Intervention de Stéphane Bredin

Réunion du jeudi 23 mai 2019 à 9h00
Commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale

Stéphane Bredin, directeur de l'administration pénitentiaire :

J'évoquerai d'abord les priorités d'action de l'administration pénitentiaire, notamment celles figurant dans la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, sachant que toutes ne relèvent pas d'une question de moyens, donc d'une loi de programmation.

Premièrement, mais sans ordre de priorité politique, la loi de programmation est porteuse d'un effort immobilier important prévoyant la construction de 15 000 places, en deux phases : 7 000 durant la législature en cours et 8 000 dans les cinq années qui suivront.

Ce programme immobilier vise un accroissement net de la capacité d'accueil et d'hébergement du parc immobilier pénitentiaire, puisqu'aujourd'hui, nous avons quasiment 72 000 détenus pour moins de 60 000 places. En dépit de l'effort de construction consenti par l'État depuis 1987 et le premier programme d'investissement massif, dit « programme Chalandon », l'écart entre la capacité d'accueil du parc immobilier, et une population carcérale en augmentation continue depuis quarante ans, reste important.

Derrière cet objectif de construction se profile le respect du principe de l'encellulement individuel, inscrit dans notre droit depuis un siècle et demi mais encore très loin d'être atteint. Et derrière cet objectif se profilent, outre l'amélioration des conditions de détention, l'enseignement individuel et les activités proposées aux détenus dans la perspective de leur sortie, dans le cadre de la mission primordiale de réinsertion qui est celle de l'administration pénitentiaire. À cela s'ajoute l'amélioration des conditions de travail des personnels. Elles sont difficiles dans des établissements pénitentiaires massivement surpeuplés, notamment les maisons d'arrêt, suroccupées à plus de 40 %, en particulier dans les grandes régions comme l'Ile-de-France, l'Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes.

Il s'agit d'un premier objectif très structurant pour l'action de l'administration pénitentiaire. Le programme immobilier de l'administration pénitentiaire, l'un des premiers budgets d'investissement civils de l'État, représente pour nous un enjeu important.

Le deuxième objectif structurant vise à se donner les moyens, pas uniquement humains et budgétaires, de recruter. Nous devons faire face à des départs en retraite massifs. Je rappelais que le premier programme immobilier d'envergure datait de 1987, époque à laquelle les recrutements ont été très nombreux. Des personnels de surveillance, au sens large, partiront massivement en retraite dans les trois à quatre années qui viennent, dans un contexte de forte concurrence entre les métiers de la sécurité publique et privée - la direction générale de la police nationale (DGPN) a besoin de recruter beaucoup. Au besoin de renouvellement de nos effectifs lié au programme immobilier – quand on ouvre des établissements, il faut des personnels pour les faire fonctionner -, s'ajoute l'accroissement qualitatif de nos missions. Les extractions judiciaires, pour reprendre l'exemple que vous évoquiez, mission nouvelle que l'administration pénitentiaire a progressivement reprise depuis 2011, représentent 1 800 emplois. Qu'ils aient été transférés ou créés, l'administration pénitentiaire a dû recruter et former des personnels de surveillance, gradés et officiers, supplémentaires pour assurer ces missions nouvelles. Ce besoin fort de recrutement s'exprime dans un contexte très concurrentiel avec des métiers qui sont légitimement perçus dans l'opinion publique comme difficiles : l'équation est périlleuse pour l'administration pénitentiaire, qui met en place des actions tous azimuts à cette fin.

La troisième priorité – de façon non hiérarchisée – est le renforcement de la sécurité de nos personnels et, plus largement, de nos établissements pénitentiaires.

Plusieurs problématiques convergent. Le renforcement de la sécurisation de nos établissements pénitentiaires renvoie aux questions des projections, des trafics, des contrôles d'accès, notamment pour les visiteurs. Un autre sujet de préoccupation majeure est la prise en charge, au sens large, des détenus terroristes et radicalisés. Nous avons aujourd'hui un peu plus de 500 détenus radicalisés – 510 ou 512, le chiffre évolue au jour le jour – et un peu plus de 900 détenus de droit commun suivis ou repérés au titre de la radicalisation. Cela suppose la montée en charge du service national du renseignement pénitentiaire. Des efforts considérables ont été accomplis depuis 2017 en termes de moyens humains, de montée en compétences techniques, de développement de liens opérationnels avec les services partenaires du premier ou du deuxième cercle. Cet élément est central depuis la création de ce service du second cercle, le 1er février 2017.

