Quand j'étais jeune magistrat, en 1982 ou 1983 – je n'étais pas en capacité de décision puisque je n'étais pas procureur de la République –, nous avions reçu, dans une affaire financière dans laquelle j'avais proposé des poursuites à mon parquet général, des instructions écrites de classement, au motif que l'infraction n'était pas constituée, ce qui n'était pas du tout ma conviction. Mon chef de parquet a suivi ces instructions et l'affaire a été étouffée. C'était clairement une entorse à l'indépendance. Mais, je le répète, c'était dans un monde ancien et la situation a beaucoup évolué. À l'époque, les instructions individuelles existaient encore et portaient aussi bien sur la poursuite que sur le classement. Une première évolution avait précisé que les instructions écrites ne pouvaient être que des instructions de poursuite, ce qui déjà a fermé la porte aux instructions de classement.
En revanche, depuis la loi de 2013, dans les parquets que j'ai dirigés, à Bobigny puis à Paris, je n'ai jamais eu à subir, de quelque façon que ce soit, des instructions ou des tentatives d'instruction de la part du pouvoir politique. De toute façon, je ne l'aurais pas accepté. Je n'ai pas eu, non plus, à m'occuper de comportements de magistrats pouvant constituer cette sorte de manquement.
La seule affaire dont j'ai eu à connaître et qui pourrait faire penser à la question que vous évoquez concernait un magistrat – je n'en dirai pas plus afin de ne pas trahir le secret de la procédure en cours –, pour lequel on a découvert, à l'occasion de perquisitions effectuées après son départ à la retraite, au travers de ses relations avec certains élus, des éléments pouvant évoquer d'éventuelles corruptions ou trafics d'influence. Dans ce cas-là, je n'ai eu aucun état d'âme : au vu des éléments qui m'avaient été communiqués, j'ai ouvert une information et saisi un juge d'instruction.