Intervention de Charles Prats

Réunion du mardi 3 mars 2020 à 18h30
Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Charles Prats, magistrat au Tribunal de grande instance de Paris :

Effectivement, je suis magistrat et non pas à la retraite, comme semble le croire le sénateur Vanlerenberghe dans son rapport. J'ai commencé comme inspecteur des douanes, j'étais enquêteur spécialisé sur les trafics de métaux précieux, les fraudes à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), les jeux clandestins. Je travaillais à la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), notamment. Ensuite, je suis devenu magistrat, après avoir passé le concours de l'École nationale de magistrature. J'ai été juge d'instruction.

En 2008, à la création de la DNLF à l'initiative de Nicolas Sarkozy et François Fillon – qui avaient demandé à Éric Woerth de créer cette délégation – Bercy m'a rappelé. C'est un ministère que je connaissais assez bien, puisque j'étais à la tête du syndicat des cadres de tout le ministère avant de basculer dans la magistrature. Je suis revenu à Bercy pour coordonner la lutte contre la fraude, et notamment pour piloter la création puis l'action des comités opérationnels départementaux antifraude (CODAF). J'ai quitté la délégation en 2012, où j'ai été remplacé par Éric Belfayol, que vous avez entendu, qui a à peu près le même profil que moi. C'est un ancien inspecteur des douanes devenu magistrat, ayant quitté la magistrature dernièrement, à qui j'ai donné mon poste.

Je suis redevenu magistrat en cour d'appel. J'ai exercé toutes les fonctions du pénal, en particulier à l'instruction. Depuis maintenant trois ou quatre ans, je suis juge des libertés et de la détention, avec encore un certain nombre de compétences en matière de droit pénal fiscal, un peu moins en matière de fraude sociale puisque nous voyons passer moins de dossiers. J'ai, par contre, eu l'occasion de revoir passer – je crois que vous êtes intéressés par tout ce qui relève de la fraude organisée – les fraudes aux prestations sociales. Nous pourrons en reparler, le sujet est intéressant.

Toute cette histoire sur le service administratif national d'identification des assurés (SANDIA), sur les numéros de sécurité sociale attribués sur la base de faux documents à des personnes nées à l'étranger, pour nous, au niveau de Bercy, a commencé en 2010. Vous connaissez le système : si vous êtes né en France, votre numéro de sécurité sociale vous est attribué par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) qui a un registre des communes : « 1 » si vous êtes un homme, « 2 » si vous êtes une femme, votre année de naissance, mois de naissance, département de naissance, numéro de la commune, numéro d'ordre d'état civil, donc le mois de naissance dans cette commune. Cela se fait de manière « automatique ». Si vous êtes né à l'étranger, que vous soyez français ou étranger, c'est la même chose, mais comme l'INSEE n'a pas de registre de toutes les communes de la planète, votre numéro de sécurité sociale doit vous être attribué « manuellement » avec un code pays. L'INSEE a délégué cette immatriculation à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), dans un service basé à Tours, qui s'appelle le SANDIA.

En 2000, Lionel Jospin, Premier ministre, avait publié un décret de simplification administrative qui admettait notamment des photocopies de documents de manière assez généralisée pour un certain nombre de démarches administratives – cela étant maintenant réglementé dans le code des relations entre le public et l'administration, à l'article R. 113-5.

En 2010, une information arrive à Bercy et à la DNLF, que reçoit mon collègue de bureau, le commissaire divisionnaire Fougeray. On lui dit qu'il devrait regarder ce qui se passe au SANDIA, à Tours. Nous apprenons alors l'existence de SANDIA, alors que nous avions beaucoup d'autres dossiers en cours. On nous dit qu'il existe un énorme « trou dans la raquette », un problème de fraude documentaire massive. Forcément, cela intéresse un ancien douanier, un ancien policier, etc. Nous regardons ce qu'il se passe. Le commissaire divisionnaire s'y rend, avec le groupe interministériel d'expertise de la lutte contre la fraude à l'identité (GIELFI). Tout ce que je vous dis est sourcé. Le GIELFI se déplace au SANDIA avec des spécialistes de la police de l'air et des frontières (PAF). Le rapport qui sera fait après indique que « selon la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF), cette immatriculation s'effectue dans des conditions très favorables à la fraude, puisque le SANDIA immatricule à la vue d'un simple extrait d'acte de naissance. » Cela figure dans le rapport officiel annuel sur la lutte contre la fraude de la DNLF de 2010, publié en mai 2011. « Les quelques exemples de documents montrés lors du déplacement du GIELFI au SANDIA étaient tous des faux, permettant à des personnes d'être immatriculées sous des identités fictives. À la suite de ce déplacement, 26 agents du SANDIA ont été formés en octobre 2010. » Quand nous y allons en 2010, nous découvrons la catastrophe. Les spécialistes de la fraude documentaire qui vont à Tours regardent tous les dossiers qui leur sont présentés et ne voient que des faux. C'est la panique, nous nous disons qu'il y a un vrai problème.

Ce problème, à l'époque, entre même dans vos murs à l'Assemblée nationale, puisque nous étions en 2010-2011 et la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) travaillait sur la fraude sociale. La MECSS, qui était co-présidée par Jean Mallot et Pierre Morange, auditionne un certain nombre de personnes. Nous sommes le 27 janvier 2011 : tout cela est également sourcé, c'est sur les procès-verbaux de l'Assemblée nationale.

