Intervention de Nathalie Goulet

Réunion du mardi 18 février 2020 à 18h35
Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Nathalie Goulet :

Sur les raisons du blocage en matière de coopération des organismes publics, il faut pouvoir entrer dans le système et accéder aux données des différentes caisses. Le sujet du SANDIA, qui concerne des émigrés, laisse apparaître la crainte d'une stigmatisation ; or les travailleurs étrangers qui se trouvent en France ont bien évidemment des droits qu'il faut respecter, et il n'est pas question de les stigmatiser. On constate une sorte de peur révérencielle qui empêche de prendre en main ce sujet. Or actori incumbit probatio, la charge de la preuve incombe au demandeur.

Il faut d'ailleurs rendre hommage au Gouvernement de nous avoir confié cette mission. Si c'était pour nous empêcher de nous exprimer, cela n'a pas très bien fonctionné. Mais j'ai plutôt le sentiment qu'il l'a fait pour obtenir des éléments de solution, et l'entretien que nous avons eu avec Agnès Buzyn au moment du dépôt du rapport semble corroborer cette impression. Jusqu'à présent, personne n'avait pris une telle initiative. Vous venez d'entendre M. Gratieux : ni les suggestions, ni les dossiers de l'IGAS ne manquent à ce sujet et, si tout le monde est allé faire un tour à la BCSS, personne n'en tire les moindres conséquences. À l'évidence, cette crainte révérencielle est liée à la sociologie de la fraude.

Une fois le problème soulevé, il faut pouvoir pénétrer dans le système. Mme Lignot-Leloup nous a expliqué que 830 000 cartes Vitale avaient été « grillées » en quelques jours, ce dont on peut se féliciter, mais il faudrait donner les noms et, puisque ce sont des cartes actives, vérifier dans les ordinateurs si des tirages ont été effectués avec elles. Il faut déterminer le montant des prestations versées grâce à ces 830 000 cartes. Le tout n'est pas de les détruire, mais de savoir à combien s'élève la fraude effectuée par leur intermédiaire. Selon un communiqué commun de la DSS et des organismes de sécurité sociale, émis au moment de la publication du rapport de M. Vanlerenberghe, on compte 59,4 millions de cartes Vitale actives, qui donnent accès à des droits. Nous n'avons pas pu obtenir d'informations précises quant au montant total de la fraude. Nous avons posé plusieurs questions écrites et deux ou trois questions d'actualité, sans jamais obtenir de réponse. Avec la création de cette commission d'enquête, les services doivent s'affairer, notamment au SANDIA, pour essayer de voir ce qui se passe réellement.

Les raisons pour lesquelles la lutte contre les fraudes a donné lieu à des blocages sont sociologiques et politiques. Certains organismes manifestent la volonté de ne pas être « dérangés », arguant qu'ils travaillent de cette manière depuis trente ans et qu'il n'y a pas matière à s'interroger. Ils considèrent que leur rôle est uniquement de verser des prestations.

La différence entre la PAF et le SANDIA tient en réalité à l'application de l'article 47 du code civil. L'explication intégrale donnée par l'administration se trouve à la virgule près dans le rapport que Jean-Marie Vanlerenberghe a consacré aux conséquences de la fraude documentaire sur la fraude aux prestations sociales. Prenons l'exemple des actes d'état civil du Guatemala : disons qu'il s'agit de papiers bleu, blanc et vert, qui doivent être assortis d'une petite croix. Un citoyen guatémaltèque arrive en France ; les couleurs sont bien présentes sur ses papiers, mais pas la petite croix. La PAF dirait que le document n'est pas valable ; le SANDIA, lui, expliquerait que les autorités guatémaltèques ont utilisé un papier à lettres ancien, et qu'il faut malgré tout accepter l'individu en question. Je choisis volontairement un exemple caricatural pour faire comprendre le dispositif, mais il y a bien une différence de jurisprudence entre les deux organismes : le SANDIA est beaucoup plus souple que la PAF. Il utilise d'ailleurs des scanners en noir et blanc qui produisent des documents d'état civil souvent tout à fait illisibles. En réalité, la dématérialisation favorise la fraude. Il faudrait que les méthodes du SANDIA soient alignées sur celles de la PAF, qui est le bras armé de la lutte contre la fraude documentaire.

S'agissant de l'appréciation du montant de la fraude aux prestations sociales, je le répète, si nous avons fini par décider de ne pas chiffrer, ce n'est pas parce que je trouvais un tel chiffrage inopportun, mais parce que le risque était de se concentrer uniquement sur ce chiffre, et de ne plus se préoccuper du raisonnement, qui est pourtant essentiel. À ce propos, les chiffres produits par la Cour des comptes sont régulièrement critiqués par les caisses de sécurité sociale, qui ne subissent pas de contrôle externe autre que le sien. Elle a d'ailleurs, elle aussi, fait montre d'une crainte révérencielle à l'égard de ses propres contrôles. Nous avons auditionné les magistrats de la Cour des comptes pendant deux heures et demie, et cette audition absolument formidable nous avait beaucoup confortées car, bien que n'étant pas spécialistes en la matière, nous étions arrivées au même diagnostic qu'eux. Par courtoisie, nous lui avons permis de relire le compte rendu de l'audition. Une fois relu, ce compte rendu a été très édulcoré ; c'était tout à fait autre chose, et je le regrette un peu.

À propos des centenaires, deux systèmes distincts permettent d'obtenir un numéro d'inscription au répertoire (NIR) de la sécurité sociale : les gens nés en France sont enregistrés par l'INSEE ; ceux qui sont nés à l'étranger sont enregistrés – avec le numéro 99 à la place du code du département de naissance – par le SANDIA, un service de la CNAV situé à Tours. S'il existe un différentiel entre les centenaires présumés en vie et ceux réellement vivants, cela s'explique par les décès qui ne sont pas déclarés, en particulier des gens décédés à l'étranger, souvent des binationaux, ainsi que par la fraude et l'absence de contrôles. La société Excellcium, que nous avons auditionnée, a été mandatée par les caisses de retraite complémentaire des salariés du secteur privé, Agirc‑Arrco, pour mener l'enquête : elle a retrouvé 25 % des adhérents au cimetière. Une fois les gens déclarés morts, leurs veuves se manifestent pour réclamer des pensions de réversion. Tout cela n'est pas très sérieux ; l'ensemble est mal tenu et mérite que l'on s'y attelle.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.