Intervention de Mathilde Lignot-Leloup

Réunion du mardi 11 février 2020 à 17h15
Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Mathilde Lignot-Leloup, directrice de la DSS :

La DSS, en tant que pilote du service public de la sécurité sociale, a une triple mission au titre de la lutte contre les fraudes sociales. D'abord, elle définit le cadre juridique : nous avons renforcé les outils juridiques pour mieux détecter et lutter contre la fraude, notamment au travers des dernières LFSS et de la loi contre la fraude d'octobre 2018.

Notre deuxième mission est de fixer des objectifs aux caisses nationales de sécurité sociale, pour qu'elles puissent et qu'elles soient incitées à mieux détecter, à mieux sanctionner et à mieux recouvrer les indus liés aux fraudes. Ce sont dans les conventions d'objectifs et de gestion (COG) signées entre l'État et les caisses de sécurité sociale, que nous fixons, de façon systématique, des objectifs et des actions en matière de lutte contre les fraudes. Sur la période 2018-2022, toutes les COG signées avec l'Assurance maladie, l'Assurance vieillesse et l'Assurance famille, ont comporté des objectifs déclinant les engagements pris pour la lutte contre le travail illégal et les orientations en matière de lutte contre la fraude aux prestations sociales. La DSS, n'opère pas d'action directe de contrôle et de lutte contre la fraude, mais évidemment, nous assurons un suivi étroit et régulier de la tenue de ces objectifs. Nous en établissons un bilan annuel.

Notre troisième mission consiste à piloter certains projets visant à favoriser la transversalité entre organismes de sécurité sociale ou les échanges d'information entre les administrations de l'État, notamment en matière fiscale ou au sein du ministère de l'Intérieur, et les organismes de sécurité sociale. Plus particulièrement, nous sommes chargés du pilotage du répertoire national commun de protection sociale (RNCPS), créé par la loi en 2006 ; sa maîtrise d'ouvrage a été confiée à la DSS et sa mise en œuvre à la CNAV.

La DSS comporte une mission en charge de la fraude, que Mme Dorastella Filidori dirige. C'est une structure très légère de coordination qui m'est directement rattachée et qui vise à donner une impulsion aux démarches de détection et de lutte contre les fraudes sociales. Évidemment, la lutte contre les fraudes est un enjeu à la fois financier pour la Sécurité sociale, mais aussi et surtout un enjeu d'exemplarité et de confiance de nos citoyens dans notre système de protection sociale. C'est avec ce double objectif que nous avons renforcé les actions au cours des dernières années.

En termes de résultats et d'objectifs, le renforcement des actions s'est traduit au cours des dernières années par une détection des fraudes plus importante, et donc des résultats financiers en hausse. En effet, au titre de 2018, nous avons, au sein des organismes de sécurité sociale, détecté un montant de fraude d'un peu plus de 1,2 milliard d'euros, contre 860 millions d'euros en 2014, soit une augmentation de près de 43 % en quatre ans. Au sein de ces fraudes, la moitié est liée aux prestations sociales et l'autre aux cotisations sociales, notamment concernant le travail illégal.

En 2019, il est encore trop tôt pour disposer d'un bilan définitif, mais les premières données provisoires montrent bien qu'il faut que l'on poursuive nos efforts, avec une progression de l'ordre de 5 % des résultats en 2019, par rapport à 2018.

Nous avons, au cours de ces dernières années, agi dans trois directions. La première a visé à renforcer les outils juridiques, afin de disposer de davantage de leviers pour détecter et réprimer les fraudes constatées par les organismes de sécurité sociale. Cet arsenal juridique a été renforcé, notamment au travers de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, qui faisait le pendant avec la loi pour un État au service d'une société de confiance dite loi « ESSOC », qui visait à améliorer les relations entre l'État et les administrés. Nous avons recherché un équilibre entre la loi « ESSOC » qui a favorisé la relation de confiance avec les assurés et l'ensemble des cotisants de bonne foi, d'une part, et, un renforcement des dispositions en matière de lutte contre la fraude, à la fois en termes de prestations et de cotisations, d'autre part. Au travers de la loi du 23 octobre 2018, nous avons renforcé les échanges d'informations entre les organismes de sécurité sociale et les services fiscaux. C'est l'article 6 de cette loi qui prévoit de développer les échanges, avec l'accès pour les organismes de sécurité sociale au fichier des comptes bancaires et assimilés (FICOBA), au fichier des contrats d'assurance vie et des contrats de capitalisation (FICOVIE) ou à Patrim, qui permettent de mieux détecter les fraudes.