Le 27 janvier 2011 donc, la MECCS auditionne M. Michel Bergue, qui était à l'époque sous-préfet à la direction de la modernisation de l'administration territoriale (DMAT) du ministère de l'Intérieur, et le préfet Raphaël Bartolt, le directeur de l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS). Le rapporteur pose des questions sur le SANDIA et demande donc à ces fonctionnaires s'ils pourraient accompagner la mission à Tours avec des magistrats de la Cour des comptes pour visiter le service, parce qu' a priori, il y aurait des problématiques de sécurité. Le préfet Bartolt répond : « Nous nous sommes déjà rendus voici quelques mois dans les locaux du service national d'identification des assurés avec des représentants de tous les organes engagés dans la lutte contre la fraude, y compris le groupe interministériel d'expertise de la lutte contre la fraude à l'identité et la DNLF. Cette dernière a relayé nos observations, sous forme de propositions au Gouvernement. » Le rapporteur de la MECSS, qui avait eu des informations – parce que cela commençait à se savoir –, pose la question : « Il y avait là-bas de réelles difficultés, n'est-ce pas ? » Le préfet Bartolt répond, ce qui est quand même hallucinant, alors qu'il se trouve devant une commission parlementaire : « Oui, mais ces observations sont internes à l'administration » et il refuse d'expliquer aux parlementaires de la MECSS ce qu'il se passe exactement. Il ne va pas leur dire, sur procès-verbal, qu'il n'y avait que des faux.

Ensuite, forcément, tout se sait. Nous arrivons à la présentation de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), comme tous les automnes, en octobre 2011. Nous nous étions, nous-mêmes, rendu compte de ce problème et avions donc commencé à travailler. Vous savez comment se passe le travail gouvernemental, l'administration prépare des mesures, et j'avais rédigé la mesure législative pour essayer de traiter le problème, qui consistait à « fermer le robinet », en introduisant dans le code de la sécurité sociale le fait que l'obtention indue, sur la base de faux documents, d'un numéro d'inscription au répertoire national d'identification (NIR) entraînait la fin du paiement des prestations. On est venu vous dire que le NIR ne suffisait pas pour avoir des prestations, mais juridiquement parlant, la simple constatation de l'obtention frauduleuse d'un NIR entraîne le fait que tout paiement est frauduleux, donc qu'il doit être interrompu. C'est encore le droit positif aujourd'hui. Je dis cela en réaction à un certain nombre de choses que l'on entend un peu partout et de gens qui ont quelques problèmes d'analyse avec les éléments constitutifs des infractions.

Quoi qu'il en soit, nous avons proposé cette modification législative, dont la direction de la sécurité sociale (DSS) ne voulait pas. Je ne vous cache pas que c'est habituel. Vous savez comment cela se passe : vous étayez une proposition au niveau du ministère, interdirectionnelle, puis elle est soumise aux positions et aux arbitrages interministériels. Soit vous gagnez les arbitrages, soit vous ne les gagnez pas. Très clairement, à l'époque, nous n'avions pas gagné. La DSS ne voulait pas de cette mesure, mais elle était quand même là, il fallait quand même la prendre. Je vous rappelle que nous étions dans un contexte préélectoral, juste avant les élections de 2012 – cela a son importance relativement à ce qu'a pu écrire le sénateur Vanlerenberghe de manière assez scandaleuse dans son rapport. Cela représentait un enjeu politique énorme pour le Gouvernement. Ce type d'information était susceptible de barrer la route du deuxième tour à Nicolas Sarkozy, qui était le Président de la République en titre et qui se représentait. Apprendre que vous aviez des centaines de milliers de numéros de sécurité sociale et des milliards d'euros de fraude sociale qui partent dans la nature posait un problème.

Politiquement, il fallait absolument faire passer cette mesure, qui en plus était d'intérêt général. Mais pour une raison que j'ignore – il faudrait demander aux responsables de la sécurité sociale de l'époque –, la DSS n'en voulait pas. Cette mesure se retrouve donc non pas dans le projet de loi – ce n'est pas une disposition du Gouvernement –, mais, comme cela se fait souvent, sous forme d'amendement parlementaire. Des parlementaires très inspirés déposent des amendements très techniques. Cet amendement est présenté par M. Bur, qui était le rapporteur de la commission des affaires sociales - et cela devient un amendement de la commission -, ainsi que par MM. Tian, Door, Morange, président de la MECSS – c'était une mesure que celle-ci avait proposée –, M. Aboud et Mme Boyer, qui était déjà là et qui était cosignataire de cet amendement SANDIA. Celui-ci, d'ailleurs, expliquait tout : que le GIELFI s'était présenté, que tous les dossiers qui avaient été découverts, présentés au hasard, reposaient sur de faux documents et qu'il fallait traiter le problème, que s'il y avait 1 % de fraude, cela faisait 200 000 cas de fraude, etc.

Nous étions au mois d'octobre et le rapport de 2012 dont je vous ai parlé tout à l'heure avait été publié au mois de mai. Après le rapport sur la fraude de la MECSS, les parlementaires s'étaient rendu compte qu'il y avait un problème. Cet amendement est voté, avec un certain nombre de vicissitudes, mais il est quand même voté.

Derrière cet amendement – nous sommes au mois d'octobre –, l'évaluation était en cours, nous savions qu'il y avait un problème, et nous avions réussi à imposer l'idée de mener un travail d'évaluation statistique du nombre de faux documents dans ce fichier SANDIA, donc du nombre de NIR attribués sur la base de faux. C'est un travail qui a été fait de manière très sérieuse, à la fois par la PAF, la CNAV et la DNLF. J'ai lu dans le rapport de M. Vanlerenberghe que tout cela n'était pas sourcé et qu'il n'y avait pas d'étude sérieuse. Je vous laisserai les vingt et une pages de conclusions de l'étude. Celle-ci a conclu de manière très claire à un taux de fraude documentaire de 10,4 %, sur un stock de 17,6 millions de dossiers. Pour les faux sûrs, on devait être à 6,3 %. Sur les indéterminés, un système de reprise statistique avait été fait par l'INSEE sur l'analyse globale, et on était arrivé à 10,4 %, l'intervalle de confiance étant situé entre 9,1 et 11,7. C'étaient des conclusions très claires, sur en-tête de la CNAV, d'ailleurs, et non de la DNLF. Quand on vient vous dire que cela provient de Charles Prats, non, c'est une étude très officielle qui a été analysée, et qui a fait l'objet d'une réunion au niveau du cabinet du ministre et des directions le 12 décembre 2011. Je vous laisserai aussi le relevé de conclusions. Les noms y figurent, c'est très intéressant.

