Intervention de Charles Prats

Réunion du mardi 3 mars 2020 à 18h30
Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Charles Prats, magistrat au Tribunal de grande instance de Paris :

Non, nous ne les avons pas. Il faut bien que vous ayez du travail à faire à la commission d'enquête, madame Boyer.

Par ailleurs, « 43 % de ces personnes ont un droit “ouvert” pour des prestations familiales. » Ce qui est intéressant, c'est de faire les calculs soi-même. 43 % de 12,4 millions, cela fait 5,3 millions. Cela veut dire que 5,3 millions d'allocataires de la branche famille sont des gens nés à l'étranger. Sur les 12,7 millions d'allocataires au total sur la branche famille, 41 à 42 % des allocataires de la branche famille sont donc nés à l'étranger. Soit c'est vrai, soit c'est faux. Si c'est vrai, c'est une information intéressante pour le public de savoir que quasiment la moitié des allocataires de la branche famille sont des gens nés à l'étranger dans notre pays. On peut se dire que cela fait quand même une surreprésentation importante, donc que nous avons un petit problème, qui révèlerait un vrai souci.

Ce chiffre est très intéressant : « 33 % de personnes ont un droit “ouvert” pour des prestations de retraite. » Cela fait 4,1 millions de retraités nés à l'étranger. On peut faire un petit calcul. On enlève le 1,1 million de gens qui sont vraiment à la retraite à l'étranger, si tant est qu'ils ne soient pas morts - c'est un autre sujet. Cela nous laisse 3 millions sur le territoire, sur les 8,2 millions. Cela veut dire que sur les gens nés à l'étranger en France, nous avons 37 % de retraités. Ce n'est pas tout à fait le taux moyen des retraités en France, mais les gens nés à l'étranger sont beaucoup à la retraite. On se demande pourquoi il y a un « 49-3 » et pourquoi vous allez voter une motion de censure tout à l'heure, ou pas d'ailleurs.

Bien sûr, la sécurité sociale dit : « Ce droit ouvert ne signifie pas nécessairement qu'un paiement de prestations ait d'ores et déjà été versé à l'ensemble de ces personnes. Par exemple, une personne peut disposer de droits ouverts à la couverture maladie universelle (CMU) mais n'avoir bénéficié d'aucun remboursement de soins de santé. » D'accord, sauf que, quand on est inscrit à la branche famille et à la branche vieillesse, c'est que l'on touche tous les mois. Et quand on a un droit ouvert à la sécurité sociale, c'est qu'on a un droit ouvert à la sécurité sociale. Là, vous avez un problème d'existence.

Reprenons le petit calcul : 12,4 millions d'un côté, 8,2 millions de l'autre. Vous rajoutez vos 1,1 ou 1,2 million de retraités à l'étranger, vous rajoutez les Polynésiens et les Calédoniens, il reste 2,4 ou 2,5 millions de fantômes, de zombies. Mais ils ne sont pas des fantômes pour passer à la caisse parce que là par contre, ils touchent les prestations. Ou alors c'est que le RNCPS nous raconte n'importe quoi. Comme cela sort ce soir, j'attends avec gourmandise de savoir dans les 48 heures quelles explications nous seront données pour nous dire qu'en fait, il n'y en a pas 12,4 millions : « Vous n'avez rien compris. En fait, cela ne marche pas ainsi. » Moi, je lis : « Le RNCPS recense 12 392 865 personnes disposant d'un droit “ouvert” à recevoir au moins une prestation sociale. » Il n'y en a que 8,2 millions sur le territoire national, 1,1 million de retraités à l'étranger. Si tant est que les Polynésiens ou les Calédoniens soient encore dans le SANDIA, vous en rajoutez 500 ou 600 000 de plus. Donc cela vous laisse un gap de 2,4 millions, 2,5 millions de personnes qui touchent réellement.

Le sénateur Vanlerenberghe dit que son échantillon permet d'extrapoler que 9,7 millions de personnes touchent, mais celui-ci n'est pas bon, parce qu'en fait, elles sont 12,4 millions. S'il était représentatif, il n'y aurait pas un écart de 28 %. Cela vous démontre que l'échantillon qu'a utilisé le rapport Vanlerenberghe est totalement bidon. L'écart par rapport à la réalité est de 2,7 millions d'individus. L'échantillon n'est pas représentatif du tout. Cela veut dire qu'il a été construit pour ne pas l'être. Posez-vous la question de comment cet échantillon dont il parle dans le rapport a été construit et s'il n'a pas été construit pour ne pas être représentatif. De toute manière, on démontre qu'il ne l'est pas. Avec un tel écart, les statisticiens de l'INSEE ne peuvent pas se tromper dans de telles proportions, ce qui pose une vraie question.

Quand M. Vanlerenberghe vous dit que le taux de fraude est de 0,7 %, cela veut dire que cela représente 150 000 dossiers environ. Je lui poserais bien la question, mais aussi à la DSS, au ministre de la Santé, au Gouvernement, à beaucoup de gens : qui sont les 2,5 millions au minimum de personnes qui sont là et qui touchent des prestations sociales dans notre pays ? Si ce n'est pas de la fraude, d'où sortent-ils ?

Derrière, vous pouvez faire la même chose, pas simplement sur les NIR du SANDIA. Nous avons vu ce qu'il en était sur la carte Vitale, sur le Répertoire national d'identification des personnes physiques (RNIPP), avec le nombre de gens réputés en vie, etc. Amusez-vous à faire les mêmes requêtes RNCPS sur l'ensemble de la population. Je suis sûr que nous allons avoir un certain nombre de problématiques et peut-être de surprises sur le nombre de gens qui touchent des prestations sociales et qui ont des droits ouverts dans ce pays, par rapport aux gens qui existent. Il n'y a pas de raison qu'il n'y en ait que sur les gens nés à l'étranger.

C'est une donnée qui fera un peu de bruit, qui intéressera nos concitoyens et la représentation nationale. Moi, j'ai l'esprit tranquille. J'ai fait mon travail, j'ai expliqué les choses. Vous savez ce que disait Chirac : « C'est à la fin de la foire que l'on compte les bouses. » Nous sommes en train de compter les bouses. Il y en a 12,4 millions versus 8,2 millions. Nous avons un vrai souci : je crois qu'il appartient à votre commission d'enquête de savoir pourquoi il existe et comment le régler.

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