Nous devons assurer la gestion en détention de ces détenus qui présentent des risques nouveaux. On a l'impression que l'administration pénitentiaire gère des terroristes depuis plusieurs décennies, puisqu'elle a connu les mouvements d'extrême gauche, les terroristes basques et corses. Elle a aussi connu, depuis le début des années 1990, plusieurs vagues de détenus en raison des attentats terroristes islamistes. Mais que je sache, par le passé, on n'avait jamais observé des détenus en détention tenter de convertir leurs codétenus à leur cause politique et on n'a jamais connu d'attentat commis en détention par des détenus corses ou des militants d'extrême gauche dans les années 1970. Le terrorisme islamiste induit, en matière de sécurité pénitentiaire, des risques totalement nouveaux, directs et majeurs pour l'équilibre de nos détentions. Nous avons à faire face au risque prosélyte mais, contrairement à beaucoup d'autres États européens, nous ne pouvons pas nous contenter d'une simple politique de dispersion. On ne peut pas diviser 1 500 détenus radicalisés par 188 pour en mettre une dizaine par établissement, ne serait-ce que parce que tous les établissements ne présentent pas tous les capacités de prise en charge qui le permettent. Par conséquent, dans certains établissements, notamment en Ile-de-France, à proximité du parquet antiterroriste, on est contraint à une certaine concentration de ces détenus, ce qui pose des problématiques spécifiques de gestion des détenus terroristes ou de droit commun radicalisés, que je n'ose plus qualifier de nouvelles parce que nous y travaillons depuis plusieurs années.

Se pose toujours la question du développement de missions nouvelles en matière de sécurité pour l'administration pénitentiaire. J'ai évoqué la reprise des extractions judiciaires, mission entièrement nouvelle pour l'administration pénitentiaire. Le travail habituel de l'administration pénitentiaire, c'est de surveiller des détenus dans des établissements. Des missions sur la voie publique présentent pour nos hommes et nos femmes des risques spécifiques et nouveaux, et surtout, c'est un métier complètement différent. La création des équipes locales de sécurité pénitentiaire a supposé le développement de missions nouvelles, donc de formations nouvelles pour nos agents, qu'il s'agisse de la sécurisation périmétrique des établissements ou de la sécurisation intérieure de nos prisons. Dans un passé récent, ces missions n'existaient pas.

Pour conclure cette présentation, je mentionnerai que ces missions nouvelles en matière de sécurité répondent à des risques nouveaux rencontrés depuis plusieurs années dans nos établissements pénitentiaires, notamment celui par lequel vous avez entamé votre propos, monsieur le rapporteur, c'est-à-dire les violences en détention, violences contre nos personnels et violences, deux fois plus nombreuses, entre les personnes détenues.

Les causes de ce phénomène auquel nos personnels sont quotidiennement confrontés sont multiples. La principale est sans doute l'accroissement des violences dans la société en général. La prison, est souvent un concentré des maux qui accablent la société, mais dans le vase clos de nos établissements pénitentiaires, ils revêtent une importance singulière. Les violences contre les personnels, violences au sens large, c'est-à-dire aussi bien les insultes, les violences verbales, les menaces que les violences physiques, ont augmenté considérablement ces dix dernières années, passant à 4 000 ou 4 500 agressions par an, d'intensité très variable. On relève un peu moins d'un millier d'agressions physiques contre nos personnels chaque année, là encore de gravités très variables. Les événements comme celui qui s'est produit hier dans l'établissement de Pointe-à-Pitre, à Baie-Mahault, sont heureusement les plus rares, mais ils augmentent aussi en intensité, en gravité et en nombre. Cela pose une série de questions, pas au premier chef celle des détenus terroristes ou radicalisés qui ne pose pas les difficultés de gestion quotidienne les plus grandes, mais celle des violences ordinaires. Comment trouver de nouvelles réponses à ce type de comportement en détention ? Cela pose la question de la prise en charge de la santé mentale en prison, puisque l'agression de Baie-Mahault sur deux collègues surveillants, dont l'un est grièvement blessé, était le fait d'un détenu qui était repéré depuis quelque temps pour des troubles du comportement.

Au terme de ce propos introductif et avant de répondre à vos questions, je vous présenterai les collègues qui m'accompagnent. Jilly Delliste est sous-directeur des métiers, en charge notamment de l'organisation des services, des questions de recrutement et de formation au sein de l'administration pénitentiaire. Benoît Fichet est adjoint au sous-directeur de la sécurité pénitentiaire et pressenti pour être l'adjoint au chef du service national de renseignement pénitentiaire, dans quelques jours. Pierre Azzopardi est sous-directeur en charge de l'ensemble des moyens de l'administration pénitentiaire, en dehors des ressources humaines.

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