Participaient à cette réunion M. Bergue, qui était donc au ministère de l'Intérieur (DMAT), M. Chemla, le chef de cabinet du ministre du Budget, M. Emmanuel Dellacherie, le responsable antifraude à la DSS, le colonel Daniel Hestault, de la direction de l'immigration du ministère de l'Intérieur, la commissaire Emmanuelle Joubert, la chef du service de la fraude documentaire à la PAF, M. Philippe Louviau, de la DNLF, un ingénieur, Benoît Parlos, délégué national à la lutte contre la fraude, M. Regnault de la Mothe, qui était au cabinet du ministre de l'Intérieur, qui est au cabinet du Premier ministre encore aujourd'hui, et M. Rubler, un douanier qui était le conseiller fraude au cabinet du ministre du Budget.

Cette réunion du 12 décembre prend acte : « Une évaluation du taux de fraude documentaire à l'immatriculation SANDIA des personnes nées à l'étranger a été réalisée conjointement par la CNAV et par la DCPAF pendant la semaine du 10 au 14 octobre 2011.  Le taux global de fraude documentaire – on ne parle pas d'erreur, de photocopie, de cachets de travers – est estimé à 10,4 %. Tous les participants s'accordent sur la sensibilité élevée du sujet ». On m'a reproché ce 1,8 million de NIR, mais ce n'est pas moi qui l'ai inventé, c'est dans le document du cabinet « Mesures à prendre relatives aux stocks des personnes immatriculées : sur la base du taux de fraude constaté en octobre 2011, on pourrait estimer que 1 800 000 NIR ont été attribués sur la base de faux documents. » « Faux documents » : ce ne sont pas des photocopies, ce n'est pas un système de contrôle de gestion des risques, comme j'ai entendu Mme Buzyn le dire il y a un peu plus d'un an à l'Assemblée nationale.

C'est moi qui ai récupéré les archives sur ces dossiers-là, quand il y a eu le changement de Gouvernement. Vous savez comment cela se passe. Les archives partent et repartent. C'étaient mes archives personnelles. En amont de cette réunion, il y avait des mails de préparation. Par exemple, le mail du patron de l'antifraude à la DSS nous explique ses éléments d'analyse et de langage sur ce sujet : « Cette étude d'évaluation a été demandée par la DSS à la CNAV en avril 2011 suite à des constats effectués en 2010 par des experts du GIELFI. Par ailleurs, des parlementaires de la MECSS se sont rendus au SANDIA au printemps dernier, d'où les offensives du rapporteur sur l'obtention frauduleuse du NIR que nous avons eu beaucoup de mal à canaliser lors de la discussion du PLFSS. » Vous, parlementaires, dans une mission de contrôle, avez découvert qu'il y avait un problème, et les hauts fonctionnaires vous disent : « Nous avons eu du mal à canaliser les offensives des parlementaires sur le sujet ». D'un point de vue citoyen, cela laisse un peu songeur.

Après, il explique les enjeux du SANDIA, etc. « L'étude d'évaluation a porté sur un échantillon représentatif. Le pourcentage de faux documents avérés détectés est de 6,3 %. En soi, ce chiffre est sensiblement élevé, mais ne permet pas de savoir à quel type de fraude on est confronté (fraude documentaire simple, identité fictive, usurpation de l'identité) ni quels sont les enjeux pour les prestations servies. En outre, on est sur un échantillon NIR attribué depuis 1988 », etc. Puis il parle des indéterminés et conclut en disant : « C'est pourquoi, au plan statistique, il convient d'appliquer le même taux de fraude sur ces cas. Dès lors, le taux de faux documents sur l'ensemble de l'échantillon peut être évalué à 10 % ». Il s'agit donc du mail de présentation pour préparer cette fameuse réunion dont je vous parle.

Quelque temps après, le 17 janvier, la CNAV nous a redonné une analyse des cas de fraudes détectées par rapport à l'échantillon avec trois observations. Première observation, il y avait 133 cas de faux avérés dans l'échantillon des deux mille et quelques documents. Ces documents sont des faux détectés comme tels par la DCPAF et le SANDIA, le résidu étant de l'indéterminé. Sur ces faux documents, vous aviez 50 % d'actes étrangers, 11 % d'actes établis par le Service central de l'état civil de Nantes, 10 % étaient des actes de naissance français dont plus de la moitié provenaient de Mayotte, à l'époque, 5 % étaient des titres de séjour. Sur les faux actes étrangers (sur les 50 %), 47 % étaient des actes prétendument algériens, 27 % prétendument marocains, 6 % du Congo, 3 % du Mali. J'insiste sur le « prétendument » : ce n'est pas parce que le document est d'une nationalité prétendue qu'il vient vraiment de ce pays-là ou que le fraudeur est de ce pays-là. Nous en avons eu l'exemple il y a un an ou deux à Strasbourg, où un Algérien en situation irrégulière s'était fait une fausse identité irakienne. C'était manifestement plus facile de faire des faux irakiens, parce que cela passait mieux. Beaucoup de faux documents proviennent de pays où l'état civil n'est pas très rigoureux, évidemment, voire de pays où il n'y a pas d'état civil. C'est quelque chose que vous avez déjà relevé.

