Intervention de Christophe Basse

Réunion du jeudi 25 juin 2020 à 15h45
Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Christophe Basse, président du CNAJMJ :

Je vous remercie d'avoir convié le CNAJMJ à cette commission d'enquête sur la lutte contre les fraudes aux prestations sociales.

Le CNAJMJ, que je préside depuis le 9 janvier dernier, est l'organe de représentation de la profession des administrateurs et mandataires judiciaires auprès des autorités publiques, mais il a également vocation à être une autorité de contrôle et de poursuites disciplinaires pour la profession.

Il y a aujourd'hui 300 mandataires judiciaires, 140 administrateurs qui exercent au sein de 290 études, pour environ 4 500 collaborateurs, soit environ 5 000 personnes exerçant de manière exclusive cette profession dédiée aux entreprises en difficulté en France.

Cette profession réglementée n'a ni charge ni clientèle. Elle n'a rien à acheter ou à vendre et n'a pas de numerus clausus. L'inscription sur les listes ainsi que les examens sont décidés par notre ministère de tutelle, qui est le ministère de la justice.

Le CNAJMJ a également un rôle de formation continue des différents professionnels.

Il comprend seize membres élus, dont sept permanents. M. Alain Damais, notre directeur général, est à nos côtés depuis un peu plus d'un an.

Le CNAJMJ travaille depuis de nombreuses années dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d'argent. Nous sensibilisons donc les professionnels à la lutte contre la fraude aux prestations sociales par le biais de nos formations, que nous organisons en lien avec l'organisme de traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin) depuis plus de cinq ans.

En 2014, au début de l'application des lois Tracfin pour notre profession réglementée, 78 professionnels ont été formés. Ce chiffre est passé à 209 en 2019, si bien qu'aujourd'hui, plus de 1 206 professionnels ont suivi des formations spécifiques d'une quinzaine ou d'une vingtaine d'heures sur la lutte contre le blanchiment d'argent.

À titre d'exemple, nous sommes la profession réglementée qui diligente le plus de déclarations de suspicion auprès de Tracfin.

Le rôle du CNAJMJ doit être distingué de celui des études des administrateurs et mandataires judiciaires qui traitent les dossiers. Nous n'avons qu'une mission de supervision et de représentation. Ce sont les administrateurs et mandataires judiciaires, dans leurs études, qui détectent les fraudes aux prestations sociales dans les dossiers dont ils ont la charge.

En France, on dénombre entre 45 000 et 65 000 procédures collectives par an. Il y en a eu 52 000 en 2019, ce qui est un chiffre historiquement bas. Après la crise de 2008-2009, nous étions montés à 64 000. Contrairement aux idées reçues, à date, les procédures collectives ouvertes sont six fois moins importantes aujourd'hui qu'en 2009. L'explication en est double : d'une part, les aides gouvernementales massives qui soutiennent les entreprises, et, d'autre part, le fait que les tribunaux ne fonctionnent pas encore à plein régime, ce qui fait que les procédures sont encore lentes à s'ouvrir.

Quelle est la différence entre administrateur et mandataire judiciaire ? Ce « bicéphalisme » est né la loi Badinter de 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises.

L'administrateur judiciaire est le professionnel de la négociation, de l'économie, de la gestion financière, de l'accompagnement de l'entreprise, et également un acteur privilégié dans le cadre de la prévention des entreprises en difficulté via le mandat ad hoc et la conciliation. Il est également désigné dans les procédures de redressement judiciaire et de sauvegarde. Il assiste le dirigeant dans la gestion de l'entreprise.

Le mandataire judiciaire est liquidateur en liquidation judiciaire. Il intervient également en procédure de sauvegarde et de redressement judiciaire aux côtés des créanciers. C'est le représentant des créanciers. Il représente leur intérêt collectif, les invite à déclarer leurs créances, vérifie le passif. Parmi les créanciers, il peut aussi y avoir des salariés qui doivent être pris en charge, notamment par l'assurance de garantie des salaires (AGS),

Nous tenons ces fonctions d'une décision d'un président de tribunal ou d'un tribunal. C'est bien un mandat de justice que nous recevons. Nous n'avons pas de clientèle.

C'est dans le cadre de nos mandats d'administrateurs et mandataires judiciaires que nous détectons ou soupçonnons parfois des cas de fraude aux prestations sociales, que nous dénonçons ici au procureur, là à l'AGS pour avoir éventuellement des compléments d'information, ou auprès des organismes Tracfin par lesquels nous sommes formés.

Nous avons les chiffres des dénonciations faites auprès de Tracfin, qui les comptabilise, mais pas ceux des dénonciations faites aux procureurs partout en France. Quoi qu'il en soit, nous sommes un relais très important auprès du ministère public pour détecter les situations de fraude dans les dossiers que nous administrons, notamment dans ces sociétés éphémères qui sont de plus en plus présentes dans nos procédures. Il faut savoir que sur 52 000 procédures collectives en 2019, 80 % des entreprises vont directement en liquidation judiciaire et que 60 % de ces dossiers sont totalement impécunieux et vides. Cela ne veut pas dire que ce sont des sociétés éphémères, mais ce chiffre est en très forte croissance. Pour de plus en plus de structures qui arrivent en procédure collective, nous ne recevons même plus les dirigeants, nous ne savons pas où ils sont, nous ne connaissons pas les baux, ils ne viennent même plus au tribunal. Nous constatons de plus en plus un désintérêt de la responsabilité du chef d'entreprise face à ses difficultés, quand bien même il fait l'objet d'une liquidation judiciaire.

En 2019, environ 1 000 déclarations de soupçon ont été faites auprès de Tracfin. Ces déclarations sont particulièrement qualifiées puisqu'environ 20 % d'entre elles entraînent des suites judiciaires, ce qui est tout à fait significatif.

Monsieur le président, nous sommes ici pour vous assurer d'abord de notre engagement à contribuer au mieux à la détection et la poursuite des fraudes aux prestations sociales. Il y a un an, à l'occasion d'une mission d'information, nous avions formulé différentes propositions que j'aurai plaisir à rappeler à votre commission. Le point important que je souhaite souligner est que les administrateurs et mandataires judiciaires sont demandeurs pour jouer un rôle beaucoup plus actif en matière de lutte contre la fraude sociale. Pour cela, nous avons un besoin crucial d'accès à l'information et aux différents fichiers : ceux issus du fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA), mais surtout les fichiers des organismes sociaux. Nous souhaitons en particulier accéder à la déclaration sociale nominative pour connaître l'existence de salariés dans les entreprises en procédure collective.

Malheureusement, depuis quelque temps, les demandes que nous faisons nous sont retournées au motif, notamment, que le règlement général sur la protection des données (RGPD) ne nous permet pas d'avoir accès à ces fichiers. C'est tout à fait dommage, car nous avons connaissance de situations susceptibles d'être en lien avec de la fraude sociale et nous ne disposons de quasiment aucun moyen, sauf à saisir les ministères publics, où, on le sait, les divisions économiques et financières sont très chargées. Si nous pouvions accéder à ces moyens de connaissance, je pense que nous serions beaucoup plus efficaces dans nos alertes.

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