Intervention de Julie Pétré

Réunion du mercredi 24 novembre 2021 à 17h00
Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

Julie Pétré, magistrate :

Je n'ai pas de souvenirs précis, mais ce ne peut être moi puisque je n'interviens qu'à partir du 10 avril.

Au bout de dix jours d'enquête de flagrance, nous avons fait procéder à tous les premiers actes d'enquête urgents et nous avons le sentiment que Kobili Traoré ne va probablement pas sortir rapidement de l'hôpital. Dès à présent, nous jugeons nécessaire de saisir un juge d'instruction de la suite des investigations. Cette saisine d'un juge d'instruction est obligatoire en matière criminelle. Nous ouvrons cette information judiciaire le vendredi 14 avril. Je dis « nous » puisque, dans ce type d'affaire très grave, un crime, une remontée de l'information est faite et un dialogue s'installe avec la hiérarchie sur les actes d'enquête importants. Le réquisitoire introductif est un acte important, donc discuté avec la hiérarchie. En outre, il est dans la nature même d'un parquetier de travailler en équipe et de solliciter l'avis de ses collègues. La décision d'ouvrir l'information judiciaire et les qualifications qui sont retenues dans ce réquisitoire ont fait l'objet, et j'insiste dessus, d'une décision collégiale au sein du parquet de Paris.

Nous décidons de saisir un juge d'instruction des chefs d'homicide volontaire au préjudice de Lucie Attal, et de séquestration, avec absence de libération volontaire avant le septième jour accompli depuis son appréhension, au préjudice des six membres de la famille Diarra. Nous requérons, dans le même temps, un mandat d'amener, qui est l'ordre donné par le juge à la force publique de conduire immédiatement devant lui la personne à l'encontre de laquelle il est décerné. Nous demandons au juge d'instruction de délivrer ce mandat afin que Kobili Traoré lui soit présenté aussitôt que son état le permettra. Nous requérons, enfin, qu'à l'issue de sa présentation et de sa mise en examen, lorsqu'elles pourront avoir lieu, l'intéressé soit placé en détention provisoire.

S'agissant de la qualification juridique des faits et de la circonstance aggravante, dite de l'antisémitisme, il ressort de notre analyse, à ce stade de l'enquête, que les éléments du dossier ne nous permettaient pas de retenir la qualification d'homicide volontaire en raison de l'appartenance vraie ou supposée de la victime à une race ou une religion déterminée. L'ouverture de l'information a lieu dix jours après les faits. À ce stade, nous avions peu d'éléments sur les circonstances précises du déroulement des faits, encore moins sur les motivations de Kobili Traoré. Notre priorité à ce stade, en tant que ministère public, est d'obtenir sa mise en examen et son placement en détention provisoire. Sur les qualifications, nous nous en tenons aux faits dont nous avons connaissance dans le dossier.

Je n'ai plus à connaître de cette affaire après le 14 avril 2017 et je ne suis donc pas en capacité d'entrer, aujourd'hui, plus de quatre ans après les faits, dans le détail de ce dont j'avais connaissance à l'époque. Mon analyse était très précise à l'époque lorsque j'avais une parfaite connaissance de l'enquête. Avant de saisir le juge d'instruction, j'avais lu l'ensemble des procès-verbaux des enquêteurs.

À la suite de ce réquisitoire introductif, toute qualification est encore possible. Le procureur de la République par son réquisitoire et les pièces qui y sont jointes va définir l'étendue de la saisine du juge d'instruction. Ce dernier est saisi des faits, mais également des circonstances des faits, sans qu'il soit nécessaire, pour le parquet, de dresser un réquisitoire supplétif. Le parquet, lui-même, s'il le souhaite, à la lumière de nouveaux éléments ou d'une analyse différente, peut délivrer un réquisitoire supplétif qui a le mérite de préciser son analyse.

Par rapport au cas d'espèce, lorsque nous décidons de saisir un juge d'instruction avec la qualification d'homicide volontaire sans viser de circonstances aggravantes, cela ne signifie pas que nous bloquons cette saisine et que nous écartons toutes les circonstances aggravantes. Contrairement à ce que j'ai pu entendre dans de précédentes auditions, nous n'excluons pas complètement l'hypothèse antisémite à ce stade. Considérant que nous n'avons pas, au bout de dix jours d'enquête, suffisamment d'éléments pour mettre en examen une personne de ce chef, nous ne la visons pas. À tout moment dans la procédure, d'autres éléments peuvent apparaître…

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