire davantage s'ils sont très prometteurs. Il faut admettre que nous vivons dans un monde concurrentiel, et que la recherche n'est ni française ni européenne, mais mondiale. Il faut en tenir compte, sans remettre en cause le statut de fonctionnaire attaché au CNRS.

À défaut de solution miracle, nous pouvons procéder à des modulations, notamment en matière de primes. Les chercheurs et les chercheuses travaillant à l'université au sens large et dans les organismes de recherche sont des fonctionnaires de catégorie A, mais le niveau de leurs primes est le moins élevé de la fonction publique, et dans des proportions gigantesques. La LPR permet quelques avancées en la matière. Il faut aller plus loin. La difficulté, dans le domaine de la recherche et de l'enseignement supérieur, est que les conséquences des décisions ou de l'absence de décision s'inscrivent dans le temps long. : si demain nous sommes moins attractifs, nous n'en verrons les conséquences que dans cinq ou dix ans.

S'agissant de la LPR, le Président de la République, lors de la présentation du plan France 2030, l'a caractérisée comme une première étape. Il faut aller plus loin. Elle permet notamment l'augmentation du budget de l'Agence nationale de la recherche (ANR), ce qui est une très bonne chose. Tous les grands pays scientifiques ont de telles agences – le pire étant d'en avoir une mal dotée, ce qui cumule les inconvénients.

Il faut à l'ANR un budget suffisant pour que le taux d'acceptation des projets soit aux standards internationaux, entre 30 % et 35 %, ce qui est un gage d'efficacité. S'il est plus bas, le système devient une loterie, ce qui n'est pas efficace : on passe beaucoup de temps à faire des propositions et pas assez à les réaliser. Or la fonction première des chercheurs est de faire de la recherche. Faire des propositions est utile, contrairement à ce qu'on entend parfois, mais en nombre limité. Et surtout, ensuite, il faut avoir les moyens de conduire la recherche – c'est le principe du Conseil européen de la recherche (ERC).

Comment peut-on aller plus loin ? Il s'agit d'une question politique. La notion de package d'accueil est absolument essentielle. Soyons très concrets : le CNRS recrute chaque année 250 chercheurs ou chercheuses. Donner à chacun un package de 200 000 euros coûterait 50 millions, ce qui est certes une somme, mais qui ne représente que 2 % des 2,7 milliards versés au CNRS au titre de la SCSP. Ce n'est donc pas d'un objectif hors de portée. De telles mesures contribueraient à l'attractivité de notre pays.

S'agissant des politiques de site, le CNRS est probablement le partenaire numéro un des universités. Nous sommes très fiers d'avoir contribué aux bonnes places qu'elles ont obtenues dans les classements internationaux, auxquels on peut adresser de nombreux reproches, mais qui n'en sont pas moins pris en considération à l'étranger – certains pays n'attribuent des bourses aux étudiants qu'à condition qu'ils se rendent dans une université du top n de tel ou tel classement. La politique menée a eu l'avantage de favoriser le regroupement des établissements, dont l'université de Paris-Saclay offre un bon exemple. Premier établissement français du classement de Shanghai, elle rassemble l'ancienne université Paris-Sud, l'École normale supérieure de Cachan, devenue l'ENS Paris-Saclay, l'École centrale Paris et Supelec. Nous avons rassemblé plusieurs acteurs français de la recherche et le résultat est au rendez-vous.

Nous devons poursuivre cette évolution. Le rôle des organismes de recherche, et probablement celui du CNRS, doit évoluer, sans remettre en cause l'Unité mixte de recherche. C'est un outil très intéressant, mais qui ne doit pas être le seul outil de coopération entre institutions. On peut imaginer des coopérations à un niveau plus fin, par exemple celui de l'équipe, ou plus élevé, celui d'un observatoire ou d'une grande infrastructure de recherche. Il faut poursuivre la réflexion sur la répartition des rôles entre organisme national et université ancrée dans son territoire.

