Intervention de Michel Labbé

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 10h00
Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale

Michel Labbé, chef de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale :

Avant de répondre à vos deux premières questions, monsieur le rapporteur, je me permettrai de fixer le cadre d'action de l'IGGN, qui obéit à une finalité, un principe, une méthode et des outils. La finalité, c'est l'efficacité et l'efficience de l'action publique. Le principe, c'est l'indépendance. La méthode, c'est l'examen objectif des procédures et des processus. Enfin, les outils sont le plus souvent des audits et des enquêtes.

Pour en venir plus directement au sujet de votre commission d'enquête, consacrée aux missions et aux moyens de la gendarmerie, et en m'appuyant sur les audits menés au cours de ces dernières années, quels sont les constats et les enseignements que nous pouvons tirer sur l'état de la gendarmerie, l'exercice de ses missions et ses moyens ?

Malgré les limites imposées par les contraintes, notamment financières, une préoccupation réelle, voire une forme d'atavisme, existe quant à la qualité de la réponse de service apportée à nos concitoyens sur les questions de sécurité et de tranquillité publiques de la part des gendarmes.

C'est une recherche constante de performance, de modernisation et d'innovation. Mais aussi une anticipation des évolutions sociétales ; je pense notamment à un audit que nous venons de terminer sur le recrutement de gendarmes scientifiques. Il est, en effet, paradoxal d'assister à une évolution numérique globale de la société et de ne pas disposer de gendarmes scientifiques. Nous avons sur ce point formulé un certain nombre de recommandations, que le directeur général a retenues pour les mettre en œuvre.

Deuxième facteur majeur : l'importance du commandement et des valeurs professionnelles. En gendarmerie, c'est une spécificité militaire, tout officier, avant d'être général a commencé comme sous-lieutenant. Nous faisons donc l'expérience de tous les commandements.

Par ailleurs, de par notre statut militaire, la loi nous a fixé des obligations déontologiques. Elles figurent à l'article L. 4111-1 du code de la défense : esprit de sacrifice – l'actualité récente montre à quel point ce n'est pas un vain mot ; discipline, disponibilité, loyalisme – loyauté, on dirait de nos jours – et neutralité. En tant que référent déontologue et alerte, de la gendarmerie nationale, j'ai pu me rendre compte à quel point ces cinq valeurs professionnelles s'imposent à tous les militaires, depuis le premier règlement de discipline générale de 1933. Il y a eu la loi de 1946 relative au statut des fonctionnaires, celle de 1983 qui a modernisé ce statut et le règlement de 1933, le premier statut général de 1975 et le second statut général de 2005, mais ces règles sont restées inchangées et autonomes.

La nouveauté, ce sont les règles de droit commun introduites par la loi « Sapin 2 » du 20 avril 2016. L'article L. 4122-3 du code de défense établit des obligations déontologiques communes aux fonctions publiques civile et militaire : dignité, impartialité, intégrité et probité.

Troisième facteur : le gendarme et sa famille, dans les territoires, au service de la population qu'il protège. Les marqueurs sociologiques sont l'esprit de corps et la cohésion, l'autonomie et l'intelligence locales – le sens de la mission malgré la fatigue.

Dans les grandes villes, l'unité de lieu est réduite et l'information circule vite. Dans les départements, lors d'une crise, la première heure est traitée par la patrouille de la gendarmerie – et non pas par le général à Paris. Il est donc nécessaire que les gendarmes soient très bien formés et très expérimentés.

Nous tenions hier un séminaire consacré à la gendarmerie mobile, j'ai ainsi pu discuter avec un grand nombre de gendarmes. La fatigue est très présente, mais elle n'est rien à côté du sens de la mission ; je puis vous affirmer que tous les gendarmes restent mobilisés au service de la population.

Pour autant, le monde n'est pas parfait, et nos audits mettent en évidence des points d'attention : la qualité du logement, notamment le logement domanial, la qualité des mobilités, le temps de travail – avec l'application de la directive européenne qui se traduit par une diminution capacitaire qui ne sera pas compensée – et la réforme des retraites, qui préoccupe énormément les gendarmes.

Je vous propose maintenant de répondre à vos questions.

Votre première question concerne le maintien de l'ordre : le bilan de l'engagement des gendarmes mobiles depuis ces derniers mois ; le retour d'expérience s'agissant de leurs besoins en formation et en équipements ; le retour d'expérience depuis le mouvement des Gilets jaunes.

