Intervention de Norbert Bontemps

Réunion du mercredi 15 juillet 2020 à 18h30
Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Norbert Bontemps, directeur des assurances de personnes chez Groupama :

Mon parcours, au sein du monde de l'assurance et plus particulièrement chez Groupama, m'a donné l'occasion de travailler non seulement sur l'assurance de personnes, mais également sur les dommages aux biens, notamment avec mon collègue Pierre Griffon.

La fraude est un élément important du métier des assureurs. Historiquement, c'est une préoccupation qui s'est plutôt portée sur les dommages aux biens, ainsi que sur les assurances automobiles. La fraude peut d'abord survenir lors de l'établissement d'un contrat, par une déclaration non conforme à la situation du risque ; la bonne connaissance du risque permet de définir les bonnes garanties mais aussi le bon niveau de tarification, et de décider s'il doit être accepté ou refusé.

En matière d'assurances de personnes – les complémentaires santé –, cette logique de sélection n'existe pas, et le problème est plutôt celui de la tarification ; c'est pour cela que les assureurs se sont plutôt concentrés sur la fraude portant sur les dommages aux biens.

La fraude peut ensuite être effectuée au moment de la survenance d'un sinistre ou, dans le cas d'une complémentaire santé, lors de la réalisation d'une prestation. Il s'agit alors de détecter les éventuels abus – faux sinistre ou sinistre dont le descriptif n'est pas conforme à la réalité.

C'est donc un sujet relativement ancien s'agissant des dommages aux biens et de l'assurance auto. Ces dix dernières années, le nombre d'examens a triplé parce que davantage de cas se sont présentés, mais aussi parce que nous avons amélioré nos capacités de détection. Sur une grande partie des sinistres interviennent des experts qui sont capables de détecter les anomalies.

Pour les complémentaires santé, le sujet de la fraude s'est développé plus récemment. Nous intervenons en complément d'un régime de base, la sécurité sociale, et le mode d'enregistrement des sinistres est très différent de celui qui a cours en dommages aux biens et en assurance auto : ce sont des schémas automatisés. Le remboursement de la sécurité sociale nous est répercuté par l'intermédiaire de la norme ouverte d'échange entre la maladie et les intervenants extérieurs, dite procédure NOEMIE. Dès lors que l'on connaît l'assuré, qui se trouve dans nos bases de données, nous l'indemnisons automatiquement.

Dans tous ces domaines, pour lutter contre la fraude, nous avons commencé par faire intervenir des experts, gens du métier, à qui nous avons apporté des outils d'analyse de données. Nous avons développé des techniques d'intelligence artificielle – celles des data scientists – permettant d'entraîner les outils à explorer les données afin d'améliorer à la fois la pertinence des cas détectés et la capacité d'investigation. Ces techniques se sont fortement répandues ces dernières années chez les gros assureurs, mais aussi entre assureurs – des projets sont en cours pour partager nos expertises. L'analyse des données a donc permis de faire progresser la détection des fraudes.

On a récemment commencé à utiliser ces techniques dans le domaine des complémentaires santé. Les enjeux n'y sont pas les mêmes : le prix moyen d'une prestation n'a rien à voir avec celui d'un sinistre automobile ou d'un dommage aux biens ; en outre, elles interviennent après le régime de base. Notre objectif était d'intervenir là où cela pouvait être utile : c'est dans l'optique et le dentaire qu'il y a eu le plus d'investigations. Les assureurs y travaillent dans un cadre de tiers payant, qui implique demande de prise en charge dans laquelle le professionnel de santé transmet des informations pour le compte de l'assuré. Ce moment d'échange est propice pour détecter les cas anormaux, quantitativement limités.

Pour les traiter, nous avions l'habitude de solliciter des opticiens conseils ou des chirurgiens-dentistes conseils. En santé, contrairement aux assurances auto ou aux dommages aux biens, la plus grande partie des cas douteux fait intervenir un professionnel de santé. On dit souvent que les complémentaires santé sont des payeurs aveugles ; elles indemnisent l'assuré sur la base d'un code qui est transmis par le régime de base de la sécurité sociale, mais qui a gommé tout le contenu de la prestation. Elles ne disposent donc pas toujours des données nécessaires à la reconnaissance de la fraude. Il n'y a que dans quelques domaines – l'optique et les prothèses dentaires, dans lesquels nous sommes en général le principal financeur – que nous avons à notre disposition davantage de données. C'est là que nous avons toujours travaillé ; nous avons même créé les réseaux de soins, au sein desquels les protocoles d'échanges et les niveaux de prix sont harmonisés, ce qui permet de sécuriser la prestation et d'instaurer une relation de confiance. C'est un bon rempart contre les abus, même si cela ne les empêche pas.

Très récemment, l'émergence des techniques de traitement de données – dans les domaines où celles-ci sont disponibles de manière détaillée, c'est-à-dire l'optique et le dentaire, et surtout l'optique – a permis de mieux détecter les cas douteux.

Ces fraudes aux complémentaires santé sont souvent peu coûteuses à l'unité. On peut intervenir car elles interviennent dans le cadre du tiers payant, dans lequel on nous demande d'abord une prise en charge. Lorsque nous détectons quelque chose de suspect, nous menons notre enquête en faisant intervenir des gens du métier et nous pouvons refuser cette prise en charge en demandant des éléments supplémentaires : à ce stade, aucune prestation n'a été réglée. Il s'agit de dépenses relativement limitées ; récupérer ce qui a été réglé étant très coûteux, nous nous attachons à intervenir avant. C'est un problème spécifique à la complémentaire santé.

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