Intervention de Philippe Marc

Réunion du jeudi 1er avril 2021 à 17h00
Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Philippe Marc, docteur en droit public, avocat au barreau de Toulouse :

L'exemple du professeur Chaigneau est très intéressant. Des nappes souterraines stratégiques sont aujourd'hui l'objet d'un certain nombre d'usages et il n'existe aucun encadrement en dehors de l'autorisation de pouvoir prélever cette eau. Il me semble que l'État devrait peut-être aborder la chose comme il l'a fait avec la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique. Si nous comparons les réserves d'eau souterraine à des réservoirs naturels ou artificiels souterrains, on pourrait imaginer que, sur le même schéma, l'État interviendrait pour poser le principe d'une autorisation, une sorte de règlement d'eau général qui serait attaché à chaque nappe d'eau reconnue comme étant d'intérêt stratégique et qui viendrait identifier un gestionnaire. Aujourd'hui, il n'existe pas de gestionnaire des masses d'eau souterraine. Nous avons des exploitants qui prélèvent, mais pas de gestionnaire qui rende compte des modalités de remplissage de la nappe ou de vidange. En parallèle à la loi du 16 octobre 1919, il serait possible d'imaginer, par unité hydrogéologique cohérente, un règlement d'eau avec un suivi piézométrique et la nécessité d'avoir une obligation de vidange qui s'arrêterait à un certain niveau, comme c'est le cas sur les cours d'eau en matière d'étiage avec des débits objectifs d'étiage. Des piézométries objectives empêcheraient d'aller au-delà et constitueraient un frein ou un levier pour empêcher le pillage de la ressource souterraine. Malheureusement, aucun outil n'existe aujourd'hui. Donc, plus d'État, cela serait une législation spécifique, et pas simplement leur cartographie. Un amendement a été porté dans le cadre du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, qui constitue une véritable avancée, mais le fait que ce soit écrit dans le SDAGE ne sera pas suffisant. Il faut derrière une organisation, une gouvernance des acteurs qui permette d'avoir un règlement d'eau, un chef de file et des obligations qui seraient définies dans un cahier des charges. À cet égard, l'État pourrait servir de modérateur, de régulateur. Il me semble que le précédent de l'énergie hydraulique avec la loi du 16 octobre 1919 peut être intéressant.

De la même façon, une autre idée consisterait à dire que l'eau est fragmentée à travers plusieurs législations, qu'elle est prise en compte de façon différente. Une idée pourrait attirer l'attention : pourquoi pas une loi sur les fleuves et rivières et les hydrosystèmes, au même titre qu'une loi sur la montagne et le littoral ? Ce dont souffrent les cours d'eau, c'est d'une parcellisation, d'une fragmentation des approches, et ce qui nous manque véritablement, c'est une loi qui représenterait un cadre et qui viendrait consacrer sur le plan géographique, juridique, administratif l'existence de ces grandes entités. Comme dans le cas de la montagne et du littoral, l'État pourrait intervenir pour définir et préserver ces grandes entités. De la même façon, le Conseil d'État parle de grand cycle de l'eau sans prendre le soin de le définir. Le législateur a créé la compétence « Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations » (GEMAPI), mais pour construire cette disposition législative, il est allé chercher un article du code de l'environnement relatif à la déclaration d'intérêt général de protection de la ressource en eau, l'article L. 211-7, et il a choisi quatre items (les 1°, 2°, 5° et 8°) pour qualifier et caractériser le grand cycle de l'eau, en considérant que les 8 autres items pouvaient être représentatifs des missions hors GEMAPI. En réalité, le mode opératoire est complètement glissant. Il aurait mieux valu que le législateur qualifie la compétence GEMAPI en choisissant les quatre items pertinents, mais en les inscrivant dans le code général des collectivités territoriales. Ainsi, nous aurions eu une compétence avec quatre missions. Aujourd'hui, la compétence est définie avec les quatre missions du 1°, 2°, 5° et 8° de l'article L. 211-7 du code de l'environnement. Ce mode opératoire conduit aujourd'hui à considérer que seules les structures compétentes en matière de GEMAPI sont habilitées à porter des travaux en rivière, en méconnaissance même de la portée de la compétence GEMAPI. Il me semble que l'État devrait clarifier le périmètre de cette compétence, ce qui n'est absolument pas le cas aujourd'hui. J'en veux pour preuve une foire aux questions qui a été produite par deux ministères, qui fait plus de 200 pages et qui n'apporte absolument pas de réponse. Et il nous semble nécessaire, dès lors que le Conseil d'État a parlé du grand cycle de l'eau, de définir ce dernier non pas pour des questions d'opportunité. La compétence GEMAPI est apparue dans le droit positif parce que le législateur s'est rendu compte qu'il n'y avait pas d'obligation de résultat, de maîtrise d'ouvrage, de travaux en lien avec la réalisation et l'exécution des SDAGE. L'État français était déjà en retard par rapport au cycle de réalisation des SDAGE. La raison tenait au fait de l'absence de collectivité responsable pour porter un certain nombre d'opérations. De façon opportune, l'État a considéré que ce n'était pas à lui de porter ces actions et il a voulu confier ces missions aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Pour autant, il n'a pas défini les autres missions du grand cycle de l'eau. Différentes directives communautaires nous imposent des obligations de résultat, que ce soit la directive n° 2007/60/CE du 23 octobre 2007 relative à l'évaluation et à la gestion des risques d'inondation, la directive-cadre n° 2000/60/CE du 23 octobre 2000 sur l'eau ou la directive-cadre n° 2008/56/CE du 17 juin 2008 stratégie pour le milieu marin. Aujourd'hui, des textes pèsent sur nos têtes et imposent des obligations de résultat et d'atteinte dans une échéance déterminée. Malheureusement, le droit positif ne permet absolument pas de pouvoir y répondre. Faut-il attendre une condamnation de la France ? J'entendais dans la table ronde précédente le professeur Drobenko parler d'un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne condamnant la non-atteinte des objectifs de la directive-cadre du 23 octobre 2000 sur l'eau : faut-il se rendre compte que le cadre conceptuel et matriciel du droit de l'eau n'est pas adapté pour répondre à cette évolution du droit français qui est devenu très largement un droit européen ?

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