Les faits remontent à cinq ans, je ne saurais donc vous indiquer précisément combien de temps a duré son examen. En tout état de cause, nous recevons ces personnes entre vingt et trente minutes.
Il me semble important dans mon propos liminaire de pouvoir vous expliquer le cadre général de ces examens et le cadre précis de l'examen de M. Kobili Traoré. J'ai pu visionner les précédentes auditions et j'y ai malheureusement constaté d'importantes confusions entre le travail effectué à l'Hôtel-Dieu et celui réalisé à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police. Des erreurs et imprécisions à mon sujet et à l'égard de notre travail sont également à déplorer.
J'ai aujourd'hui 36 ans et j'avais 31 ans à l'époque et non 27 ans, comme il a été dit à plusieurs reprises. Mon jeune âge a été présenté comme un problème. Pourtant, j'ai effectué dix années d'études. J'ai soutenu ma thèse de doctorat en 2012. Lorsque j'ai examiné M. Kobili Traoré, je travaillais depuis quatre ans à l'Hôtel-Dieu. J'avais d'ores et déjà pratiqué 700 examens de garde à vue et j'en ai pratiqué 700 autres depuis. Je travaille depuis neuf ans à l'Hôtel-Dieu. Nous travaillons dans ce service à la demande des urgentistes et également à la demande de la police, lorsqu'un examen de comportement est requis pour des personnes qui ne sont pas en garde à vue. J'interviens aussi aux urgences médico-judiciaires pour des victimes, lors d'examens équivalents à la thématique des coups et blessures, mais d'un point de vue psychologique. Nous procédons également à des examens du comportement des gardés à vue quotidiennement depuis 1985, date de la création des unités médico-judiciaires (UMJ) à l'Hôtel-Dieu, à la demande du parquet de Paris. Nous réalisons entre 2 000 à 2 500 examens annuels de compatibilité avec la garde à vue aux UMJ de l'Hôtel-Dieu. Il s'agit donc d'examens que nous effectuons quotidiennement, mes douze collègues titulaires et moi-même. Sur les 2 500 personnes examinées aux UMJ, la moitié sera ensuite adressée à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police (IPPP ou I3P) et 50 % d'entre eux seront ensuite hospitalisés. Le cas de M. Kobili Traoré n'est donc ni original ni particulier. L'atrocité et la gravité des faits sont exceptionnelles pour la société, les policiers, pour vous et pour moi. Cela dit, dans ce travail, nous voyons quotidiennement des choses violentes. J'avais déjà examiné des auteurs d'homicide et des violeurs. Notre travail demeure identique, quels que soient les faits.
Nos examens sont menés sur réquisition d'un officier de police judiciaire ou d'un agent de police judiciaire sous l'autorité d'un OPJ et dans un cadre légal très strict, celui des articles 60, 77 et 151 du code de procédure pénale. Ces examens sont réalisés dans le cadre d'une enquête de flagrance, comme ce fut le cas pour M. Kobili Traoré. Ils sont également pratiqués dans le cadre d'une enquête préliminaire, à la demande du procureur ou d'une commission rogatoire requise par un juge d'instruction. La majeure partie des examens réalisés à l'Hôtel-Dieu ont lieu à la suite d'une réquisition d'un OPJ.
La question qui nous est posée est simple et tient en quelques lignes : « Veuillez pratiquer un examen de comportement de M. X. Veuillez nous dire si son état est compatible avec la garde à vue ». Parfois, il nous est spécifiquement demandé : « Veuillez procéder à l'examen psychiatrique de M. X et nous signaler s'il existe un danger imminent pour la sureté des personnes et/ou pour elle-même indiquant un transfert à l'I3P. » Il nous est interdit de fournir d'autres informations à la police que la réponse à la question qui nous est posée. Il s'agit du même principe pour une expertise. L'expert peut uniquement déroger au secret médical pour fournir les informations qui permettront de répondre à la question posée. C'est la raison pour laquelle la réponse fournie à ces réquisitions est simple et lapidaire. Elle tient en la phrase que j'ai cochée ce jour-là pour M. Kobili Traoré qui est : « L'examen révèle que la personne conduite présente des troubles mentaux manifestes et qu'elle représente un danger imminent pour la santé des personnes et/ou pour elle-même, nécessitant un transfert à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police, sous réserve de l'absence de pathologies somatiques nécessitant une hospitalisation. »
Il existe quatre situations qui nous amènent à considérer que le sujet est incompatible avec la garde à vue. Ces dernières ont été rappelées par la conférence de consensus de 2004, qui guide notre pratique. Cette conférence a été réalisée sous l'égide de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES). Il s'agit du risque suicidaire imminent. Quotidiennement, des personnes s'étranglent ou se lacèrent les bras en garde à vue. Nous devons établir une différence entre une crise caractérielle, provocatrice et une crise suicidaire avérée de quelqu'un qui souhaiterait attenter à ses jours. L'état délirant aigu est également un motif d'incompatibilité. La personne a une appréhension altérée de la réalité en raison de troubles cognitifs avec dégradation du traitement de l'information. Il s'agit typiquement des maladies telles que la schizophrénie, si elle se présente sous une forme chronique, ou de la bouffée délirante aiguë, qui peut être occasionnelle et résolutive. Deux autres situations incompatibles avec la garde à vue sont l'agitation délirante et l'état confusionnel, qui constitue une urgence médicale.
Ce jour-là, pour répondre à cette question, j'ai réalisé un entretien qui a abouti à la décision d'adresser M. Kobili Traoré à l'I3P. Notre travail consiste à rendre un avis médical. Je ne suis pas en mesure de lever une garde à vue. Nous rendons notre avis à la police. Le patient est ensuite reconduit au commissariat, où il est revu par le commissaire divisionnaire ou celui d'astreinte, qui réalise le procès-verbal d'envoi à l'I3P. Il est le seul habilité à suspendre la garde à vue.