Deuxième observation qui est intéressante : sur les 124 consultations sur le Registre national commun de la protection sociale (RNCPS), 30 % n'ont pas pu aboutir parce qu'elles n'étaient pas consultables et surtout, 17 % des cas n'avaient aucun rattachement. À l'époque, vous aviez 83 % des dossiers qui touchaient, qui étaient connus au RNCPS et 17 % qui n'étaient pas connus. 40 % ne pouvaient pas faire l'objet de signalements parce que le RNCPS ne marchait pas encore très bien. J'y reviendrai, je vous ai ressorti des documents qui vont vous montrer à quel point, là aussi, la volonté du Parlement est parfois battue en brèche, dans ce cas sur le RNCPS.

En 2012, suite à tout cela, la loi est votée, et nous continuons à travailler. S'agissant d'un problème de sécurisation, nous avions travaillé sur un guide pour que les agents puissent certifier ou pas les identités. Surtout, comme il y avait ce problème des photocopies, nous avions préparé un décret en Conseil d'État modificatif, qui prévoyait qu'une personne qui était de nationalité étrangère, pour s'immatriculer, devait présenter un document d'identité original, et pas simplement des photocopies.

Vous savez comment cela se passe quand on élabore un décret en Conseil d'État : vous préparez un texte, vous le négociez en interministériel et après, vous l'envoyez au Conseil d'État ; mais avant, vous devez rédiger un rapport pour le Premier ministre. C'est pour M. Vanlerenberghe, je le lui dédicace, puisqu'il paraît qu'il n'y avait rien du tout dans cette affaire-là. Dans ce rapport, on indique que : « Une évaluation du taux de fraude documentaire sur le stock du SANDIA a été réalisée conjointement par la CNAV et par la DCPAF en octobre 2011. Portant sur un échantillon de 1 100 dossiers, elle fait ressortir un taux de fraude documentaire estimé à 10,4 % ». Ce n'est pas Charles Prats qui l'a inventé. À l'époque, nous avions quand même fait un rapport au Premier ministre sur ce sujet, pour justifier d'un décret qui est passé en Conseil d'État à la section sociale le 9 mai 2012.

Après, l'alternance est intervenue et le décret n'est jamais paru, mais tout cela a quand même passé été examiné. Je vous invite, si vous voulez avoir plus d'éléments, à faire ressortir les archives des réunions interministérielles (RIM) de l'époque, parce que cela a dû être bleui, et à demander au Conseil d'État qu'il ressorte les archives de la séance du 9 mai 2012 de la section sociale, pour savoir un peu de quoi on parlait. Cela peut être intéressant et je suis sûr que cela participerait à l'édification de votre collègue sénateur Jean-Marie Vanlerenberghe. Il pouvait le faire lui-même, mais je crois qu'il ne les a jamais demandés. Je ne sais pas pourquoi.

En 2013, à la DNLF, le travail a continué après mon départ. Un nouvel exercice d'évaluation est réalisé avec la DCPAF ; cela figure dans le rapport de la DNLF de 2013. J'ouvre une parenthèse : si vous allez sur le site internet du ministère des finances, les rapports où figure ce chiffre de « 10,4 % » n'y sont plus. Le ministère les a retirés depuis un an, depuis qu'il y a eu toute cette polémique fin 2018. Vous avez tous les rapports d'après, mais les rapports où l'on parle de la fraude SANDIA n'y sont plus. C'est intéressant, cela aussi : nous pourrions demander à Bercy pourquoi ils n'y sont plus. Ce n'est pas grave, il y a des archives internet, c'est très bien pour cela.

En 2013, les taux sont identiques, supérieurs à 10 %, se décomposant pour l'évaluation en un taux de faux documents de 5,44 % et un taux de documents défavorables de 5,01 %, c'est-à-dire les documents qui sont évalués statistiquement pour compléter. C'est comme cela que l'on passait de 6,3 % en 2011 à 10,4 %. Là, on passe de 5,44 à 10,45 %. C'est intéressant, parce que toute la communication de la sécurité sociale depuis ces quelques années, c'est justement de minimiser, de ne pas partir sur ce taux de 10 %, mais sur le 6 ou le 5 % en disant : « Mais non, il n'y a pas de fraude ». C'est le #YaPasDeFraude. Quoi qu'il en soit, nous étions exactement sur les mêmes taux de fraudes en 2013.

En 2011, nous avions fait cette demande d'évaluation financière ; vous l'avez dans le rapport, c'est marqué noir sur blanc. Cela n'avait pas pu être fait, parce que le RNCPS ne fonctionnait pas bien. Le montant des prestations n'y figurait pas. C'est un sujet récurrent. Je crois avoir entendu dans les auditions précédentes que vous y êtes déjà revenus.

Le 9 octobre 2012, Pierre Morange, qui est en fait l'initiateur du RNCPS, s'en étonnait. Il a interrogé le ministre du budget en expliquant que la MECSS avait fait 50 propositions, et que l'une d'entre elles insistait sur la finalisation rapide du RNCPS, et notamment sur le fait d'avoir les montants des prestations. Le ministère lui répond assez rapidement : la réponse date du 25 mars 2014, soit un an et demi pour répondre à une question écrite. Il répond que le RNCPS visait à renforcer, etc., vous connaissez les réponses aux questions écrites, qui rappellent un peu l'historique. «  Concernant le dispositif de gestion des échanges associé au répertoire, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 a confirmé que les échanges de données sur cette plate-forme peuvent notamment porter sur les montants des prestations en espèces. Le dispositif est aujourd'hui opérationnel et permet ces échanges autant que de besoin. »

Monsieur Zumkeller, vous avez posé cette question à la directrice de la sécurité sociale. Sur le RNCPS, la question des montants des prestations date quasiment de sa création. Cela avait été rappelé par le Parlement dans la LFSS de fin 2011. En mars 2014, les parlementaires reposent la question, et le ministère du budget dit : « C'est bon, cela marche, c'est opérationnel et permet ces échanges autant que de besoin ».

