Intervention de Nathalie Goulet

Réunion du mardi 18 février 2020 à 18h35
Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Nathalie Goulet :

S'agissant des actes de naissance et des justificatifs douteux, monsieur Ramadier, il est en effet absolument nécessaire de mettre en place un état civil européen. C'est d'ailleurs vrai aussi à l'échelle du système français, car vous savez probablement qu'il n'y a pas de norme nationale pour les actes d'état civil, du moins pour les actes de naissance. Il n'existe pas de formulaire administratif réglementé (Cerfa) en la matière, ce qui est ridicule, puisque cela conduit à ce que chaque mairie puisse émettre son propre acte de naissance. De la même façon qu'il faut créer un fichier des comptes bancaires et assimilés (FICOBA) européen, pour pouvoir contrôler les flux financiers et éventuellement la fraude transfrontalière, il faut établir un acte de naissance certifié au niveau européen ; cela permettrait d'éviter de nombreuses fraudes. Au cours de nos auditions, il a été question du cachet électronique visible (CEV), qui constitue probablement un élément technologique tout à fait déterminant pour garantir l'origine et l'intégrité des données.

Concernant la photographie sur la carte Vitale, contrairement à ce que l'on pense, elle ne sert pas à identifier le porteur de la carte. Les pharmaciens ou les médecins ne sont pas policiers, et n'ont pas vocation à vérifier l'identité des assurés. La photographie sert simplement au porteur, pour s'approprier sa carte Vitale, par exemple au cas où il la perd. Je vous encourage à aller voir le groupement d'intérêt économique (GIE) SESAM-Vitale, au Mans, et l'unité qui fabrique les cartes ; son directeur est remarquable. La fabrication prend plus de temps à cause de la photographie, sans donner accès à davantage de services. Une proposition de loi déposée au Sénat par Les Républicains (LR) vise à instituer une carte Vitale biométrique ; je l'ai votée par enthousiasme solidaire, mais cela ne serait pas très utile. La biométrie sert à l'identification, mais l'authentification dépend du terminal, où devraient se trouver des informations telles que la présence sur le territoire, la durée des droits et leur étendue.

La dynamique actuelle va dans le sens d'une dématérialisation, ce qui pose d'ailleurs de nombreux problèmes aux gens concernés par l'illettrisme numérique – notamment les personnes âgées, les gens dépourvus de smartphone ou ceux qui n'auront pas de réseau. La dématérialisation à tout crin contribue à créer des problèmes de disparités et de non-recours, en particulier dans les territoires ruraux. Il ne s'agit donc pas de charger les informations sur la carte Vitale elle-même, mais plutôt de stocker les données sur le terminal de l'assurance maladie ; ainsi, quand les gens se rendent en pharmacie, le pharmacien n'aurait qu'à introduire la carte pour que les informations apparaissent – notamment celles concernant la présence sur le territoire et la durée des droits.

Je suis totalement d'accord avec la nécessité de recourir à la biométrie à des fins d'identification, par exemple pour les gens qui viennent chercher un visa dans nos consulats. Il faudrait que la personne compétente en matière de visas organise un contrôle sur pièces et sur place pour savoir pourquoi le consulat d'Istanbul a donné il y a quelque temps à un criminel de guerre un visa Erasmus pour venir en France. La bonne nouvelle, c'est qu'il a été arrêté à Marseille ; la mauvaise, c'est qu'on l'a laissé entrer sur le territoire français. La biométrie a ses limites ; tout dépend de la manière dont elle est utilisée. La BCSS, en Belgique, en fait un usage tout à fait pertinent ; en revanche, dans le système français tel qu'il existe aujourd'hui, elle n'est pas d'une grande utilité. Si j'ai voté la proposition de loi tendant à instituer une carte Vitale biométrique – qui n'arrivera jamais jusqu'à l'Assemblée nationale – c'est parce qu'elle permettrait de remplacer l'ensemble des cartes Vitale existantes et, partant, de résoudre la question des cartes surnuméraires.