Quelles ressources pour la gendarmerie mobile ? Elle compte 109 escadrons, 15 ayant été supprimés lors de la révision générale des politiques publiques (RGPP), dont 41 font l'objet d'un emploi permanent, pour les missions suivantes : 21 sont outre-mer ou en opérations extérieures (OPEX) – un peloton est engagé au Venezuela ; un escadron est en Corse ; 8 escadrons sont à Paris, et assurent la sécurité du palais de justice, des ambassades, des aéroports de Paris, de la Banque de France, des transfèrements judiciaires, de la sécurisation des gares et de la préfecture de police en renfort, dont la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ; cinq escadrons et demi luttent contre l'immigration irrégulière – à la frontière italienne, à Calais et à Ouistreham ; un escadron assure la protection à l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), sur la zone de Bure ; quatre escadrons assurent les missions nucléaires, militaires et civiles c'est-à-dire la garde de sites sensibles, tels que l'Ile Longues et les escortes ; enfin, un demi-escadron assure la protection de la résidence du Président de la République au Touquet. Les 68 autres escadrons sont constamment engagés sur les missions de maintien de l'ordre, dont les journées nationales d'action des gilets jaunes.

Quel est le bilan de cet engagement de la gendarmerie mobile ? Très clairement, un suremploi durable qui nous a conduits, à plusieurs reprises, à supprimer les repos et les permissions. Je rappelle que, le 8 décembre, 65 500 gendarmes étaient engagés sur les 89 000 membres des forces de l'ordre mobilisés.

De fait, depuis fin 2018, nous vivons à crédit, les droits à repos et à permission de nos militaires n'ayant pas pu leur être accordés. Bien évidemment, cette dette s'est accrue en 2019. Au 10 mai, le retard était de 5,86 jours de repos et de 37,71 jours de permission. Aujourd'hui, si nous voulons accorder les droits à repos et à permission des escadrons, nous ne devons pas engager plus de 65 escadrons par jour. Or, depuis le 1er janvier, le taux moyen d'escadrons employés est de 74 par jour. Notre « dette » va donc s'accroître.

Nous avons cherché des solutions pour minimiser au mieux l'impact des engagements qui nous sont demandés, notamment en décalant les relais outre-mer et en allongeant la durée de certains séjours de trois à quatre mois. Cela permet de retarder certains mouvements et de les lisser dans le temps pour éviter que tous les escadrons reviennent en même temps d'outre-mer et, de fait, soient tous indisponibles durant la même période. Toutefois, ces procédés d'ajustement et d'adaptation restent minimes par rapport aux enjeux.

Par ailleurs, vous le savez, de nombreux événements à venir vont nécessiter des ressources fortes en termes de maintien de l'ordre : le 75e anniversaire du débarquement, les renforts estivaux – des communes de 10 000 habitants passent à 60 000 habitants –, le G7, fin août à Biarritz, ainsi que le contre-G7.

Outre la gendarmerie mobile, vous l'avez évoqué, monsieur le rapporteur, il y a aussi la gendarmerie départementale. Son métier n'est pas le maintien de l'ordre, mais d'assurer et de garantir l'ordre public. Cependant, et c'est un paradoxe, hors l'épisode des gilets jaunes, les gendarmes départementaux assurent de nombreux missions de maintien de l'ordre ; personnellement, j'ai fait davantage de MO en gendarmerie départementale qu'en gendarmerie mobile. Les troubles publics ont lieu sur tout le territoire, même s'ils ne font pas la une des journaux, nationaux ou locaux. Les brigades de gendarmerie et les pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG) sont les régulateurs de ces troubles.

Les gendarmes départementaux sont formés au maintien de l'ordre de basse intensité, qui ne nécessite pas d'engagements violents. Ils sont au milieu de la population, connaissent les gens qui troublent l'ordre public, savent leur parler, faire de la médiation, de la « désescalade » – puisque ce mot est à la mode.

Quel est l'emploi des gendarme départementaux dans la crise des gilets jaunes ?

Cet emploi a indiscutablement évolué.

D'abord, ils assurent l'ordre public sur les ronds-points – et notre pays en compte beaucoup. L'occupation des ronds-points, c'est l'occupation de l'espace. Les milliers de ronds-points qui ont été occupés ont mobilisé des milliers de gendarmes départementaux et n'ont pas nécessité l'engagement de forces mobiles constituées – ni escadrons, ni compagnies républicaines de sécurité (CRS). Très peu de violences ont été commises, même si nous dénombrons onze morts – par des accidents de la route – à la périphérie de ces ronds-points.