Le 10 octobre 2014, M. Morange fait adopter un amendement, et c'est là qu'est introduite dans le code de la sécurité sociale cette fameuse date : « Au 1er janvier 2016, il contient également le montant des prestations en espèces servies par les organismes mentionnés au premier alinéa. » Le député Morange – et le Parlement – tirent des conclusions dans la loi de la réponse ministérielle. J'ai cru comprendre en réécoutant les vidéos des quelques semaines précédentes que l'on vous a annoncé que ce n'était toujours pas vraiment en application et que cela le serait bientôt. Or, le ministère avait dit en 2014 que le dispositif était entré en application.

Il se trouve que j'ai quelques fonctions universitaires. J'écris chez Dalloz, notamment. Je ne ferai l'injure à personne de dire que c'est Yann Galut et moi-même qui sommes à l'origine de la loi sur la grande fraude fiscale suite aux problématiques de l'affaire Cahuzac, intervenue en 2012-2013. J'ai beaucoup travaillé sur la fraude à la TVA avec certains de vos anciens collègues depuis 2013 parce que c'est la principale fraude fiscale. Des milliards d'argent public sont perdus.

Derrière, existait toujours ce problème de la fraude aux prestations sociales, qui est totalement sous-évaluée et qui est un véritable tabou dans notre pays. Quand on vous parle de fraude, on pense à la fraude fiscale, et on vous sort des milliards d'euros alors qu'en réalité, quand vous regardez les indicateurs de la direction générale des finances publiques (DGFiP), ce qui est considéré comme frauduleux globalement représente un petit quart du montant des redressements. On vous parle de la fraude « des patrons », aux cotisations sociales, en oubliant allègrement qu'un tiers des cotisations sociales sont des cotisations salariées. Les chiffres sont assez divergents : jusqu'à 25 milliards sur certaines évaluations de la Cour des comptes, 7 à 9 milliards pour d'autres évaluations. Des prestations sociales, on ne parle jamais. On vous dit qu'il n'y a pas de fraude, que ce n'est rien, que c'est la fraude des pauvres. Gérard Filoche à la télévision évoque: « La météorite, la fraude fiscale », et « la noisette de la fraude aux prestations sociales ».

En réalité, au regard des chiffres de fraude détectée, aujourd'hui, on détecte plus de fraudes aux prestations sociales que de travail au noir, avec beaucoup moins de contrôleurs. Il y a beaucoup plus de contrôleurs à l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) que dans les caisses de sécurité sociale. En toute logique, si vous en détectez plus dans un sous-ensemble, si un sous-ensemble est plus grand, cela veut dire que son ensemble est lui-même plus grand que le sous-ensemble et que l'ensemble comparatif. On est sur des ordres de grandeur de milliards, voire de dizaines de milliards en fraude aux prestations sociales, si on est sur des ordres de grandeur de dizaines de milliards en fraude aux cotisations.

Quoi qu'il en soit, depuis toutes ces années, j'expliquais le problème du SANDIA et des NIR, simplement parce que tout cela était public. Il suffisait aux journalistes de savoir chercher sur Google, d'aller voir les rapports de Bercy et n'importe quel internaute pouvait trouver les informations. Il suffisait de savoir où aller chercher et de savoir lire ou de vouloir le faire.

Il ne vous a pas échappé que la fin de l'année 2018 a été marquée dans notre pays par la crise des « gilets jaunes », posant une problématique de financement des dépenses proposées par le Gouvernement et de manière générale, une problématique budgétaire et de financement des dépenses publiques. À ce moment-là, j'ai expliqué : « Si vous voulez trouver de l'argent, la lutte contre la fraude est un moyen de le faire, et l'immatriculation sociale pose un gros problème. » Cette fois, il y a eu un véritable matraquage médiatique, alors que, jusqu'alors, personne ne s'y intéressait. Votre collègue Nathalie Goulet, que j'avais informée de cette problématique-là puisque nous avions beaucoup travaillé sur les commissions d'enquête de fraude fiscale, avait posé la question au gouvernement en 2016. La ministre Mme Ségolène Neuville lui avait répondu au Sénat : « Oui, c'est vrai, il y a de la fraude, mais nous avons traité 500 cas » sur 18 millions dans le stock. Vous voyez Mme Goulet sur la vidéo du Sénat, les bras lui en tombent. 500 sur 18 millions : ce n'est pas possible. Mais le ministère n'avait pas nié le problème

En 2018, le sujet ressort suite à une interview que j'avais donnée chez Europe 1, où j'expliquais la situation et effectivement, j'évoque le chiffre de 14 milliards d'euros. Pourquoi 14 milliards d'euros ? Parce qu'initialement, nous devions disposer d'une évaluation financière, sauf qu'elle n'avait pas pu être faite à cause du RNCPS qui ne fonctionnait pas. Le seul moyen d'avoir une évaluation non pas du montant de la fraude, mais de l'enjeu de fraude, était de faire une dépense moyenne de sécurité sociale par individu. En plus, j'avais essayé d'être relativement raisonnable, parce que j'avais pris les dépenses de sécurité sociale, alors qu'il faudrait prendre les dépenses de protection sociale notamment, puisque l'attribution frauduleuse du NIR entraîne la suspension du paiement des dépenses de protection sociale, y compris Pôle emploi, etc. Ces dépenses de protection sociale représentent 787 milliards d'euros par an, y compris les frais de gestion en France, pour l'année dernière. Cela représente 11 800 euros par personne à peu près. J'étais pour ma part resté sur 7 700 euros, ce qui est très raisonnable. Cela faisait donc une évaluation de 14 milliards d'euros. Les années précédentes, j'évoquais le chiffre de 12 milliards, parce que les dépenses étaient un peu moins importantes., mais les dépenses de sécurité sociale augmentent chaque année.