Nous avons également renforcé les pénalités en cas de refus du droit de communication et de réponse des organismes de sécurité sociale. L'article 8 de cette loi a ainsi accru les pénalités applicables en cas de refus et de récidive en matière de réponse aux demandes des organismes de sécurité sociale.

Nous avons ensuite, dans deux LFSS, renforcé les mesures de lutte. Dans la LFSS pour 2018, nous avons affermi les pénalités financières en cas de fraude à l'assurance maladie, en relevant les barèmes applicables. Nous avons également harmonisé les mécanismes de sanction et d'avertissement dans les différentes branches prestataires, que ce soit l'Assurance maladie, la branche famille ou la branche vieillesse. Ceci a permis de consolider les mécanismes d'avertissement et de prévoir des pénalités financières plus importantes en cas de refus du droit de communication des organismes de sécurité sociale.

Plus récemment, lors de la dernière LFSS pour 2020, nous avons traduit dans la loi plusieurs des propositions faites par le rapport de Mmes Carole Grandjean et Nathalie Goulet. Nous avons prévu l'obligation pour les organismes de sécurité sociale de mettre en place un programme de contrôle et de lutte contre la fraude, adossé au plan de contrôle interne, pour pouvoir bien articuler ces dispositifs ; ceci est prévu par l'article 77 de la LFSS pour 2020. Nous avons également renforcé la communication des documents et des données relatifs aux échanges entre les administrations de l'État et les organismes de protection sociale dans l'article 78. Enfin, nous avons prévu un bilan, un audit du RNCPS, en prévoyant la remise d'un rapport au Parlement sur ce sujet, prévu par l'article 81 de la LFSS.

Vous voyez que nous avons, au cours des dernières années, renforcé les outils pour pouvoir à la fois mieux détecter la fraude, par les échanges d'informations, et mieux la sanctionner.

Le deuxième axe d'évolution consiste à renforcer les échanges de données, en développant le partage des données entre les organismes de sécurité sociale et avec les autres services de l'État, que ce soit les services fiscaux ou les services du ministère de l'Intérieur. Depuis la fin de l'année dernière, les organismes de sécurité sociale ont accès à la base de données du ministère de l'Intérieur sur les titres de séjour dite « application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France » (AGDREF), qui permettent de contrôler les prestations maladie ou famille. Nous travaillons également sur le meilleur accès, pour les organismes de sécurité sociale, au fichier des visas tenu par le ministère de l'Intérieur, intitulé VISABIO.

Nous avons également, au titre de ces partages de données et d'échanges de systèmes d'information, mis en place l'outil demandé par l'Assemblée nationale en 2006, le RNCPS, à partir de 2012. Son utilisation est croissante : ce répertoire rassemble l'ensemble des prestations de sécurité sociale, les prestations d'assurance chômage, ainsi que celles versées par les collectivités locales. Ce répertoire, qui permet d'avoir une connaissance des prestations sociales au sens large, est maintenant utilisé de façon très régulière par l'ensemble des organismes de sécurité sociale. Nous avons décompté, en 2018, un peu plus de 18 millions de consultations de ce répertoire, notamment par les branches famille et maladie qui l'utilisent comme outil de vérification des dossiers pour l'octroi des prestations sociales.

Ce RNCPS, qui avait été voulu par l'Assemblée nationale, a été mis en place et est monté en charge. Si la CNAV en est l'opérateur, la DSS fait en sorte que son usage par les organismes de sécurité sociale se généralise, afin d'en faire un outil donnant une vision globale des prestations sociales.

La nouveauté en 2020 est que nous alimentons ce RNCPS avec le montant des prestations versées, alors que jusqu'à présent, nous n'avions que l'identité et les types de prestations. L'outil est donc complété et renforcé.

Le troisième levier, au-delà des mesures législatives et du développement des échanges d'informations et de croisements de fichiers, est de prévoir, parmi les objectifs fixés aux organismes de sécurité sociale dans le cadre des conventions d'objectifs et de gestion, des engagements croissants en matière de détection, de communication, de prévention et de redressement de ces fraudes, ainsi que de recouvrement de ces indus.

