Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du jeudi 30 novembre 2017 à 21h30
Résidence de l'enfant en cas de séparation des parents — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. » Ceci est l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant, qui date de 1989.

La notion « d'intérêt supérieur de l'enfant » s'est développée suite à l'évolution de la représentation du droit de l'enfant que nos sociétés se sont fait. En 1902, la conférence de La Haye place « l'intérêt supérieur de l'enfant » au premier plan. En 1924, c'est la déclaration de Genève qui met en avant l'idée que le devoir de l'adulte est de protéger les enfants. En 1959, la Déclaration des droits de l'enfant reconnaît ce dernier comme ayant des droits, la notion « d'intérêt supérieur » étant clairement évoquée dans son principe no 2. Mais c'est surtout avec la création, en 1989, de la Convention internationale des droits de l'enfant, la CIDE – laquelle tend à renforcer la protection de l'enfant – que l'usage de ce concept se développe largement. Il permet ainsi, lors d'une prise de décision concernant un mineur ou une mineure, de préserver son bien-être et son droit de se développer dans un environnement favorable à sa santé mentale et physique.

Les autorités judiciaires ou administratives des États ayant ratifié la CIDE ont pour obligation de prendre en considération cet « intérêt supérieur de l'enfant » lors de toute prise de décision officielle le ou la concernant. Dans la pratique, la personne qui prend la décision le fait en fonction de ce qu'elle a évalué comme étant dans l'intérêt de l'enfant au moment présent ou dans une perspective future.

Selon l'article 9 de la CIDE, un enfant a le droit de vivre avec ses parents ; cependant, il peut en être séparé sous décision judiciaire pour autant que cette décision soit prise dans le respect de son « intérêt supérieur ». Cette situation peut se présenter lorsque le bien-être de l'enfant et la stabilité de son environnement sont remis en cause ou dans des cas plus graves de négligence, de maltraitance familiales. C'est le principe qui prévaut dans les procédures de placement, de séparation, de divorce ou d'adoption ou lors de mesures relatives à la privation de liberté.

C'est donc en vertu de ce principe que sont rendues aujourd'hui en France les décisions de justice concernant la garde et la résidence des enfants dans le cadre de la séparation des parents. C'est également guidée par ce principe que la majorité des parents se met aujourd'hui d'accord pour faire passer l'intérêt de leurs enfants avant leurs propres désaccords, rancoeurs ou souffrances.

Rappelons quelques faits et chiffres qui ont déjà été évoqués mais qu'il importe de garder à l'esprit.

Selon l'étude déjà citée du ministère de la justice réalisée par le pôle évaluation de la direction des affaires civiles et du sceau, la résidence principale chez l'un des parents – la mère quand il s'agit d'un couple hétérosexuel – est le plus fréquemment prononcée – dans 71 % des situations – car c'est le mode de résidence le plus sollicité par les parents séparés. La résidence alternée – dont la proportion a progressé, passant de 10 % en 2003 à 17 % en 2012 – reste un mode de résidence moins prononcé par les juges car moins sollicité par les parents. La résidence chez le père – dans les cas de couple hétérosexuels – est prononcée dans 12 % des situations et, chez un tiers, dans 0,1 %.

Quels sont les facteurs à l'origine de ces décisions ? Tout d'abord, le fait que les parents sont d'accord sur la résidence des enfants dans environ 80 % des cas de figure. Dans 9 % des cas, l'un des membres n'a pas exprimé de demande. Les parents qui sont en désaccord sur la résidence des enfants représentent environ 10 % des cas de figure. Dans les situations de désaccord, les juges fixent une résidence chez la mère pour 63 % des enfants et chez le père pour 24 % d'entre eux. On notera, comme cela a déjà été dit, que le juge fixe deux fois plus de résidence chez le père que dans les situations d'accord entre les parents.

