Intervention de Stéphane Saussier

Réunion du jeudi 15 avril 2021 à 10h00
Commission d'enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences

Stéphane Saussier, professeur à l''Institut d'administration des entreprises (IAE) – université Paris I Panthéon-Sorbonne et directeur de la chaire Économie des partenariats public-privé :

Je vous remercie pour votre invitation. J'ai travaillé durant de nombreuses années sur la thématique des délégations de service public dans différents secteurs, dont le secteur de l'eau. Pour autant, je ne me considère pas comme un spécialiste capable de répondre à des questions très techniques concernant le secteur de l'eau.

Je dirige depuis plus de dix ans un centre de recherche de la Sorbonne dédiée à la thématique des partenariats entre public et privé. Cette chaire a été financée par Suez durant plusieurs années dans le cadre d'un dispositif de mécénat, mais a aussi bénéficié de financements provenant de la Caisse des dépôts et consignations, de la ville de Paris, de Paris Habitat, ou encore du ministère de l'Environnement. Ces sources de financement diversifiées nous permettent de conserver notre indépendance. Nos travaux sont d'ailleurs publiés et validés par nos pairs.

J'ai principalement mené trois études concernant le prix de l'eau, en lien avec des collègues de la chaire et des collègues étrangers. Notre point de départ était le constat d'une différence conséquente du prix de l'eau, pouvant atteindre 20 %, entre les collectivités gérant les services de l'eau en régie et celles ayant fait le choix d'une délégation de service public (DSP). Deux facteurs principaux peuvent être avancés pour expliquer de tels écarts. Le premier est que le prix résulte des conditions dans lesquelles l'appel d'offres a eu lieu lors du passage à une délégation de service public. Le second est qu'une collectivité peut décider de confier la prestation à un opérateur privé dès lors que le service à gérer est complexe, par exemple en raison d'une forte pollution, d'une faible densité de population ou d'un sous-investissement chronique sur le réseau par le passé.

Concernant le volet relatif à la distribution de l'eau, nos travaux ont porté sur la base de données de l'Institut français de l'environnement, qui couvre les données de 5 000 collectivités entre 1998 et 2008, en particulier de toutes les collectivités de plus de 10 000 habitants. Cette base de données très intéressante comprenait de multiples informations permettant d'expliquer le prix de la distribution, notamment les modes de gestion, le nom des opérateurs, la date de signature du contrat de concession, la date de fin de concession, le nombre de stations de pression et de surpression, ou encore l'origine de l'eau.

L'analyse de ces données met en évidence quatre résultats.

Tout d'abord, le prix de l'eau s'explique bien par les caractéristiques du réseau : plus l'eau brute est de mauvaise qualité, plus les besoins de traitement, donc les investissements, sont conséquents. Les arguments des experts qui estiment que le prix de l'eau s'explique uniquement par des causes politiques sont donc erronés. Entrent également en ligne de compte l'origine de l'eau (souterraine ou de surface, brute ou mixte), ainsi que la densité de la population, le caractère touristique de la collectivité imposant des investissements destinés à gérer une surpopulation temporaire, ou encore la nécessité d'importer de l'eau brute ou déjà traitée.

Le deuxième résultat correspond au mode de gestion. Une gestion publique induit systématiquement un avantage prix de 8 % en moyenne pour les collectivités de moins de 10 000 habitants, alors que les prix sont comparables pour les deux modes de gestion pour les collectivités de plus de 10 000 habitants. Ces comparaisons portent sur des réseaux aux caractéristiques identiques, notamment une même densité de population et un même type de traitement, mais n'intègrent pas des données relatives à la qualité du service.

Le troisième résultat est plus fragile. L'objectif était de vérifier si la couleur politique des collectivités, ou un changement de maire durant la durée d'un contrat, pouvait expliquer le passage d'une délégation de service public à une régie, et inversement. Au final, il semble que, pour les collectivités de plus de 10 000 habitants, le principal élément expliquant le changement du mode de gestion est un prix de l'eau supérieur à ce que prévoyaient les études économétriques préalables. Il apparaît d'ailleurs que, selon la base de données de l'institut français de l'environnement, entre 1998 et 2008, le nombre de passages d'une délégation de service public vers une régie est équivalent au nombre de passages d'une régie vers une délégation de service public.

Enfin, le dernier résultat est qu'un nombre croissant de collectivités choisissaient le même opérateur pour gérer la distribution d'eau et l'assainissement et faisaient en sorte que la date d'échéance des deux contrats soit identique. Différentes pistes peuvent être avancées pour expliquer cette tendance, allant de la corruption à la recherche d'efficacité et d'économies d'échelle. Notre étude n'a pas permis de mettre en évidences des synergies entre les deux contrats, mais d'autres études parviennent à un résultat contraire. En revanche, notre étude démontre que choisir un même opérateur pour gérer la distribution et l'assainissement induit un prix plus faible pour le consommateur. Cet élément s'explique sans doute par le fait que fixer une date d'échéance comparable pour les deux contrats permet d'améliorer l'attractivité d'une collectivité, alors que le nombre d'offres remises par appel d'offres est actuellement inférieur à deux en France.

En conclusion, nous n'avons pas pu poursuivre notre étude depuis 2008, car la base de données de l'Institut français de l'environnement n'existe plus et a été remplacée par une base de données du système d'information des services publics d'eau et d'assainissement (SISPEA), gérée par l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques. Cependant, si cette base couvre tous les services d'eau en France et comprend des données théoriquement plus exhaustives, par exemple concernant la qualité de service ou les taux d'impayés, les données qu'elle contient sont en réalité moins intéressantes et moins fiables que celles de la base de données de l'Institut français de l'environnement.

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