Il me semble que l'exemple de Vittel fait apparaître un enjeu d'étatisation de la ressource en eau souterraine stratégique. Il n'est pas possible de s'en remettre uniquement à la planification, telle qu'elle est conçue aujourd'hui, car les outils ne sont pas adaptés et la force juridique est très nuancée. Souvent, dans la pratique, j'ai l'impression d'avoir de bons documents très bien élaborés et qui comportent beaucoup d'éléments d'informations, mais que les SDAGE ou les SAGE sont des outils qui ne sont pas forcément très opérationnels. M. Florent Masson a rappelé l'existence des programmes de mesures, qui même s'ils n'ont pas de portée juridique, ont vocation à définir les actions opérationnelles obligatoires que l'État s'engage à réaliser sur les territoires, avec une déclinaison départementale qui sont les plans d'action opérationnels territorialisés (PAOT). Par rapport aux nappes souterraines stratégiques, je ne sais pas si la notion de bien commun permettrait d'apporter une réponse, mais en tout cas une étatisation sur le modèle de l'énergie hydraulique me paraît adaptée et j'adopterais plutôt une approche par la réglementation. En effet, il appartient à l'État d'apporter une connaissance très précise compte tenu de l'intérêt stratégique que présente la ressource en eau et d'élaborer des cahiers de charge d'utilisation de cette ressource stratégique. Nous disposerions alors d'une réglementation dotée du poids de l'État sur la définition de ce cahier des charges et d'un outil de régulation qui pourraient renvoyer aux commissions locales de l'eau le soin d'assurer la concertation et le débat à partir d'éléments réglementaires structurants. Au contraire, le droit de l'eau depuis que je le pratique est du droit mou, avec des hiérarchisations, des principes de compatibilité. Chaque fois que nous nous saisissons d'une notion – par exemple les zones soumises à contraintes environnementales pour protéger les bassins d'alimentation de captage – ces dispositions réglementaires ne sont pas mises en œuvre, au motif qu'il ne faut pas trop encadrer les pratiques agricoles. Nous renonçons alors à l'utilisation d'outils qui sont coercitifs. Je comprends les préfets qui redoutent la menace des agriculteurs, mais il existe un véritable problème avec l'eau dans la hiérarchie des politiques publiques. Il nous semble, vu de notre expertise, que le droit de l'eau est un peu la voiture-balai des politiques publiques. Il faut aller davantage dans la prescription, davantage dans l'étatisation. Nous sommes dans un État centralisé. Il faut aussi penser à la place des régions et des départements. La décentralisation me paraît importante. La loi nᵒ 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe », prévoit la suppression de la clause de compétence générale et a imposé aux départements de se retirer de la question de la ressource en eau. Or, sur un certain nombre de territoires, les départements sont propriétaires de barrages et sont sans fondement légal pour pouvoir se maintenir dans la gestion de ces ressources. Sans compétence affectée, ce sont des barrages qui pourraient tomber dans le privé. De ce point de vue, c'est plutôt gênant. Le législateur devrait se poser cette question de la définition d'une compétence en lien avec la ressource en eau, qui permettrait d'aborder ces deux questions évoquées : les nappes souterraines stratégiques et les barrages et les ressources en eau qui font difficulté, car aujourd'hui aucun acteur responsable ne domine. De fait, les intérêts industriels et les intérêts citoyens sont mis dos à dos. Il nous semble qu'il nous faut un acteur régulateur qui serait d'un côté des collectivités territoriales avec de vraies compétences, et de l'autre l'État avec ce rôle de fixation d'un règlement et une étatisation de la ressource stratégique.