Fin 2018, Nathalie Goulet, sénatrice, qui est rapporteure spéciale de la commission des finances, décide d'utiliser ses pouvoirs de rapporteure spéciale – qui sont les mêmes pouvoirs que ceux d''une commission d'enquête en permanence, chaque année – pour m'interroger et pour que je lui donne mes documents de service que je n'avais jamais diffusés. Le rapport sur le SANDIA, le rapport de la CNAV, le rapport des réunions de cabinets ministériels, etc., je ne les ai jamais diffusés. Ce sont des documents couverts par la discrétion professionnelle, donc je n'en parlais pas. Elle m'auditionne et là, vous le savez, dans ce cas, vous êtes délié du secret professionnel et devez donner les documents. C'est ce que je fais. Elle communique en disant : « Voilà, il y a un vrai problème », puisque cela répondait aux articles de presse. À ce moment-là, Mme Buzyn, qui était ministre de la Santé, la traite de tous les noms dans l'hémicycle, de suppôt du Front national, et lui dit qu'elle répand des « fake news  ». Certaines vidéos sont hallucinantes, surtout quand on connaît la suite. Là-dessus, Nathalie Goulet se vexe et diffuse sur Twitter un certain nombre de documents en enlevant les noms. C'est ainsi que les documents commencent à circuler à partir de fin décembre 2018.

Elle auditionne le patron de la CNAV, qui, plus ou moins, ne répond pas. À un moment donné, ses investigations vont être bloquées. C'est M. Vanlerenberghe, rapporteur général du budget de la sécurité sociale au Sénat, qui dit : « Je reprends à mon compte les investigations ». Mme Goulet me présente M. Vanlerenberghe, que je rencontre en dehors de sa mission. À la buvette du Sénat, nous sommes tous les trois, et je lui donne tous les rapports (de la CNAV, de la DNLF, etc.). Ils les regardent avec moi. Et là, je le vois blêmir : « Ah oui quand même, mince, ce n'est pas des conneries. C'est l'INSEE, c'est la CNAV, c'est sérieux ». Je dis : « Oui, bien sûr, cela vient du cabinet de Bercy ». Il voit les choses. Et après, il mène sa mission et me convoque au mois de mars. Je lui explique comment j'ai estimé le coût moyen et ce qu'il devrait faire s'il veut aller jusqu'au bout de l'évaluation financière. On reprend les 133 ou 124 cas de fraude de 2011. Dans les archives, on doit pouvoir retrouver les NIR, puis consulter le RNCPS. On identifie le montant des prestations de ces personnes-là, et ensuite, on calcule un montant moyen de prestations par personne qui étaient considérées comme frauduleuses, on multiplie par 1,8 million et on a une évaluation beaucoup plus fine que les 14 milliards d'euros. D'ailleurs, nous serions peut-être à plus de 14 milliards d'euros. Il me répond par l'affirmative, mais je ne vois rien venir.

Puis je vois des communications dans la presse du sénateur Vanlerenberghe, assez peu amènes à mon endroit. Pour être clair, il me traite de menteur. Moi aussi, je suis un suppôt du fascisme, etc. Au mois de juin, son rapport sort en deux temps. Il est daté du 5 juin, mais en réalité, deux versions sortiront : un rapport provisoire qui était sur Internet, et un rapport définitif. Il est toujours intéressant de comparer les deux et de se demander pourquoi il y a eu des modifications.

Dans le rapport provisoire, il était indiqué qu'il y a eu des contrôles. Ils ont refait un échantillon sur le SANDIA, sur les numéros de sécurité attribués à l'étranger. Une petite note de bas de page, qui a dû être rédigée par M. Bonnet, dit : « Soit 56,4 % du stock, ce qui est en soi une donnée intéressante. » Nous étions sur un stock de 21,1 millions de dossiers. Immédiatement, je fais deux ou trois tweets en disant : « Mais c'est formidable, nous avons enfin cette fameuse information ». Mme Goulet et deux parlementaires avaient posé à six ou sept reprises des questions écrites au Gouvernement pour savoir combien il y avait de NIR actifs, c'est-à-dire combien de personnes qui touchent des prestations sociales dans le pays, pour faire un contrôle de cohérence assez classique entre le nombre de gens qui existent et le nombre de gens qui perçoivent des prestations. N'importe quel auditeur fait cela. J'ose espérer que la Cour des comptes le fait.

Le soir même du 5 juin, je donne une interview au Figaro. J'explique que 56,4 % des 21 017 718 NIR du stock auraient perçu des prestations sociales. Faisons le calcul : cela fait 11,85 millions de NIR. À l'époque, je me dis : « Cela fait du monde ». Donc je vais voir l'INSEE. Selon eux, il y avait 7,9 millions de personnes nées à l'étranger qui vivaient en France. C'est un peu gênant, parce que même si vous rajoutez les retraités repartis par exemple vivre dans leur pays d'origine et les personnes qui relevaient à l'époque du SANDIA, c'est-à-dire de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française, cela nous laissait quand même un petit trou de 2,35 millions de personnes qui touchaient des prestations alors qu'elles n'existaient pas. Nous avons un vrai sujet, qui est même au-delà du chiffre de 1,8 million.