Le rétablissement de l'ordre et le maintien de l'ordre de basse intensité sont deux choses différentes. Le rétablissement de l'ordre, c'est ce que nous avons vu de nombreux samedis, avec, à un moment, des régulations sociales complètement éclatées, une désinhibition totale de groupes devenus extrêmement violents. Le rétablissement de l'ordre est une autre phase du maintien de l'ordre et ne peut être effectué que par des unités constituées, professionnelles et bien commandées.

Le gendarme départemental sait faire de la régulation de petits troubles à l'ordre public et du MO de basse intensité, mais nous ne pouvons pas l'engager sur du rétablissement de l'ordre : il n'est pas formé pour cela et ce n'est pas sa mission.

À votre question, faut-il engager ou former le gendarme départemental au rétablissement de l'ordre, je vous répondrai que, si nous devions en arriver là, notre pays serait dans un triste état. Cela voudrait dire que la crise serait de très haute intensité.

Quand nous devons engager des gendarmes départementaux dans une situation dont l'intensité s'accroît, non seulement nous devons les équiper, mais leur emploi doit être non pas manœuvrant, mais défensif.

Quels sont les enseignements que nous avons tirés des journées nationales d'action des Gilets jaunes, mais aussi de Notre-Dame-des-Landes, d'Irma, du contournement ouest de Strasbourg, de Bure ?

L'addition de ces troubles à l'ordre publics majeurs et des troubles liés à des événements climatiques nous a permis de constater la robustesse et la résilience de nos unités. Je parle de résilience, car lorsque les gendarmes arrivent après le passage de l'ouragan Irma, il n'y a ni hôtel, ni eau, ni aliments ; ils ne vont donc pas se coucher dès leur arrivée.

Nous avons renforcé notre capacité de gestion de crise dans la conception et la conduite, et ce à tous les échelons de commandement : au centre de planification et de gestion de crise (CPGC), à la sous-direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO), au niveau des régions, des états-majors tactiques de maintien de l'ordre mais aussi au niveau de la liberté d'action locale – l'intelligence locale.

Lorsqu'il faut agir vite et mettre un terme à des violences, il est indispensable de faire confiance à l'intelligence locale. C'est le modèle de la gendarmerie qui a été appliqué à Notre-Dame-des-Landes, pour Irma, et à Bure : des unités de lieu, de circonstances et de temps sont définies et des moyens sont engagés avec un chef à leur tête. Le chef est responsable de la bonne exécution de sa mission et du commandement qu'il exerce. La liberté d'action locale est l'un des facteurs de réussite du maintien de l'ordre, aujourd'hui plus que jamais.

Autre élément important : la subrogation de la police dans les petites villes, villes de 50 000 habitants, voire plus –, avec plus de 2 500 gendarmes en renfort.

Quand nous engageons des forces aussi massivement, nous éprouvons le matériel et les équipements. Notre préoccupation première a donc été de reconstituer le plus rapidement possible le matériel dégradé, qui n'est plus très jeune. Un seul exemple : les véhicules de commandement et de transmission des escadrons de la gendarmerie mobile, qui permettent de répercuter les ordres, ont vingt-deux ans. Si nous voulions remplacer ces véhicules et ceux qui transportent les escadrons, le coût serait de 120 à 130 millions d'euros ; Une dépense qu'il conviendra un jour d'envisager. Le coût d'une année normale d'investissement pour l'ensemble du parc automobile de la gendarmerie est de 40 millions.

La population a également pu découvrir à Paris les véhicules blindés à roues de la gendarmerie (VBRG). Des blindés pourtant régulièrement engagés : en Outre-mer, quand il faut dégager des arbres abattus, des barricades, à Notre-Dame-des-Landes ou encore en Corse. J'ai servi en Corse lors des grèves de l'ancienne société nationale maritime Corse-Méditerranée (SNCM), et il était fréquent d'engager les VBRG pour redonner de la viabilité d'action et des accès au port.

Ces VBRG, dont le nombre s'est réduit au fil des années, doivent être remplacés, car ils ne sont pas réparables ; nous les cannibalisons pour garder en état de marche ce que nous pouvons.

Nous avons besoin de ces véhicules pour la protection de nos gendarmes, pour qu'ils ne soient pas exposés à des tirs d'armes ; ce qui arrive encore sur notre territoire national. Mais nous avons besoin de véhicules blindés de transports équipés d'une lame, afin de pouvoir percuter ou dégager. Pouvons-nous trouver un véhicule blindé sur une étagère ? Peut-être. Mais dès lors que nous souhaitons un véhicule blindé équipé d'une lame pouvant pousser des objets pesant des tonnes, la réponse est non. Pourquoi ? Parce que tous les véhicules blindés que nous trouvons sur le marché ont le moteur à l'avant. Et aucun industriel ne fabrique de blindés avec un moteur à l'arrière. C'est un défi technologique qui doit être envisagé.

