Intervention de Sylvain Barone

Réunion du jeudi 18 mars 2021 à 10h00
Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Sylvain Barone, chercheur en science politique au sein de l'UMR G-EAU Gestion de l'eau, acteurs, usages – Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) – Université de Montpellier :

Je m'intéresse à la construction et à la mise en œuvre des politiques publiques, ainsi qu'à la gouvernance de l'eau, essentiellement en France métropolitaine. J'analyse ces sujets en tant que politiste, c'est-à-dire avec un intérêt particulier pour les questions de pouvoir et les jeux d'acteurs. Je me suis ainsi intéressé au rapport entre eau et aménagement du territoire dans différents bassins versants et à la mise en œuvre de deux réformes qui transfèrent des compétences relatives à l'eau aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, à savoir la compétence « gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations » (GEMAPI) et les compétences « eau » et « assainissement » transférées dans le cadre de la mise en œuvre de la loi NOTRe. Je me suis également intéressé aux élus impliqués dans les instances de gestion de l'eau telles que les commissions locales de l'eau, les comités de bassin et les syndicats de gestion, ainsi qu'à la suppression de l'ingénierie publique de l'État dans le domaine de l'eau.

La manière dont sont traitées les atteintes à l'eau et au milieu aquatique par les acteurs de la chaîne police-justice est un autre de mes champs de recherche. Le durcissement apparent des discours politiques et du droit se traduit, en réalité, par la fabrication d'une forme d'impunité environnementale pour les pollueurs.

Je travaille aussi sur les politiques d'adaptation aux risques littoraux : élévation du niveau de la mer, érosion côtière, submersion marine, etc.

Je ne suis absolument pas spécialiste des territoires d'outre-mer ni du secteur de l'eau en bouteille.

En France, la gestion de l'eau est dominée par les arbitrages politiques et administratifs. Il existe un effet ciseaux entre, d'une part, les objectifs affichés et les ambitions de plus en plus fortes et, d'autre part, les moyens qui se révèlent beaucoup plus modestes.

D'un côté, les objectifs fixés aux politiques de l'eau sont de plus en plus ambitieux. Ainsi, il faut atteindre le bon état de la ressource, en lien avec la mise en œuvre de la directive-cadre européenne 2000/60/CE du 23 octobre 2000 sur l'eau, réaliser des économies d'eau, mais aussi inciter les acteurs à s'emparer de questions diverses telles que le changement climatique ou la biodiversité. Le petit cycle de l'eau (eau potable et assainissement) n'est pas en reste, puisqu'il doit faire face à une série de défis : gestion patrimoniale des infrastructures, accès des plus démunis à ces biens essentiels, sécurisation de l'approvisionnement en eau.

Parallèlement, les moyens tendent à baisser. En effet, les dotations aux collectivités territoriales connaissent une baisse tendancielle depuis une dizaine d'années. De plus, les transferts de responsabilité ne sont pas intégralement compensés par des dotations ou par la possibilité d'actionner la fiscalité locale. Les budgets des agences de l'eau subissent des coupes, alors même que leur champ d'intervention s'étend. Des moyens dérisoires sont attribués aux services de contrôle de l'Office français de la biodiversité (OFB).

Cette situation a des conséquences sur le financement de projets dans le domaine de l'eau, ainsi que sur le contrôle des usages de l'eau. À ce jour, au sein de l'OFB, chaque équivalent temps-plein (ETP) de contrôle est chargé de 1 000 kilomètres de cours d'eau. Les conséquences se ressentent également en termes de pilotage de l'action publique, qui se fait de plus en plus à distance. L'État se replie beaucoup sur le volet réglementaire. Les financements passent de plus en plus par la réponse à des appels à projets compétitifs centralisés.

Ce manque de moyens reflète une hiérarchisation des priorités, où l'eau et l'environnement pèsent moins lourd que d'autres sujets. Cela s'explique par des compromis historiques assez stables entre l'État et certains groupes d'intérêts, notamment agricoles et industriels. D'ailleurs, pendant longtemps, la composition des comités de bassin en a été une bonne illustration.

Le manque de moyens s'explique également par des cultures politiques, institutionnelles et professionnelles, y compris au sein de l'administration de l'État.

Dans le même temps, nous constatons un relatif échec du mouvement de privatisation dans le domaine de l'eau. La gestion de l'eau a beau être marquée par le ménagement de certains intérêts professionnels et privés, nous n'assistons pas à un mouvement généralisé de privatisation. Il faut dire que la question des marchés de l'eau ne concerne qu'une poignée de pays dans le monde.

Il convient de ne pas confondre la marchandisation de la ressource et celle des réseaux ou de la gestion. En France, voilà bien longtemps que la gestion des réseaux a été confiée à des acteurs privés, puisque cela a été fait dès le XIXe siècle. Il s'agit d'ailleurs d'une spécificité française.

La part du privé dans la gestion locale de l'eau a toutefois tendance à diminuer. La délégation de service public concerne 60 % de la population française, mais elle apparaît en recul. Pour autant, nous ne constatons pas de raz-de-marée de la régie, même si des villes aussi importantes que Bordeaux ou Lyon ont récemment décidé d'opter pour ce mode de gestion.

Les services d'ingénierie de l'État ayant été supprimés à la suite de la révision générale des politiques publiques (RGPP) de 2007, nous avons assisté à l'émergence – assez inattendue – d'agences techniques départementales. Alors que les réformes néo-managériales souhaitent concentrer l'action de l'État sur des fonctions de pilotage, de stratégie et de contrôle, la suppression des services d'ingénierie publique a eu pour effet d'affaiblir les fonctions régaliennes de l'État, à cause de la perte de connaissances et d'expertise sur la qualité technique des offres des délégataires privés.

La loi NOTRe, qui transfère la compétence « eau potable et assainissement » aux EPCI à fiscalité propre, provoque une forte accélération du mouvement d'intercommunalisation de l'eau en France. À terme, le nombre d'autorités compétentes en eau potable sera divisé par cinq ou six, tandis que, pour l'assainissement, il sera divisé par neuf ou dix. Il s'agit d'une évolution importante, même si la réforme a été assouplie par deux lois successives. Celle-ci soulève un certain nombre de questions : transfert de personnel, reprise de réseaux en fin de vie, EPCI ayant de faibles capacités techniques et financières, augmentation probable du prix de l'eau dans certains territoires, etc.

D'un côté, la loi NOTRe aura pour effet de renforcer les autorités organisatrices. En effet, dans la mesure où les EPCI à fiscalité propre auront davantage de moyens financiers et de personnel, les régies pourront devenir une solution intéressante. D'un autre côté, cette loi fait émerger des marchés plus attractifs pour les compagnies d'eau privées.

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