Sur Internet, j'ai vu que le rapport a été modifié dans la foulée. Quand M. Vanlerenberghe vous a dit l'autre jour avec son conseiller du Sénat : « Nous étions en fin de processus. J'ai fait une note de bas de page, mais en fait, ce n'était pas vraiment cela. Ce n'était pas utile. C'était une initiative malheureuse. » L'initiative était malheureuse, parce qu'un article de presse tirait les conclusions et les conséquences de ce qu'il avait publié et montrait qu'il avait juste mis la lumière sur pratiquement 2,5 millions de numéros frauduleux. Ce sont des gens qui n'existent pas et qui touchent des prestations. Cela s'est transformé en 56,4 % des stocks, ce qui est en soi une donnée intéressante, l'échantillonnage ayant été réalisé à partir d'une requête se limitant aux assurés nés à l'étranger non enregistrés comme décédés. Là arrive ce chiffre de 17,2 millions, que l'on ne voyait nulle part ailleurs. Puis «  une extrapolation de ce pourcentage à l'ensemble du stock du SANDIA laisse supposer un nombre de dossiers aux prestations de l'ordre de 9,7 millions. À titre de comparaison, selon les dernières données encore provisoires d'Eurostat, environ 8 177 millions de personnes nées à l'étranger vivaient en France au 1er janvier 2018. »

Ils se rendent compte que ce qu'ils ont écrit les met en difficulté et démontre que le rapport est « bidon ». Parce qu'il l'est – j'enfonce une porte ouverte. Ils se demandent alors comment faire et décident de multiplier 17,2 par 56,2 – on fait une cote mal taillée –, ce qui fait 9,7 millions. C'est toujours pareil. Quand j'étais juge d'instruction, les gens font toujours cela quand vous les avez pris la main dans le sac. Ils vont continuer à parler et il suffit de les laisser venir. Ils s'enferrent tout seuls. Là, ils écrivent 9,7, et de l'autre côté, 8,2 millions et eux-mêmes ne se rendent pas compte qu'ils ont un gap de 1,5 million et ne l'expliquent pas.

L'autre jour, j'ai regardé l'audition avec gourmandise. J'ai vu que vous aviez posé la question au sénateur qui a courageusement fait porter le chapeau à M. Bonnet : « Ce n'est pas moi qui ai fait les notes de bas de page ». Et l'autre rit nerveusement et est incapable d'expliquer. Il est incapable de se demander comment il va l'expliquer, alors que vos administrateurs avaient fait ce calcul, quand ils m'ont envoyé la question. En fait, cela ne ferait un gap que de 200 000 si l'on compte les retraités à l'étranger, les gens de Polynésie, etc. Vous l'avez vu, le conseiller qui a soi-disant rédigé la note de bas de page ne l'a tellement pas rédigée qu'il n'a pas ce réflexe. Il n'est même pas capable d'expliquer le travail qu'il n'a pas fait.

Le sénateur dit : « Oui, mais ce n'est pas nous. On nous a donné des taux. » Et derrière, il vient reprendre la parole en disant : « Oui, mais en fait, nous sommes partis sur 21 millions et quelques, sur l'ensemble du stock ». Mais, 56 % de 21 millions, cela fait 11,85. La scène est surréaliste, puisque vous voyez que le sénateur Vanlerenberghe lui-même se remet dedans, parce qu'il est incapable d'expliquer son propre rapport. Il est incapable de le défendre, à tel point que, comme il me mettait en cause nommément dans ce rapport à plusieurs reprises, je lui ai proposé des débats publics. Une radio avait proposé de l'organiser, il a toujours refusé. Il s'est « dégonflé ». Il n'a jamais voulu discuter de manière contradictoire de son rapport. On comprend pourquoi.

Vous me demandiez ce que je pensais de ce rapport. J'en pense un peu la même chose que votre collègue sénateur M. Savary, qui est président du Conseil général ou qui l'a été. Dans la discussion sur le rapport de M. Vanlerenberghe, il demande quelle est la part du revenu de solidarité active (RSA) et quelle est la part de l'allocation aux adultes handicapés (AAH). M. Vanlerenberghe lui dit, sur l'évaluation financière : « Le RSA représentait 2 447 euros sur les montants frauduleux et l'AAH, 4 956. » Il ne se rend même pas compte qu'il donne un montant très inférieur au montant plancher du RSA sur une évaluation annuelle. M. Savary dit que cela paraît impossible parce que lui sait à combien s'élèvent une AAH et un RSA. Et tout était à l'avenant.

M. Vanlerenberghe invite également à éviter toute interprétation abusive du rapport et dit : « J'insisterai sur le fait que des tribunes de presse ou des journalistes, par exemple M. Charles Prats, pourtant ancien magistrat, ont diffusé des chiffres faux, établis sur une base insuffisamment documentée, et ce sans aucune vérification : de tels procédés sont inacceptables ». Moi je veux bien, mais quatre rapports de Bercy, un rapport au Premier ministre, les réunions interministérielles, le passage au Conseil d'État, tout le travail qui a été fait par tous les fonctionnaires pendant toutes ces années, je n'appelle pas cela « une base insuffisamment documentée, et ce sans aucune vérification ».

En revanche, que le rapport de M. Vanlerenberghe soit insuffisamment documenté et qu'il n'ait procédé à aucune vérification, oui. Je vous en donne un seul exemple, parce que je lui ai donné le document « Réunion de conclusions au cabinet » à l'époque au ministère du Budget. De nombreuses personnes étaient là ; je les ai citées. Regardez la liste des personnes entendues dans le rapport Vanlerenberghe. Jean-Marie Vanlerenberghe s'est bien gardé d'entendre un seul des fonctionnaires qui ont travaillé sur le dossier à l'époque. Aucun des fonctionnaires qui étaient là, qui ont participé à ces réunions, aucune des personnes qui ont fait l'étude n'a été entendue par Jean-Marie Vanlerenberghe. Il a fait un rapport pour conclure à l'absence de fraude, en se gardant d'entendre toutes les personnes qui avaient travaillé sur le sujet.