Votre seconde question, monsieur le rapporteur portait sur les signalements et le respect des obligations déontologiques des gendarmes. Voici quelques chiffres. D'abord, la gendarmerie, c'est une intervention toutes les vingt secondes et un refus d'obtempérer toutes les heures.

Tous les Français ont vu les images des gendarmes, à Nantes, qui ont sorti leurs armes face à un véhicule qui fonçait sur eux. Mais la réalité, c'est que toutes les heures, un individu refuse d'obtempérer, et que les gendarmes ne sortent pas leurs armes. Ils font preuve de discernement et de sagesse ; la situation critique de Nantes ne se produit quasiment jamais.

Les images diffusées sur cet incident n'ont pas montré la scène dans sa globalité, comme toujours. Les gendarmes étaient à l'arrière d'un dispositif et faisaient face à la route – par laquelle le véhicule a foncé sur eux, sans avoir l'air de vouloir s'arrêter – pour protéger d'autres gendarmes qui, eux, tournaient le dos à la route et faisaient face à des manifestants. Si les gendarmes de l'arrière s'étaient écartés au lieu de dissuader le chauffeur avec leurs armes, ce dernier aurait foncé dans les gendarmes et dans la foule. Ces gendarmes ont sans aucun doute évité le drame et sauvé des vies.

Autres chiffres : mille tirs de lanceurs de balles de défense (LBD) – contre treize mille pour la police ; quatre cent cinquante blessés, dont cent quatre-vingt-dix gendarmes mobiles.

Quel est le bilan des signalements reçus par l'IGGN et des enquêtes confiées à la gendarmerie par les magistrats ? Un signalement peut se faire de deux façons : par courrier postal ou sur la plateforme de signalement du ministère de l'Intérieur.

Nous comptons depuis le 17 novembre 2018 quarante et un signalements, dont quatre retransmis à l'IGPN et quinze enquêtes judiciaires susceptibles de mettre en cause des militaires de la gendarmerie – dont cinq confiées à l'IGGN. Les dix autres ont été confiées à des unités de recherche de la gendarmerie.

Quatre enquêtes ont été ouvertes pour usage inapproprié de LBD, deux enquêtes pour usage de grenades – dont une devant l'Assemblée nationale, où un manifestant a perdu partiellement sa main en voulant la ramasser –, sept enquêtes pour usage de la force, deux enquêtes pour propos inadaptés. Une enquête concernait la police nationale et le magistrat a accepté que l'IGPN soit saisie.

Certaines enquêtes sont terminées et ont été transmises aux magistrats. S'agissant des décisions de justice, un classement sans suite a été décidé par le procureur pour l'une d'elles.

Comment expliquer ces chiffres ? Ils sont largement liés au fait que nous avons mené beaucoup d'actions en unités constituées, avec une forte implication et une solidité du commandement à tous les niveaux – escadrons de gendarmes mobiles, pelotons, groupes. Une solidité du commandement même durant la crise. Et c'est tout l'objet de la formation que nous délivrons aux escadrons dans notre centre national d'entraînement des forces de gendarmerie (CNFEG) à Saint-Astier ; nous soumettons nos escadrons aux pires difficultés. Notre force est en mesure de commander au milieu du bruit, des flammes, des explosions. J'ai moi-même suivi, lorsque j'étais jeune lieutenant ou capitaine, avec une vraie intensité et une vraie exigence, des formations visant à me former au commandement dans des situations extrêmes. Commander, ce n'est pas du management.

Nous formons également nos gendarmes à respecter le protocole avant de faire usage de leurs armes. Un gendarme qui tire une grenade ou une balle de défense, ne tire pas quand il en a envie, ni tout seul. Il tire parce qu'on lui en a donné l'ordre ; un ordre qui a été confirmé deux fois. Le commandant d'escadron donne l'ordre, un chef de groupe le reçoit et le donne au tireur, en lui indiquant l'objectif, la distance et la hausse avant de dire « feu ». Ce sont une solidité du commandement et un sens de la responsabilité que je ne cesse de rappeler lors de mes interventions dans les écoles de gendarmerie, pour les formations administratives, face aux nouveaux officiers prenant de nouveaux commandements.

