Intervention de Florent Masson

Réunion du jeudi 1er avril 2021 à 17h00
Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Florent Masson, professeur de droit privé à l'université Polytechnique Hauts-de-France :

Professeur de droit privé à l'université Polytechnique Hauts-de-France à Valenciennes, je m'intéresse aux formes de propriété qui s'écartent du modèle classique de la propriété privée. C'est dans ce cadre que je me suis intéressé au droit de l'eau, par le prisme de la réflexion sur les biens communs. Je précise que ces recherches sont menées dans le cadre d'un groupe de travail sur le bien commun qui est financé par le groupement d'intérêt public de la mission de recherche Droit et Justice et auquel ont participé également mes collègues Marie-Alice Chardeaux et Aurore Chaigneau.

Je voudrais mettre l'accent sur deux points : tout d'abord, tenter de préciser le vocabulaire autour de cette notion de bien commun ; ensuite, présenter deux propositions de réformes en matière d'eau que l'on pourrait tirer de cette approche.

Le vocabulaire est un peu flottant, car c'est un domaine théorique relativement jeune, et même si les définitions se ressemblent, des petites différences subsistent. Dans son sens le plus général, est appelé bien commun tout bien ou toute ressource qui est porteur d'un intérêt collectif particulier par rapport au bien ordinaire. Cet intérêt collectif doit être juridiquement protégé. L'eau en fait évidemment partie. Cependant, plusieurs conséquences peuvent être tirées de cette nécessité de protéger cet intérêt collectif particulier. Dans une première approche, on peut insister sur une exigence de gouvernance en commun, par les acteurs eux-mêmes, par les usagers eux-mêmes. C'est plutôt l'approche développée dans le sillage des travaux de l'économiste Elinor Ostrom. Dans une seconde approche, on peut insister sur une exigence d'accès, d'usage le plus ouvert possible. C'est une approche qui peut s'articuler avec la notion de chose commune. La troisième approche possible insiste à l'inverse sur un impératif de préservation de la ressource pour les générations futures. En général, ces approches s'appuient sur la notion de patrimoine commun. Enfin, la dernière approche consiste à relier le bien commun et les droits fondamentaux de la personne pour le cas de l'eau et notamment l'accès à l'eau potable. Cette approche a été développée entre autres par la commission Rodotà en Italie.

Ces quatre approches ne sont pas incompatibles entre elles et elles se complètent. Il est toutefois intéressant de les différencier, car les conséquences juridiques ne sont pas exactement les mêmes selon l'angle à privilégier. Pour ma part, j'ai essentiellement travaillé en suivant l'approche en termes de patrimoine commun, centrée sur la préservation de la ressource. C'est dans cette optique que je vous présenterai deux propositions de réformes que le groupe a suggérées.

La première proposition consisterait à inscrire à un niveau constitutionnel un ensemble de droits visant à protéger le patrimoine commun. Parmi ces droits, nous proposons de reconnaître un droit à la conservation des éléments de ce patrimoine. Pourquoi reconnaître un tel droit fondamental à la conservation ? Le but est d'aller au-delà de l'objectif constitutionnel de préservation de l'environnement pour permettre à chacun d'invoquer ce droit, y compris dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), lorsque la ressource subit une atteinte grave, qu'elle soit quantitative ou qualitative.

La seconde proposition est de rang législatif. Nous proposons d'ajouter deux alinéas à l'article L. 210-1 du code de l'environnement qui reconnaît l'eau comme patrimoine commun afin de rattacher à cette idée de patrimoine un principe d'usage raisonnable. Ce principe est inspiré des droits américains et italiens en matière d'eau. Il permettrait d'habiliter le juge à sanctionner tout usage déraisonné des eaux privées ou publiques, en particulier le gaspillage. Dans notre droit positif, nous sommes déjà dotés d'un certain nombre de dispositifs qui visent à lutter contre ces phénomènes, mais la reconnaissance d'un principe général clarifierait la spécificité de l'eau en mettant l'accent sur cet impératif de préservation et en accordant un droit d'agir étendu.

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