La particularité des conventions d'objectifs et de gestion sur 2018-2022 est qu'elles comportent à chaque fois des objectifs en matière de lutte contre la fraude. Nous voulons qu'elles aient une triple dimension : mieux détecter et prévenir en amont, notamment en utilisant les outils de datamining ; mieux lutter contre les fraudes ; prévoir des objectifs croissants pour les montants redressés. En fonction du point de départ de chacune des caisses, les objectifs sont plus ou moins croissants.

La troisième dimension, commune à l'ensemble de ces objectifs, vise à mettre l'accent sur le recouvrement des indus. C'est à la fois un signe d'efficacité de la lutte contre la fraude et cela participe de l'effet dissuasif de celle-ci, en s'assurant que les redressements sont effectivement recouvrés. Toutes les conventions d'objectifs et de gestion comportent une dimension de renforcement de ces indicateurs et objectifs. Nous nous sommes efforcés également d'inciter toutes les caisses de sécurité sociale à bien articuler leur programme de lutte contre la fraude avec celui de contrôle interne et qu'elles soient encouragées à renforcer leur articulation au niveau local, avec les comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF). C'est une dimension importante de pouvoir travailler entre organismes de sécurité sociale et avec les autres administrations impliquées dans la lutte contre la fraude.

Une question à laquelle vous êtes amenés à réfléchir dans le cadre de vos travaux concerne la bonne évaluation de la fraude sociale, au-delà de celle que les organismes de sécurité sociale sont capables de détecter. Au cours des dernières années, nous avons sensiblement amélioré notre efficacité, avec des rendements croissants de détection. Mais c'est autre chose d'apprécier l'ampleur de la fraude sociale au sens large.

Nous avons mené des travaux plus anciens avec l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), en s'appuyant sur l'expertise scientifique du Conseil national de l'information statistique (CNIS), afin de définir des méthodes scientifiquement éprouvées de mesure de la fraude aux cotisations sociales. Ce travail a permis de valider une méthodologie pour les contrôles aléatoires mis en place à partir de 2011. Menés par les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF), ils visent à documenter l'ampleur de la fraude au travail illégal, en supprimant le biais lié au fait que, dans le cadre d'une action de lutte contre la fraude, les contrôles ont vocation à être ciblés, puisque l'on vise les facteurs de risques les plus importants. Ces contrôles aléatoires permettent d'avoir une photographie plus exhaustive de l'ampleur de la fraude lorsque nous n'avons pas ce biais de sélection.

Ces travaux en matière d'évaluation de la fraude aux cotisations sociales ont été régulièrement menés, et réactualisés en juillet 2019 sous l'égide du Haut conseil de financement de la protection sociale (HCFiPS) et de son observatoire. Les estimations de la fraude liée au travail illégal sont, avec ces travaux, dans une fourchette estimée entre 5,2 milliards et 6,5 milliards d'euros par an.

En matière de fraude aux prestations sociales, ce type de démarche a commencé à être mis en place par la branche famille. Cette branche pratique, depuis quelques années, des contrôles aléatoires pour essayer d'identifier et estimer le montant de la fraude aux prestations sociales. Les dernières estimations faites sur l'année 2018 par la branche famille concluaient à un taux de prestations fraudées de 2,7 % du montant des prestations versées, ce qui revient à un peu plus de 1,9 milliard d'euros.

Ce travail d'évaluation vise aussi à identifier les types de prestations qui donnent davantage lieu à des erreurs ou des fraudes ; il s'agit essentiellement du revenu de solidarité active (RSA), de la prime d'activité et des aides au logement.

À partir de ces estimations, il est possible de travailler à la fois sur un meilleur ciblage des actions de lutte contre la fraude, mais également de renforcer les actions de communication et de prévention et de mieux sécuriser en amont le versement des prestations, notamment en permettant à la Sécurité sociale d'utiliser de plus en plus les données déclarées par d'autres acteurs, soit au travers des déclarations de salaires par l'employeur – la déclaration sociale nominative (DSN) –, soit grâce aux échanges d'informations avec les services fiscaux.

Voilà, à titre d'introduction liminaire, monsieur le président, un panorama des actions que nous menons en matière de lutte contre la fraude, afin de, chaque fois, renforcer l'efficacité de nos actions et d'utiliser de plus en plus les outils dématérialisés et les potentialités des outils numériques, à la fois en termes de détection et de prévention de la fraude.

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