Aucun journaliste ne l'a relevé. Nous nous sommes retrouvés avec une presse qui n'a pas fait son travail, qui a pris pour argent comptant ce que lui racontait le rapporteur, parce que cela intéressait aussi la DSS de s'appuyer sur ce qu'il avait fait, peut-être parce qu'il travaillait indirectement avec leurs services. Finalement, il se contentait de mettre sa signature sur un travail qui avait été fait pour son compte.

En même temps, une mission gouvernementale avait été confiée à Carole Grandjean et à Nathalie Goulet par le Premier ministre, dans le cadre de laquelle elles faisaient partie de l'exécutif, elles avaient « rang de ministre », et à qui on a mis des bâtons dans les roues de façon incroyable. Parlez-en en aparté avec elles. En septembre, elles ont fait une conférence de presse pour présenter les données que l'INSEE leur avait fournies – elles ne les avaient pas inventées –, les histoires des centenaires, des 84 millions de personnes réputées vivantes, etc. Il se trouve que je connaissais ces données, parce qu'elles les ont reçues le jour où elles m'ont auditionné. Je m'étais dit que cela allait faire un peu de bruit. C'est la première fois – nous sommes quand même en France – que des administrations centrales et des organismes produisent un communiqué de presse pour critiquer de manière véhémente des parlementaires en mission, c'est-à-dire, en gros, des ministres. Je sais bien que nous sommes dans le monde d'après. Enfin, dans le monde d'avant, au Conseil des ministres de la semaine suivante, tout le monde aurait sauté.

La Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM) a expliqué que 59,4 millions de cartes vitales étaient actives. Il suffisait de faire le petit calcul initié par l'Inspection générale des finances (IGF) et l'Inspection générale des affaires sociales (IGAF), selon la méthode 2013 du rapport de Boris Ravignon, que je vous invite à entendre. C'est une méthode intéressante qui consiste à comparer le majorant théorique des cartes Vitale avec le nombre de cartes Vitale actives en surnombre, c'est-à-dire avec des droits ouverts, contrairement à ce que l'on vient de vous dire. C'est un NIR actif. En faisant ce calcul, on obtient 5,2 millions de cartes vitales en surnombre. Il y avait du progrès, parce qu'en 2013, le chiffre atteignait 8 millions, plus 7 millions de personnes prises en charge par les assurances maladie obligatoires en plus des gens qui existaient.

Quand vous avez entendu la directrice de la sécurité sociale, elle n'a pas parlé de 5,2 millions mais de 2,6 millions. Il y a quand même du progrès : elle vous a avoué 2,6 millions de cartes vitales actives en surnombre. J'ai cru comprendre que deux jours après, un communiqué de presse disait 609 000. Cela rabote, et cela descend, c'est assez intéressant.

Quoi qu'il en soit, je vous renvoie au rapport Goulet-Grandjean. Une contribution date de l'été 2019, émanant du ministère de l'Intérieur, d'un dénommé M. Galland – je ne le connais pas – à la mission « délivrance sécurisée des titres ». Il fait référence à un rapport de l'Inspection générale d'administration (IGA) de février 2019 sur la fraude documentaire à l'identité, qu'il serait intéressant de vous procurer. Il y est dit : « Trois évaluations ont été réalisées par les organismes sociaux avec le concours de la DCPAF sur le taux de faux documents produits dans des dossiers ayant abouti à immatriculation : évaluée à environ 10 % des dossiers, cette fraude a été évaluée à 5,44 % en 2013, et à 3,5 % en 2018. Ce résultat ne tient pas compte du volume des dossiers rejetés préalablement à l'immatriculation sur la base d'une suspicion de fraude aux documents d'identité. Taux de rejet évalué en 2013 : 12,5 %. » C'est un document de 2019 du ministère de l'Intérieur. Peut-être M. Vanlerenberghe ne l'a-t-il pas eu, mais cela ne dit pas tout à fait la même chose que son rapport, qui nous explique que la fraude, c'est 0,7 % des dossiers et seulement 100 millions d'euros. J'ai cru comprendre qu'il avait répété que maintenant que nous étions au mois de février et de mars, ce serait encore moins, parce que les faux documents deviennent de moins en moins faux.

À force de poser les bonnes questions, on finit par obtenir les bonnes réponses. Mme Goulet et Mme Grandjean ne le savent même pas puisque la réponse ministérielle a été apportée avec une très grande discrétion. Sinon, Mme Goulet l'aurait dit partout. Je pense que l'on s'est bien gardé de lui donner. Mme Goulet avait posé au mois de juin une question. Elle avait attiré l'attention de la ministre des Solidarités sur la délivrance et le suivi des NIR aux personnes étrangères et aux Français nés à l'étranger. Or il n'a pas été répondu à la question orale numéro 666 qui demandait, en séance plénière, combien de NIR sont actifs, c'est-à-dire combien de personnes nées à l'étranger touchaient des prestations, compte tenu des chiffres publiés, et combien de NIR sont attribués en France au 1er juin 2019 par le service SANDIA.

Nous pourrions poser la question aux honorables parlementaires ici présents : d'après eux, combien y a-t-il de NIR actifs pour des personnes nées à l'étranger et qui touchent des prestations sociales en France Je vous donne un indice. Pour l'INSEE, cela a été un peu réévalué : le dernier chiffre d'octobre 2019 est 8,2 millions, pour 2020. 8,2 millions de personnes nées à l'étranger vivent en France et existent réellement. Combien touchent des prestations sociales ? « Au 1er juin 2019 (…), le RNCPS recense 12 392 865 personnes disposant d'un droit “ouvert” à recevoir au moins une prestation sociale. »

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