Un dossier a été assez douloureux, celui de l'appel d'offres concernant l'habillement de la totalité des effectifs de police et de gendarmerie, c'est-à-dire de 250 000 personnes. Nous étions titulaires du lot de la police et un confrère était titulaire du lot de la gendarmerie.
En 2012, lorsque nous avons gagné le marché, nous avions trouvé intelligent de nous regrouper avec plusieurs industriels français : Eminence qui est implanté à Aimargues, Saint James qui fait des tricots dans la Manche, Tismail qui fabrique des chaussettes à Troyes, TDV qui produit 100 % de ses tissus à Laval, SOFILETA qui confectionne aussi intégralement en France des tissus très techniques, et un fabricant de chaussures.
Nous avions donc un ensemble industriel très fort, et il nous semblait que la démarche allait dans le sens de la préservation et du développement d'une filière très abîmée. Ces entreprises emploient 2 500 personnes en France où elles fabriquent tout ou partie de leur production et où elles ont leurs activités d'étude et de commercialisation, respectant ainsi le principe de base de notre groupement.
Cet appel d'offres a été lancé par le service de l'achat, de l'équipement et de la logistique de la sécurité intérieure (SAELSI), commun à la police, à la gendarmerie et à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises.
Lorsque nous avons emporté le marché de l'habillement de la police, nous avions des contrôles de qualité assez renforcés dans nos ateliers. Au cours des trois dernières années, il n'y a plus eu de contrôles que ce soit au niveau social – le lieu de fabrication – ou sur le plan de la qualité. Cela nous a paru surprenant, voire inquiétant puisque nos habillements sont conçus pour des personnes qui courent un risque mortel. Je ne comprenais pas que le ministère de l'intérieur ne se préoccupait pas davantage du contrôle de la fabrication de ces vêtements.
Contrairement au bâtiment dont les chantiers sont en France et donc contrôlables, la confection subit une concurrence mondiale car il s'agit d'une industrie très légère et très facile à délocaliser. C'est la course au prix le moins cher. Après la Chine et le Bangladesh, c'est l'Éthiopie qui est le pays à la mode. L'absence de contrôle d'ateliers qui pourraient fabriquer des vêtements portés par les policiers ou les gendarmes français nous paraît très dangereuse.
Nous avons été assez étonnés de l'attribution de ce marché. Les deux lots ont été attribués à une seule et même entreprise qui n'a aucune alliance industrielle en France et qui a la réputation de délocaliser l'intégralité de sa production. En outre, ce marché représente près des deux tiers de son chiffre d'affaires. En termes de sécurité des approvisionnements pour les forces de sécurité, cela me paraît risqué.
Le système de notation est assez complexe mais, grosso modo, une partie de la note est fondée sur le prix et l'autre sur la qualité. Pour juger de la qualité, on ne nous a pas demandé d'échantillon mais de remplir des dossiers. Nous l'avons donc fait et nous avons rempli des cahiers absolument énormes. L'affaire revenait à une course aux prix.
Pour le lot de la police, notre note de qualité était meilleure que celle de notre confrère mais nous étions plus chers de 3 % et le marché ne nous a pas été attribué. Pour le lot de la gendarmerie, nous étions un peu moins chers, de 0,5 %, mais la note de qualité était moins bonne, alors que nous avions remis exactement le même dossier technique pour les deux marchés, et notre confrère a gagné. Nous n'avons pas compris.
Voilà ce qui nous a choqués. Nous sommes habitués à gagner et à perdre des marchés publics mais, dans ce dossier, nous avons été étonnés de la façon dont cela s'est passé et de la vision de l'acheteur.