Voilà donc quelle est la réalité pour la très grande majorité des enfants et de leurs familles. Même dans les cas de séparations difficiles, c'est l'intérêt de l'enfant qui prime, ce dont nous devrions tous et toutes nous féliciter. La résidence alternée ou partagée, pour satisfaisante qu'elle soit dans son principe lorsqu'elle est choisie dans le cadre d'un consensus parental – et adaptée à l'âge ainsi qu'à l'autonomie des enfants – ne peut à l'évidence constituer une solution généralisable à toutes les situations. Le rapport du ministère de la justice indique ainsi très clairement que « les rejets de résidence alternée sont largement motivés par l'intérêt de l'enfant ».

Nous ne nous opposons donc pas à cette proposition de loi au motif que nous serions contre la résidence alternée ou partagée. Bien au contraire ! Nous sommes beaucoup, au sein de La France insoumise mais aussi au sein de cet hémicycle, j'en suis sûre, à avoir eu en tant qu'enfant ou à avoir aujourd'hui en tant que parents des trajectoires familiales parfois compliquées dans lesquelles la résidence partagée a permis ou permet aujourd'hui de préserver le bien-être et le droit de l'enfant à se développer dans un environnement favorable.

Or, ce n'est objectivement pas le cas pour tous les enfants et toutes les familles. Voilà pourquoi nous sommes opposés à cette proposition de loi : parce qu'elle va à l'encontre des faits et des réalités pour la très grande majorité des choix consensuels des parents ou des décisions de justice qui privilégient cet intérêt supérieur de l'enfant.

En outre, loin de favoriser l'égalité entre les femmes et les hommes, elle risque d'aggraver les inégalités entre parents – notamment économiques – voire d'entraîner plus de souffrances, plus de complications et plus de violences émotionnelles et physiques.

Cette proposition de loi est mauvaise pour de nombreuses raisons.

La première, c'est bien celle que j'ai évoquée précédemment : la remise en cause de l'intérêt supérieur de l'enfant qui, actuellement, est au fondement de la décision des juges. Lors d'une séparation, les enfants se trouvent souvent au coeur de situations douloureuses. Il est alors nécessaire de donner de la souplesse aux juges dans leur office, notamment quand le couple est en conflit, afin d'assurer la sérénité et la sécurité des enfants.

Mettre en place, comme y tend cette proposition de loi, un caractère automatique de la résidence alternée ne répondrait en fait qu'à des demandes très minoritaires. Cela a déjà été dit, selon le ministère de la justice, 18,8 % des pères dans les couples hétérosexuels font une demande de garde alternée et 17,3 % d'entre eux l'obtiennent. Ainsi seuls 1,5 % des pères subissent donc des décisions allant à l'encontre de leurs souhaits. Dans cette minorité de cas, quand il existe un désaccord ou un conflit grave entre parents, c'est le ou la juge qui prend une décision en tenant compte de tous les éléments des dossiers et ce, au cas par cas.

Pourquoi remettre en cause une procédure dont le fonctionnement satisfait la grande majorité des familles ? Pourquoi vouloir faire de l'exception la règle ? Ces 1,5 % de demandes non satisfaites pour l'une des parties justifieraient-elles de porter le discrédit sur les décisions de justice et de réduire l'office des magistrats et des magistrates ? Pourquoi décider à la va-vite, un peu sur un coin de table comme nous l'avons vu lors des discussions en commission des lois, de brutaliser des dispositions du code civil qui fonctionnent à peu près correctement et, par là même, bouleverser l'équilibre des familles ?

Cette volonté de forcer les couples, les magistrats et les magistrates, à ignorer l'intérêt supérieur de l'enfant n'est absolument pas la bonne manière de faire pour favoriser un environnement apaisé pour les familles ou pour faire avancer l'égalité entre femmes et hommes – d'autant plus que rien dans le texte, tel qu'il a été présenté en commission et surtout tel que modifié, ne garantit l'égalité dans la prise en charge, c'est même le contraire, cela a d'ailleurs été dit.

