En tant que sociologue, j'aborde les phénomènes sociaux selon une approche relativement historique. En 2017, j'ai notamment travaillé sur les bains-douches parisiens, au sein de l'Institut national d'études démographiques. Ainsi, une enquête a été réalisée sur un échantillon représentatif d'usagers. Celle-ci a mis en évidence la diffusion d'une précarité hydrique multiforme (accès aux toilettes, à l'eau courante et à l'hygiène), qui touche aussi bien des personnes logées que non logées. Quel que soit le prestataire, l'enjeu consiste donc à faire arriver l'eau aux personnes raccordées, comme aux personnes non raccordées.
Ce phénomène est aggravé par la crise sanitaire actuelle. Il est à noter que les bains-douches sont l'un des rares services publics à être restés ouverts pendant la crise. L'enjeu de santé publique est important.
Les employés nous ont confirmé que de nouveaux usagers fréquentaient les bains-douches. Il s'agit souvent de personnes qui se sont retrouvées, du jour au lendemain, sans logement ni ressources, donc sans eau. La problématique de l'accès à l'eau est très liée celle du logement.
La précarité hydrique concerne 900 000 personnes sans installation à l'intérieur de leur domicile, mais aussi 1,4 million de résidences principales dont les installations sanitaires sont dégradées et 1,5 million de personnes qui n'ont pas du tout accès à l'eau. Il convient d'ajouter à ces populations les personnes privées d'accès à l'eau parce qu'elles n'y sont absolument pas raccordées, notamment les personnes qui vivent à la rue ou dans des bidonvilles.
Le contexte législatif et réglementaire repose sur la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes, dite loi Brottes, et la loi n° 2015‑991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, ainsi que sur la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique. Les collectivités ont désormais la possibilité d'appliquer des tarifs sociaux. Cependant, les limites de cette loi sont évidentes. D'abord, cette possibilité dépend de la volonté de la collectivité. Elle n'est en rien obligatoire. De plus, l'article 15 de la loi du 27 décembre 2019 ne prend pas en compte les situations des personnes qui n'ont pas de compteur, c'est-à-dire qui ne sont pas rattachées au réseau – migrants, sans-abris, gens du voyage, etc. Enfin, la loi ne prévoit aucune amélioration en matière de déploiement des infrastructures publiques de l'eau et de l'assainissement tel que fontaines publiques, WC, douches.
La proposition de loi n° 2715 visant à la mise en œuvre effective du droit humain à l'eau potable et à l'assainissement, dite proposition de loi Glavany, qui a été rejetée par le Sénat en 2017 après avoir été adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale en 2016, prévoyait pourtant des obligations assez fermes – point d'eau et toilettes publiques pour les communes de plus de 3 500 habitants, douches publiques pour les communes de plus de 15 000 habitants – ainsi que la création d'une aide préventive pour les personnes qui consacrent plus de 3 % de leurs revenus à l'eau.
Je tiens à insister sur la question de l'accès à l'eau. Que le système repose sur une régie publique ou sur une délégation de service public, des garde-fous puissants sont nécessaires, notamment en termes de démocratie locale. Dans les années 1970, des débats sur la mise à disposition de fontaines publiques et de bains-douches se tenaient en conseil municipal. Un cercle vertueux doit être constitué entre une municipalité qui a envie de s'engager, la loi et la participation des citoyens.