À cet égard, les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR), lancés dans le cadre du quatrième programme d'investissements d'avenir, sont très positifs. Ils donnent aux organismes nationaux la mission de copiloter des programmes, au bénéfice de la communauté scientifique dans son ensemble. C'est l'occasion de souligner le rôle du CNRS : sur les vingt-trois PEPR qui ont été lancés – dix-neuf qui s'inscrivent dans des stratégies d'accélération de filières industrielles et quatre dits « exploratoires » – seize sont pilotés ou copilotés par le CNRS, ce qui illustre le rôle assez particulier que nous jouons dans le dispositif français.

À l'échelle de l'Europe, les résultats du CNRS sont bons. Cela s'explique en partie par notre taille : nous sommes le premier organisme bénéficiaire des programmes-cadres pour la recherche et le développement technologique depuis leur création. Mais, à l'ERC, le poids de nos chercheurs est de 11 %, pour plus de 50 % des résultats, ce qui est tout à fait exceptionnel.

Dans le cadre du nouveau programme-cadre Horizon Europe, nous pouvons aller plus loin. Mais la collaboration européenne en matière de recherche ne se résume pas aux programmes-cadres. Le CNRS est membre d'un groupe informel appelé G6, avec le Conseil national de la recherche italien, le Conseil supérieur de la recherche scientifique espagnol et trois acteurs allemands – les instituts Max-Planck, Helmholtz et Leibniz. Il importe que nous sachions travailler ensemble pour construire l'Europe de la recherche dont nous avons tant besoin.

Concernant les étudiants, l'Europe de la recherche et de l'enseignement supérieur offre des programmes de mobilité, type ERASMUS, qui fonctionnent plutôt bien. Quant à la mobilité des enseignants-chercheurs, nous pouvons aller plus loin, grâce aux universités européennes, même si elles ont, au moins dans un premier temps, donné à l'enseignement la priorité sur la recherche. Très clairement, le CNRS est un acteur majeur de l'Europe de la recherche.

J'en viens à notre action internationale. C'est l'occasion de répondre à la question de M. Berta sur ce qui m'a le plus marqué depuis quatre ans. Le CNRS jouit, grâce à ses quatre‑vingt-deux ans d'existence, d'une réputation internationale unique. L'un de mes plus grands étonnements, à chacun de mes déplacements hors du territoire français, qui ont été nombreux en 2019 pour la célébration des quatre-vingts ans du CNRS, est de constater à quel point son image à l'étranger est bonne. En France, il arrive que le CNRS soit critiqué ; à l'étranger, il suscite toujours un enthousiasme impressionnant, dont nous pouvons être collectivement fiers. L'image du CNRS à l'étranger, c'est l'image de la recherche française, et elle est excellente.

Le CNRS était peu présent en Afrique. Nous en avons fait une priorité, avec un plan pluriannuel de coopérations avec l'Afrique qui sera mené en lien avec d'autres acteurs français dont la présence est plus affirmée que la nôtre. Notre approche s'inscrit dans une logique de partenariat avec les institutions de recherche africaines, ce qui est essentiel. Par ailleurs, nous couvrons l'ensemble du spectre disciplinaire : pas seulement des sujets déjà très étudiés en Afrique, comme la santé et l'environnement, ou encore un pays ou une région, mais des domaines comme le numérique et les matériaux. Ces thèmes sont assez peu couverts dans les collaborations alors même qu'ils peuvent déboucher sur la création d'emplois et de valeur.

Le crédit d'impôt recherche (CIR), qui est toujours un sujet d'intérêt pour les chercheurs, représente environ 6 milliards d'euros par an. Si demain l'État me donne le double, je serai ravi, et la communauté scientifique avec moi. Que l'État ait obtenu cet argent grâce à une réforme du CIR ou autrement, peu importe.

Sans être spécialiste, il me semble utile de rappeler que le CIR vise à financer les dépenses non seulement de recherche, mais aussi de développement. Par ailleurs, la fin, à compter du 1er janvier 2023, du doublement d'assiette des dépenses relatives aux opérations de recherche confiées aux organismes publics n'est pas une bonne chose. Il faut explorer la piste du soutien aux laboratoires communs au CNRS et aux entreprises, qui sont conformes à la réglementation européenne dès lors que la subvention qu'ils perçoivent n'est pas attribuée à l'industriel, mais au laboratoire commun. Cette démarche est à conforter dans la logique de réindustrialisation du pays.

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