L'usurpation d'identité est un enjeu majeur.
La fraude documentaire s'est industrialisée. Au début, je voyais des falsifications ou des contrefaçons grossières ; aujourd'hui, c'est de plus en plus sophistiqué, avec des moyens qui ne sont pas nécessairement énormes.
Mon objectif est aussi de comprendre les comportements. Amédy Coulibaly a utilisé un document d'identité pour obtenir des financements pour son action terroriste – cela figure dans la documentation que j'ai apportée. Ce n'est pas un faux document qui était en cause, mais un comportement. Cela fait partie de l'analyse que je transmets en temps réel : la fréquence d'utilisation des documents peut être suspecte. Le document utilisé, lui, ne comportait aucune anomalie.
C'est en raison de ce problème que j'ai mis en place un service supplémentaire. Les faussaires auront toujours un train d'avance. Mon rôle est de faire de la veille et d'analyser les comportements. J'ai su apporter une solution, et je continue à m'adapter en permanence.
Amédy Coulibaly avait ouvert un compte dans une agence, et il a souscrit un certain nombre de crédits à la consommation, notamment en matière automobile. Tout était vrai, mais la fréquence d'utilisation du document d'identité était suspecte.
Je ne peux pas dire que le document est faux – je n'ai aucune légitimité pour le faire – mais j'apporte une aide à la décision. J'invite chaque conseiller à être attentif, à être vigilant sur l'ensemble du dossier.
C'est la fiche de paie qui était fausse, en l'occurrence. Nous fournissons des éléments pour vérifier la cohérence de ces documents, qui sont semi-structurés. Il est difficile de vérifier s'il y a des éléments de sécurité. Notre dispositif a pu aider les banques à éviter un risque.
J'ai invité des victimes d'usurpation d'identité dans le cadre de RESO-club. Une personne a dû justifier pendant quatorze ans, auprès des institutions financières mais aussi de sa famille, qu'elle n'était pas à l'origine de tous les crédits souscrits en son nom pendant cette période. On lui a tout saisi au départ. Le jugement est intervenu au mois de décembre dernier : l'usurpateur s'est vu infliger une peine de 3 500 euros d'amende et d'un an de prison. La justice ne suit pas du tout…
La victime m'a dit que la seule chose vraie dans le dossier était la carte d'identité, que l'usurpateur avait pu obtenir un certificat de naissance et ainsi un vrai document d'identité – c'est tout à fait possible : il y a une faille évidente du côté de l'administration. J'ai passé le document dans mon système, et j'ai été un peu mal à l'aise. Il y avait une anomalie. Cela peut être lié au fait que le document est encrassé, imparfait – il est vrai, mais une tache masque un caractère et le système de reconnaissance optique de caractères (OCR) conclut que le document présente une anomalie. J'ai fait une expertise : j'ai confirmé à la victime que la carte d'identité figurant dans le dossier était contrefaite. Le document avait été dupliqué et utilisé au sein d'un réseau. C'est pourquoi d'autres banques ou créanciers se mettaient à poursuivre à leur tour la victime.
La démarche de RESOCOM et de l'association est notamment d'inviter les victimes d'usurpation à venir s'exprimer. Il faut regarder de quoi il s'agit, sinon il est difficile de comprendre leur parcours du combattant. Quelques victimes m'ont contactée dernièrement, grâce à l'association. Je leur ai immédiatement indiqué la démarche à suivre – il faut commencer par déposer plainte, bien sûr. J'ai intégré dans ma base de données les documents volés, afin de l'enrichir. Une des personnes, qui habite dans la région de Montpellier, sait que des comptes ont été ouverts à Arles et à Perpignan.
L'utilité publique est dans mon état d'esprit. Il s'agit d'apporter une réponse aux citoyens et aux victimes d'usurpation d'identité, en plus des banques.
L'usurpation d'identité se professionnalise. Lorsque j'ai commencé, on falsifiait des prénoms ou des dates de naissance, parce que les personnes concernées étaient fichées à la Banque de France. Aujourd'hui, il peut s'agir de personnes fichées S qui cherchent à obtenir des crédits en recourant à une autre identité.
Il y a deux ans, la Lituanie a connu une faille dans son état civil, ou plutôt dans ses systèmes informatiques. J'ai identifié un certain nombre de cartes d'identité lituaniennes concernées. Elles sont sécurisées – elles sont faites en polycarbonate et utilisent la biométrie – et parfaitement maîtrisées sur le plan industriel, mais des fichiers ont été usurpés par un réseau. Des gens tout à fait convenables ont ouvert un compte en France, dans une agence située à la campagne. On a mis en cause mon système en disant qu'il ne savait pas lire un document exotique tel qu'une carte d'identité lituanienne. J'ai apporté la preuve que nous savons non seulement lire une carte d'identité lituanienne – qui est européenne – mais aussi voir que le document en question est volé. J'ai mis en place un réseau de coopération qui m'a permis d'avoir des informations sur le fait que l'identité avait été usurpée et que la carte d'identité était fausse, même si elle ressemblait à une vraie carte d'identité lituanienne.
Je peux, effectivement, ne pas tout connaître. Mais j'améliore depuis vingt ans mon système, qui devient de plus en plus performant. J'ai des clients qui me font confiance.