Car personne ici ne peut raisonnablement croire que ce texte aura un impact climatique décisif ; non, personne. Les associations de protection elles-mêmes n'hésitent pas à qualifier votre texte de loi symbole, sans réel impact sur la protection de l'environnement. En revanche, il est de nature à détourner l'attention des Français de la liste à la Prévert des renoncements qui jalonnent votre bilan après six mois passés boulevard Saint-Germain. On pourra citer, au choix, la suppression de certaines normes environnementales et sociales dans le BTP, la suppression des aides au maintien de l'agriculture biologique, le recul sur l'interdiction des néonicotinoïdes, le glyphosate, le nucléaire, etc. On l'a répété de nombreuses fois au cours des débats, mais je le redis encore : nous parlons ici de supprimer, sur une vingtaine d'années, l'exploitation d'une quantité d'hydrocarbures représentant seulement 1 % de notre consommation nationale. J'ai bien dit exploitation et non consommation, pour ceux d'entre nous qui n'auraient pas encore compris la douloureuse confusion qui est faite entre production et consommation d'hydrocarbures, et qui me fait craindre le pire quant aux vraies motivations qui ont sous-tendu les débats ayant abouti à ce projet de loi. Ce 1 % de la consommation, tout comme les 99 % restants, devra de toute façon être compensé par des importations en provenance de pays beaucoup moins soucieux de la protection de l'environnement que nous ne le sommes. L'ironie du sort, c'est que les Guyanais se verront très sûrement contraints d'importer des hydrocarbures en provenance des pays voisins qui se lancent actuellement dans de vastes campagnes de recherche et d'exploitation des ressources de leurs sous-sols.
Monsieur le ministre d'État, où donc est la cohérence que vous évoquiez il y a quelques instants ? Comment expliquer aux Guyanais, auxquels on promet une hypothétique croissance verte sans jamais accompagner ces promesses de mesures concrètes et budgétisées, qu'on leur interdit d'exploiter leurs hydrocarbures alors que juste à côté, le géant ExxonMobil vient d'annoncer l'une des plus importantes découvertes d'hydrocarbures des dix dernières années ? On parle ici d'un potentiel de près de 100 milliards de dollars de chiffre d'affaires avec des retombées fiscales annuelles proches de 1,4 milliard de dollars pour l'État du Guyana. C'est très nettement supérieur au plan d'urgence promis à la Guyane le 21 avril 2017, publié au Journal officiel de la République, mais dont la mise en oeuvre se heurte aujourd'hui à d'énormes difficultés. À ce propos, nous avons découvert, à la lecture des documents budgétaires de 2018, qu'il y a de fortes probabilités pour que la Guyane soit contrainte de financer elle-même ce plan d'urgence, par le truchement d'un subtil jeu d'écriture comptable, dont les fonctionnaires de Bercy ont le secret, doublé d'une simple remobilisation de crédits existants et déjà fléchés en direction de la Guyane.
On notera toute l'hypocrisie qui consiste à interdire les recherches de pétrole sur notre territoire alors qu'on se félicite des succès du fleuron de l'industrie française Total qui vient d'annoncer le rachat de 25 % du consortium menant les recherches d'hydrocarbures précitées au large du Guyana, et que ce même Total débourse 200 millions de dollars pour cinq permis d'exploration à proximité immédiate de la frontière franco-brésilienne, donc pas loin des côtes Guyanaises. Irrémédiablement, les Guyanais vont souffrir des potentielles externalités négatives de l'exploitation des hydrocarbures par des Français chez leurs voisins, sans jamais voir la couleur des retombées économiques pour leur territoire. Car contrairement au nuage de Tchernobyl, les marées noires ne s'arrêtent pas aux frontières politiques.
À l'hypocrisie, comme celle qui consiste à être favorable à un CETA – Accord économique et commercial global – encourageant l'importation d'hydrocarbures en provenance du Canada, s'ajoute un certain cynisme qui permet au Gouvernement de se racheter à bas prix une virginité écologique tout en continuant à polluer impunément chez nos voisins du Sud et en leur demandant par-dessus le marché de renoncer à leurs ambitions de développement. Plutôt que d'interdire chez nous et d'aller polluer ailleurs, ne fallait-il pas améliorer, voire renforcer notre cadre normatif environnemental, déjà parmi les plus stricts de la planète, et permettre ainsi aux Guyanais d'être acteurs de leur destin commun tout en apportant des garanties quant à nos intérêts environnementaux ? C'est d'ailleurs le sens de la proposition de loi mettant en conformité le code minier avec le droit de l'environnement, que nous avions adoptée en première lecture dans cet hémicycle en février dernier. Il est vrai que sa mise en oeuvre semble désormais renvoyée aux calendes grecques.
Lors de son récent passage en Guyane, le Président de la République a mis en garde les élus locaux qui, selon lui, surferaient sur la colère populaire qui règne sur ce territoire. Je veux lui dire aujourd'hui que ce sont précisément les méthodes comme celle choisie pour faire adopter ce projet de loi, rappelant le temps des colonies, qui alimentent cette colère populaire et fournissent le terreau du sentiment autonomiste, voire indépendantiste, qui est prêt à embraser la Guyane. Je rappelle à toutes fins utiles que les trois parlementaires guyanais de la République en Marche, tout comme la majorité de la collectivité territoriale de Guyane, pourtant soutien de ce Gouvernement, ont tous rejeté en bloc les dispositions relatives à l'arrêt des recherches et de l'exploitation des hydrocarbures au large des côtes Guyanaises. J'en veux pour preuve les amendements introduits au Sénat, qui consistaient à sortir les outre-mer du dispositif prévu par le projet de loi. Malheureusement, votre majorité s'est empressée de les supprimer la semaine dernière en commission du développement durable de notre assemblée.
Mes chers collègues, ce projet de loi a été élaboré à la va-vite. Ne serait-il motivé que par des raisons d'affichage ? Car – on l'aura noté – ni les instances de concertation de la République, ni les collectivités locales, ni les corps intermédiaires, ni les industriels concernés n'ont été associés à cette réflexion. Il s'agit pourtant d'un sujet complexe, touchant au quotidien de tous les Français et plus particulièrement des Français des outre-mer.
Il nous faut donc le retravailler pour aboutir à un projet de loi qui soit fondateur et surtout partagé. C'est de cette façon – et de cette façon seulement – que nous éviterons que ce projet de loi provoque de nouvelles ruptures avec certains de nos territoires, au premier rang desquels la Guyane.
Je le dis, je le répète : il n'est pas normal qu'aucune des collectivités d'outre-mer compétentes en matière de mines offshore n'ait été entendue, ni par la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire ni par la commission des affaires économiques.