Notre responsabilité est énorme. Car vous, mesdames et messieurs les députés, vous nous autorisez, en temps de paix, sur le sol national, dans certaines circonstances, à tirer sur des citoyens français. Telle est la vérité. Nous ne pouvons donc user de ce droit sans discernement, sans intelligence et sans réflexion. C'est peut-être ce qui explique le nombre faible de signalements et de tirs.

Par ailleurs, le gendarme départemental exerce son métier sur un territoire dont il connaît la population. Il côtoie les personnes qui occupent les ronds-points, leurs enfants sont ensemble à l'école, ils font leurs courses dans les mêmes magasins. Cette proximité aide à l'apaisement social, à la compréhension et à la discussion pour éviter que le pire ne se produise.

J'aborderai maintenant la question de la protection fonctionnelle. Vous avez évoqué les regrets du CFMG de ne pas voir la protection fonctionnelle accordée aux gendarmes en cas d'infraction non intentionnelle.

En 2018, quatorze gendarmes sont décédés en service et 7 500 ont été blessés. Ce chiffre je le traduis différemment : il signifie que, chaque jour, vingt gendarmes ne rentrent pas chez eux.

Devant ces chiffres, nous ne pouvions pas rester inactifs et notre directeur général a recherché des solutions pour que moins de gendarmes soient blessés ou décèdent dans l'exercice de leur fonction. Ces solutions sont relatives, tout d'abord, aux équipements qui protègent nos gendarmes ; à leur formation – apprendre à maîtriser une personne violente ; à la protection juridique et fonctionnelle ; et enfin, à la promotion d'une politique assurantielle.

Je reviendrai sur trois chiffres que je reformulerai en une question : 75 000 gendarmes blessés, 100 000 gendarmes en France et quarante ans de carrière : à quel autre agent public proposons-nous un contrat de travail dans lequel il est écrit : « Statistiquement, vous serez blessé deux fois au cours de votre carrière » ? Cette politique assurantielle est donc indispensable.

Quelle est la situation en matière de protection fonctionnelle ?

L'article 11 de la loi de 1983 sur la fonction publique – et sa transposition dans le code de la défense et le code de la sécurité intérieure – permet d'octroyer la protection fonctionnelle aux fonctionnaires et aux militaires victimes d'infraction volontaire. Il convient de démontrer l'existence d'un fait générateur intentionnel.

La loi a écarté l'octroi de la protection fonctionnelle lorsque des gendarmes sont victimes d'une infraction non intentionnelle. Or, le CFMG a dû l'évoquer, un certain nombre de gendarmes sont blessés lors d'accidents de la circulation routière.

Vingt-six demandes sur soixante-quinze ont été rejetées en 2017 au motif que les infractions étaient involontaires, et quarante-trois sur quatre-vingt-dix en 2018, dont trente-trois concernaient des accidents de la circulation routière – incapacité totale de travail (ITT) jusqu'à 90 jours et trois décès. Le fait que ni le gendarme ni ses ayants droit ne puissent bénéficier de la protection fonctionnelle interroge.

Nous avons élaboré des propositions en imaginant, la loi ayant réglé une partie du problème, qu'elle puisse régler l'autre partie.

La protection fonctionnelle s'appliquant à toute la fonction publique, soit quelque 5,5 millions de fonctionnaires, il existe indéniablement des effets multiplicateurs qui conduiraient à des sommes considérables.

La gendarmerie a évalué ce que serait le coût de la protection fonctionnelle pour nos gendarmes victimes d'une infraction non intentionnelle : à peine plus de 50 000 euros par an, au regard du 1,650 million d'euros dépensés au titre de la protection fonctionnelle en 2018. Il me semble donc, que si la loi nous autorisait à y recourir, nous ne mettrions pas en péril les finances publiques de la France. Cependant, nous savons que la loi doit être générale et ne pas exclure ; ce qui veut dire que tous les fonctionnaires devraient être concernés.

Cette protection n'étant pas accordée, nous faisons tout pour ne pas abandonner nos gendarmes. Nous les renvoyons notamment vers la protection juridique privée des militaires et de leurs ayants droit. Lorsque j'évoquais la politique assurantielle, c'était pour sensibiliser le jeune gendarme à la nécessité de prendre une assurance ; les accidents n'arrivent pas qu'aux autres. À défaut, et dans certaines circonstances, une prise en charge partielle peut intervenir grâce à une convention établie par la gendarmerie avec un partenaire privé, le service d'assurance réservé au personnel de la gendarmerie nationale (SARPGN).

Enfin, la gendarmerie, au travers de la cellule d'aide aux blessés, accompagne tous les gendarmes concernés ; ils peuvent également accéder aux services de l'action sociale.

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