L'exposé sommaire d'un amendement déposé en commission est très clair à ce propos. Je cite : « Cet amendement a pour objet de préciser que le principe de double résidence n'emporte pas systématiquement une égalité de temps passé chez chacun des parents ». Soyons clairs : comme d'autres l'ont dit, nous pensons que « l'intérêt supérieur » ne permet pas une égalité de temps dans tous les cas. En précisant que le temps passé par l'enfant chez chacun des anciens et anciennes partenaires du couple peut être complètement différent, vous ne résolvez rien en matière de partage des tâches puisque la résidence pourra être dite « alternée » alors même qu'un enfant pourra passer un jour ou quelques jours par an chez l'un de ses parents et le reste du temps chez l'autre. Avec ce type de mesure, où sont l'égalité et la coresponsabilité réelles dans les actes, dans les pratiques ?

D'autre part, en instaurant le principe de la double résidence, vous instaurez en réalité le principe de double résidence fiscale. Même si ce n'était peut-être pas l'objectif de départ de cette proposition de loi, le résultat très concret, ce n'est pas du tout de partager à temps égal la résidence des enfants mais, plutôt, de partager de façon égale les parts fiscales et les allocations familiales. Mme la ministre l'a d'ailleurs d'une certaine manière reconnu : la façon dont on peut avancer sur ce plan-là n'est pas très claire. J'ajoute qu'aucune étude n'a été réalisée sur ce sujet.

Cette mesure est très problématique pour les familles monoparentales dont le parent est souvent la mère – un tiers d'entre elles vivent en dessous du seuil de pauvreté. Elles seront d'autant plus impactées. Cette disposition risque d'entraîner encore plus de précarité pour ces foyers et leur paupérisation alors même que les dispositifs pour assurer le recouvrement des pensions alimentaires – dont près de la moitié n'est pas versée ou l'est en retard – sont aujourd'hui défaillants. En effet, qui dit double domiciliation dit baisse, voire disparition, de la pension alimentaire.

Cette pension est attribuée dans 83 % des cas de résidence chez la mère, mais seulement dans 23 % des cas si les enfants sont en résidence alternée. Cette baisse peut sembler logique à première vue en cas de partage égalitaire du temps de garde de l'enfant mais on sait que les femmes en couple ont en moyenne un revenu nettement inférieur à celui de leur conjoint – de 42 % inférieur en 2011 selon l'INSEE. Les séparations aggravent de surcroît cette situation inégalitaire pour les femmes : après une séparation – simple rupture, rupture de PACS ou divorce – le niveau de vie des femmes baisse de 14,5 % en moyenne, celui des hommes augmente de 3,5 %.

Mais une des dimensions les plus graves et dangereuses de cette proposition de loi, c'est que dans des situations de violences conjugales ou familiales, elle pourrait donner un moyen de pression au parent violent pour intimider l'autre parent, lui permettant d'effectuer un chantage sur la garde des enfants et de poursuivre son emprise émotionnelle et financière.

2 commentaires :

Le 23/04/2018 à 11:29, MarielB a dit :

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Bonjour, maman en plein divorce, je dois subir les mesures provisoires ordonnées par le JAF.

Au cours de l'audience j'ai amené des preuves de l'alcoolisme de mon ex, de ses violences, qu'il fume des pétards alors que notre fille (4,5ans) est sous sa responsabilité, de l'éloignement de mon travail (embauchée au 01/09/2017) et pour ces raisons de mon refus d'une résidence alternée. Malgré ces éléments, le JAF a ordonné une résidence alternée. Monsieur est instituteur et depuis peu directeur d'école (catholique).

Il a 2600€/mois, j'en ai 1600

Il a 16 semaines de congés/an, j'en 5.

Il a 40min/jour AR de route jusqu'au travail, j'ai 1h30.

Il a un problème d'alcool, je n'ai jamais bu.

Il fume des pétards, je n'y ai jamais touché.

Il a été violent avec moi, je n'ai pas osé porter plainte (mais faits relatés en gendarmerie).

