Intervention de Marcel Boyer

Réunion du jeudi 15 avril 2021 à 10h00
Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Marcel Boyer, professeur émérite d'économie de l'université de Montréal :

Je suis très honoré de votre invitation, mais je ferai preuve d'humilité, car, contrairement à moi, les autres intervenants ont eu l'occasion de travailler très concrètement depuis plusieurs années sur le secteur particulier de l'eau. Pour ma part, je m'intéresse à la problématique de l'eau, et plus particulièrement de l'approvisionnement en eau potable, depuis plus de vingt-cinq ans, mais plus récemment sur la problématique plus large des partenariats public-privé.

J'ai déjà fait parvenir aux membres de la commission deux documents intitulés Défis et embûches dans l'évaluation des partenariats public-privé, pour un secteur public efficace et efficient et Au-delà de l'ESG, réformer le capitalisme et la social-démocratie, qui concernent indirectement le domaine de l'eau. Enfin, en collaboration avec Maria Kouyoumijian, je termine la rédaction d'un ouvrage intitulé Water on Wall Street, consacré au marché de l'eau, et qui devrait être publié en 2021.

Les thèmes traités ce jour, en particulier l'analyse des données relatives aux services d'approvisionnement en eau potable et de traitement des eaux usées, sont complexes. L'économétrie nécessaire à l'analyse des données l'est aussi. Il est donc parfois difficile de tenir un discours éclairé en la matière.

Le premier volet de mon propos correspond aux multiples défis et enjeux liés à l'eau. L'eau est un droit humain, mais aussi un bien économique, qui fait l'objet de transactions sur les marchés. Sa production requiert des ressources considérables, alors que sa consommation doit être socialement responsable.

Concernant la thématique relative aux coûts et de la valeur de l'eau, la notion de coût d'opportunité ou de renonciation est utile pour imaginer un autre usage de cette ressource. Les enjeux relatifs à l'eau sont l'efficacité – qui correspond à la concordance entre les objectifs assignés et les résultats obtenus – et l'efficience – qui renvoie à une notion d'efficacité dans la gestion. Ces enjeux sont identiques quels que soient les modes de gestion retenus. Enfin, le prix de l'eau est un signe de la rareté de la ressource et impacte le comportement des producteurs et des utilisateurs.

Le deuxième volet de mon propos correspond à l'évaluation des différentes options en matière de gestion de l'eau, à savoir la gestion publique ou les différents modèles de délégation au privé, pouvant aller jusqu'à la privatisation. Cette thématique implique également de vérifier l'efficacité et l'efficience des investissements en matière d'approvisionnement et de traitement des eaux, mais aussi de préciser les rôles respectifs des deux partenaires, c'est-à-dire du « principal », à savoir la communauté des citoyens souhaitant se doter d'un service d'approvisionnement en eau potable et de traitement des eaux usées, et de « l'agent », à savoir un organisme public ou privé au service du principal.

Concernant la responsabilité et la compétence de ces partenaires, les enjeux de gouvernance sont identiques, que ces partenaires soient tous deux des agents publics, des agents privés, ou un agent public et un agent privé.

Cependant, l'évaluation des différents modes de gouvernance se heurte à trois types de défis. Le premier défi correspond à l'évaluation des investissements qui couvrent les prévisions des coûts et des bénéfices des projets, l'identification et la gestion des risques réels et financiers, enfin le coût du capital et le taux d'actualisation. Le deuxième défi est l'évaluation de la gouvernance, au regard d'informations incomplètes et imparfaites, de la puissance des incitations à la performance, mais aussi de l'efficacité et de l'efficience. Enfin, le troisième défi est la détermination des objectifs en fonction des moyens.

Le troisième volet de mon intervention concerne les organisations et les contrats. Ces derniers doivent clairement détailler les compétences des différents intervenants et les incitations permettant de garantir l'entretien des infrastructures. Par ailleurs, il est de la responsabilité de la puissance publique de se doter de compétences spécialisées dans la gestion des contrats afin d'être en mesure d'éviter les dérapages d'un délégataire privé. La puissance publique doit également veiller à favoriser les comportements socialement responsables, la vérité des prix, la conclusion de contrats suffisamment précis pour imposer au partenaire – privé ou public – des incitations à la performance, enfin l'émergence d'organisations concurrentielles et d'autorités capables de faire appliquer des règles strictes en la matière.

La thématique relative à la tarification de l'eau sera sans doute plus précisément évoquée par les autres intervenants. Je souhaite simplement rappeler que la structure des prix est choisie par l'autorité publique, qui peut par exemple imposer une tarification gratuite pour certains usages ou une tarification variable. Par ailleurs, les ressources utilisées au niveau de la production, qu'il s'agisse du capital, du travail et des matériaux, doivent être comptabilisées à une valeur correspondant à la meilleure utilisation alternative respective, ce qui renvoie aux notions de coûts d'opportunité ou de renonciation. En troisième lieu, tous les coûts doivent être comptabilisés, y compris le coût du capital ou du financement public, et couverts explicitement, afin de préciser ce que chaque acteur supporte. Enfin, la tarification, directe ou indirecte, doit couvrir l'ensemble des coûts.

Je souhaite en conclusion souligner le rôle clé joué par la concurrence, qui permet de révéler la valeur sociale des ressources d'eau potable utilisées et du traitement des eaux usées, ainsi que l'efficacité et de l'efficience des fournisseurs de service.

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