Madame Boyer, vous m'avez demandé comment il est possible de se retrouver avec des cartes en surnombre. Il suffit de faire un calcul. M. Charles Prats vous fera l'une de ces règles de trois dont il a le secret : en tenant compte du nombre de personnes vivant sur le territoire selon les chiffres de l'INSEE et du nombre de cartes émises par la sécurité sociale, vous parvenez au surnombre en question. Notre système permet cela. Nous avons organisé l'an dernier au Sénat une table ronde des ambassadeurs européens ; treize d'entre eux ont répondu à l'invitation, et la réunion, qui s'est tenue le 31 juillet, est en ligne sur la chaîne YouTube du Sénat. Il s'agissait de savoir comment la fraude était traitée à l'échelle européenne. Les Roumains, par exemple, sont identifiés à l'aide d'un numéro ; ils peuvent tout à fait changer de nom en gardant le même numéro. En France, l'identification se fait sur la base du nom de famille, et non d'un numéro. Comme nous ne correspondons pas – ou pas assez – avec les autorités roumaines, des gens se retrouvent avec plusieurs cartes.

Certaines personnes partent vivre à l'étranger et ne devraient plus bénéficier du régime général de sécurité sociale français ; toutefois, elles conservent leur carte et reviennent parfois en France pour se faire soigner. Le problème, c'est que l'administration avoue des cartes actives ; or si elles sont actives, c'est qu'il y a eu des paiements. C'est là que le tour de magie, digne de Harry Potter, exécuté la semaine dernière par Mme Lignot-Leloup prend tout son charme. Le mardi, elle reconnaît, sous serment, devant la commission d'enquête, l'existence de 2,6 millions de cartes en trop. Le surlendemain, probablement après avoir reçu un coup de téléphone amical, elle indique dans un communiqué de presse que le nombre de cartes en surnombre n'est plus que de 600 000. À vous, elle ne peut pas dire que vous mentez, comme elle l'a fait à notre encontre, par communiqué de presse. Mais, en septembre 2019, il y avait 59,4 millions de cartes actives, soit bien 5 millions de cartes en trop. L'explication est simple : la fraude en réseau.

S'agissant des départements, nous avons reçu une aide très importante de l'association des départements de France. Son président, Dominique Bussereau, a répondu à un questionnaire que nous avions préparé avec Carole Grandjean et les services, sur la façon dont les départements traitaient la fraude. Cela dépend, en réalité, de leur couleur politique. La fraude au RSA est complexe, étant donné que les allocataires en ont vraiment besoin. Or, pour nous, la véritable fraude sociale n'est pas une fraude de pauvres, mais une fraude menée par des réseaux organisés. Preuve s'il en fallait : 20 % de la population ne réclament pas les droits auxquels ils pourraient prétendre. Quant à l'erreur de bonne foi, la loi pour un État au service d'une société de confiance, dite loi ESSOC, n'est pas suffisamment appliquée en matière de sécurité sociale. La France distribue 450 milliards d'euros de prestations par an, ce qui attise les appétits, d'autant quand il n'y a pas besoin de présenter de justificatifs ou que ceux‑ci ne sont pas particulièrement exigeants. Aussi les comités opérationnels départementaux anti‑fraude (CODAF) doivent‑ils être renforcés et les départements travailler ensemble.

Pour ce qui est des complicités, il existe en effet une fraude interne, relevée chaque année par la Cour des comptes. L'exemple le plus extraordinaire en est sans doute cet agent d'une caisse d'assurances qui, après avoir liquidé la pension de retraite d'un avionneur connu, l'avait touchée pendant quelque temps, avant que quelqu'un se rende compte de la supercherie. Les maisons de services publics sont aussi potentiellement des lieux de fraude, dans la mesure où des agents y aideront des personnes peu versées dans l'usage du numérique et disposeront par conséquent des codes de leurs comptes.

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