J'ai un budget voiture conséquent (300€/mois) avec un petit salaire.

Auparavant, monsieur ne prennait jamais de temps avec sa fille, surtout pendant ses vacances scolaires. Il y a 2 ans, je me suis réorientée professionnellement afin de me consacrer à elle et pour des raisons de santé...j'ai toujours pris du temps pour elle (sur mon temps de travail et temps personnel...). Aujourd'hui, pour pouvoir m'en sortir financièrement j'ai reprise un travail à temps plein (1h30 de route tous les jours)

Je serai à la place de monsieur, le jaf n'aurait jamais hésité à m'enlever la garde de notre fille...

Aujourd'hui, je vais subir cette garde alternée : m'inquiétée pour notre fille les semaines où elle sera chez lui, passée moins de temps avec ma fille, subir les trajets qui vont forcément m'épuisée, vivre à la limite de la précarité (1600-300 = 1300), aides sociales quasiment rien...

Encore une fois, c'est la mère et femme que je suis qui va subir, faire des efforts, user de sa santé parce qu'on laisse une chance à monsieur de se repentir !

Selon vous dans mon cas, il n'y a pas de discrimination ?

Dans mon cas la résidence alternée est logique et c'est dans l'intérêt de l'enfant ? un papa alcoolique et une maman épuisée ????

merci

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Le 01/12/2018 à 08:50, Jean-Philippe a dit :

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Madame Obono,

je lis vos propos sur la résidence alternée avec un an de retard et suis consterné par votre texte. Manifestement, la garde partagée est un sujet que vous ne maîtrisez pas. Quant au 17,3% de résidence alternée accordées sur les 18,8% demandées, vous avez oublié de préciser - ou vous l'ignoriez peut-être - que c'est uniquement quand la mère ne s'y oppose pas (18,8% des cas). Quand la mère s'y oppose (dans plus de 80% des cas), c'est presque 100% de refus qui est notifié. Je suis père avec un enfant en résidence alternée. En quoi serais-je un parent moins investi ou moins capable que sa mère ? Ou peut-être estimez-vous qu'il y a un parent supérieur, la mère, et un parent inférieur, le père (de la discrimination sexuelle ou genrée, donc). Quant à l'intérêt de l'enfant, il est sûrement plus dans le fait de voir et d'avoir ses deux parents autant de temps l'un comme l'autre plutôt que 26 jours par mois chez l'un et 4 jours chez l'autre (grosso modo, 80 %, la aussi, des ordonnances de jugement concernant la garde d'enfant), à l'exception, évidemment, des cas flagrants d'incapacité parentale (mère ou père), fort heureusement à la marge, qui mettent l'enfant en danger (violence, abus sexuels…). Je m'étonne que, sous couvert de l'intérêt supérieur de l'enfant, on décrète qu'il est impensable qu'on lui retire un parent mais tout à fait envisageable qu'on lui retire l'autre. Ma fille va très bien, merci pour elle (et cet avis est partagé par tous les professeurs des écoles rencontrés ainsi que les médecins, ou les pédopsychiatres consultés). Sa mère et moi n'avons, pour des raisons qui nous appartiennent, pas voulu poursuivre notre vie ensemble, en quoi aurait-il fallu pénaliser notre fille en lui retirant un parent ? C'était notre relation qui était déficiente, pas sa mère, pas moi, pas notre fille, pas notre amour pour elle ou elle son amour pour nous. Peut-être avez-vous/aurez-vous un fils, peut-être est-il/sera-t-il un parent aimant et peut-être se séparera-t-il de la maman - ça arrive. Quand il n'aura le droit de voir son enfant que 4 jours par mois, là, sûrement, vous lui direz que c'est normal, que c'est l'intérêt supérieur de l'enfant de ne pas le voir plus que ça etc., etc...

Je réside dans le 18eme arrondissement de Paris et suis électeur de votre circonscription. Je suis à votre disposition pour en discuter si vous le souhaitez.

Cordialement,

Jean-Philippe

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